Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 novembre 2018 et le 8 octobre 2019, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de ces préjudices, outre les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable et la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 600 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne comporte pas les signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- les premiers juges ont rejeté à tort sa demande comme irrecevable ;
- le principe de sécurité juridique retenu par les premiers juges est inconnu et ne découle d'aucun texte ;
- le jugement méconnaît le droit au recours effectif prévu à l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, droit dont l'exercice n'est limité par aucune loi fixant un délai de prescription ;
- le jugement méconnaît la distinction entre recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que la limitation du délai de recours contentieux ne peut procéder que de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit dès lors que la prescription qu'il énonce, s'agissant d'une action indemnitaire ayant le même objet qu'une décision à portée pécuniaire qui n'a pas été attaquée dans le délai de recours contentieux, méconnaît la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la jurisprudence " Czabaj " ne saurait s'appliquer à sa situation dès lors qu'il n'a pas formé de recours en annulation directe de la décision du ministre de l'intérieur du 12 janvier 2010 ;
- la jurisprudence " Czabaj " n'est pas applicable aux actions en responsabilité depuis l'arrêt CE n° 413097 du 17 juin 2019.
Sur le fond :
- la décision du ministre de l'intérieur du 12 janvier 2010 est entachée d'une illégalité fautive en ce que la condition tenant à une affectation en France pour au moins six mois lorsque l'agent est déjà en poste à l'étranger, énoncée à l'article 5-3° du décret n° 86-416 du 12 mars 1986, ne lui est pas applicable ;
- il ne s'agissait pas d'un déménagement entre le Sénégal et le Maroc, selon la procédure dite de " poste à poste ", puisqu'il a été affecté dès son retour à l'état-major du service de coopération technique internationale de police (SCTIP) ;
- son rapatriement sans prise de poste dans un autre pays étranger, correspondant à un déplacement fait dans l'exercice de ses fonctions et par nécessité absolue de service, impliquait nécessairement la prise en charge de ses frais de déménagement ;
- il remplissait la condition, prévue à l'article 5-3° du décret n° 86-416 du 12 mars 1986 et seule applicable en l'espèce, tenant à une affectation à l'étranger pour au moins dix mois, justifiant que le ministre de l'intérieur prenne en charge ses frais de déménagement ;
- la prise en charge par le ministre de l'intérieur des billets d'avion entre Dakar et Paris constitue une reconnaissance implicite par celui-ci de son obligation de le rapatrier en France avec versement de l'indemnité de changement de résidence correspondante ;
- son action n'est pas prescrite au regard des articles 1 et 2 de la loi du 31 décembre 1968 ;
- l'absence totale de coordination du ministre de l'intérieur avec le ministre chargé des affaires étrangères constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral qu'il a subis doivent être évalués à la somme de 7 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., commandant de police à l'emploi fonctionnel retraité, affecté au service de coopération technique internationale de police (SCTIP) du ministère de l'intérieur entre 2007 et 2013, a été missionné en qualité d'officier de liaison de la police nationale pour les stupéfiants, en résidence à Dakar (Sénégal), du 15 septembre 2007 au 14 septembre 2009. Il a ensuite été réintégré au sein du SCTIP en France, entre le 15 septembre 2009 et le 31 janvier 2010, avant d'être détaché au ministère des affaires étrangères et européennes pour exercer les fonctions de conseiller du directeur de l'institut royal de police de Kénitra au Maroc, à compter du 1er février 2010. Par une décision du 12 janvier 2010, le ministre de l'intérieur a refusé de verser à M. C... l'indemnité de changement de résidence correspondant à son déménagement du 14 septembre 2009 de Dakar à Paris, lieu de sa nouvelle affectation provisoire dans l'attente de son accréditation par les autorités marocaines pour exercer les fonctions précitées. Par une lettre du 14 novembre 2016, réceptionnée le 15 novembre 2016 par le ministre de l'intérieur, M. C... a demandé à ce dernier de lui verser une somme globale de 15 000 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de défaut de versement de l'indemnité précitée. Le ministre a implicitement rejeté cette demande. M. C... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 n° 1704327/5-1 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme précitée.
2. Il ressort de la minute du jugement produite dans le cadre de la présente instance que cette décision a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Elle comporte ainsi l'ensemble des signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation qui a été notifiée au requérant ne comporte pas la reproduction de ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement.
3. D'une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
4. La règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il en résulte que M. C... n'est pas fondé à soutenir que le principe de sécurité juridique porterait atteinte, au regard de la règle précitée, à son droit au recours effectif, tel que garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En outre, en énonçant cette règle, qui découle de ce principe de sécurité juridique, principe consacré par sa jurisprudence, le Conseil d'Etat, par son arrêt d'assemblée n° 387763 du 13 juillet 2016, n'a ni empiété sur le pouvoir législatif ou réglementaire, ni défini par un " arrêt de règlement " un délai raisonnable qui ne tiendrait pas compte des circonstances de l'espèce. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le Tribunal administratif de Paris aurait pris, au nom du principe de sécurité juridique, un " jugement de règlement ".
5. D'autre part, l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.
6. Il résulte de l'instruction que la décision contenue dans le courrier électronique du sous-directeur de l'administration et des finances du SCTIP du 12 janvier 2010, portant refus du ministre de l'intérieur de prendre en charge les frais de changement de résidence de M. C..., n'a pas été notifiée à ce dernier. Toutefois, il est établi que M. C... a eu connaissance de cette décision au plus tard à la date du 3 décembre 2014, date à laquelle il a adressé au directeur des ressources et des compétences de la police nationale un recours hiérarchique qu'il a produit devant le Tribunal administratif de Paris, par lequel il conteste le refus du SCTIP de lui verser cette indemnité. Il résulte également de l'instruction que M. C... n'a pas exercé de recours juridictionnel à l'encontre de la décision du 12 janvier 2010 dans le délai d'un an à compter du 3 décembre 2014. Ainsi, en l'absence de circonstances particulières, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que cette décision, qui a un objet exclusivement pécuniaire, est devenue définitive à la date du 3 décembre 2015. Par suite, compte tenu de ce qui a été dit au point 5 et ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, qui n'ont pas méconnu la distinction entre le recours pour excès de pouvoir et le recours de plein contentieux, et sans qu'y fassent obstacle les règles de la prescription quadriennale instituées par l'article 1er de la loi n° 68-125 du 31 décembre 1968, les conclusions indemnitaires de M. C... présentées devant le Tribunal administratif de Paris, postérieures au 3 décembre 2015, qui sont fondées sur l'illégalité de la décision initiale du 12 janvier 2010, ne sont pas recevables.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Lu en audience publique le 9 octobre 2020.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03749