Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2018 sous le numéro 18PA03813, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1815519/8 du 5 novembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 août 2018 décidant le transfert de M. A...aux autorités allemandes ;
2°) de rejeter la demande de M.A....
Il soutient que l'arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
II - Par une requête enregistrée le 14 décembre 2018 sous le numéro 18PA03913, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1815519/8 du 5 novembre 2018.
Le préfet soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 64/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- et les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan, né le 12 septembre 1998, est entré irrégulièrement en France après avoir traversé plusieurs pays dont la Grèce, l'Allemagne et l'Autriche, et s'y est maintenu depuis, selon ses déclarations. Il a présenté une demande d'asile le 23 mai 2018 au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture de police de Paris. Le système " Eurodac " ayant fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées par les autorités allemandes les
29 septembre 2015 et 25 avril 2017, le préfet a saisi ces autorités, le 30 mai 2018, d'une demande de reprise en charge à laquelle elles ont répondu favorablement, le 14 juin suivant. Par un arrêté du
22 août 2018, le préfet de police a décidé le transfert de M. A...aux autorités allemandes au motif qu'elles sont responsables de l'examen de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 18 (1) (b) du règlement susvisé du 26 juin 2013. Le préfet de police fait appel du jugement du
5 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le Tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de M. A...et a annulé l'arrêté du 22 août 2018 portant transfert aux autorités allemandes.
Sur la jonction :
2. Les requêtes nos 18PA03813 et 18PA03913 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris :
3. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 18 paragraphe 1 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23,24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ".
4. Le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 22 août 2018 portant transfert de M. A...aux autorités allemandes au motif qu'il méconnaissait les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il a précisé que M. A...ayant produit une décision des autorités allemandes du 27 octobre 2017 ordonnant son départ vers l'Afghanistan, il risquait d'être soumis aux traitements prohibés par les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il a par ailleurs relevé que les autorités allemandes ayant accepté de reprendre en charge l'intéressé sur le fondement de l'article 18, paragraphe 1, point d) du règlement (UE) relatif aux demandeurs d'asile " dont la demande a été rejetée " le préfet aurait du apporter des éléments montrant que l'intéressé serait encore en mesure en cas de transfert en Allemagne d'exercer utilement un recours contre ce rejet. Toutefois, l'arrêté attaqué a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne. En outre, à supposer même que sa demande d'asile ait été définitivement rejetée dans ce pays, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que
M. A...ne serait pas en mesure de faire valoir devant les autorités allemandes tout élément de nature à faire obstacle à son éloignement dans son pays d'origine. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités allemandes n'évalueront pas les risques qu'il est susceptible d'encourir en cas retour en Afghanistan. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 précité doit être écarté. Par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté du préfet de police du 22 août 2018 portant transfert de M. A...en Allemagne.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.A....
Sur les autres moyens soulevés par M.A... :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 75-2018-183 du 29 mai 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de police a donné à M.B..., attaché principal d'administration, chef du 12ème bureau, délégation à l'effet de signer tous actes, arrêtés, décisions et pièces comptables dans la limite de ses attributions. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
7. En deuxième lieu, la décision de transfert de M. A...aux autorités allemandes vise, notamment, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le règlement (UE) n° 604/2013 du 6 juin 2013. Elle rappelle la date et le lieu de naissance de l'intéressé, précise qu'il s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile à Paris le 23 mai 2018, où il a effectué une demande de protection internationale, et rappelle que la comparaison de ses empreintes digitales au moyen du système " Eurodac " a fait apparaître qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités allemandes le 29 septembre 2015 et le 25 avril 2017. La décision énonce également que les autorités allemandes, saisies le 30 mai 2018, ont accepté le 14 juin 2018 la reprise en charge de M. A...et que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable et qu'il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Allemagne. Si M A...reproche à l'arrêté de ne pas énoncer le critère ayant permis de déterminer l'Etat responsable de sa demande, la référence à l'article 18 du règlement n° 604/2013 permettait d'en déduire qu'il s'agissait de l'Etat où une première demande d'asile avait été présentée, soit en l'occurrence l'Allemagne, ainsi qu'il ressort des explications données par M. A...lors de l'entretien individuel. Par suite, M. A...était à même de comprendre le critère retenu par le préfet de police pour justifier l'arrêté attaqué. Dès lors, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté litigieux et du défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé ne peuvent qu'être écartés.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. (...) La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres (...) ". Le modèle de cette brochure commune figure sous l'annexe X au règlement n° 118/2014 du 30 janvier 2014.
9. Il ressort des pièces du dossier que la brochure commune en langue pachtou a été remise à M.A..., le 23 mai 2018, et qu'un entretien individuel a été conduit avec l'intéressé, le même jour, par les services de la préfecture, au cours duquel celui-ci a bénéficié des services téléphoniques d'un interprète dans cette même langue. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait indiqué ne pas comprendre la langue pachtou ou ne pas savoir la lire. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui ont été fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
11. La conduite de l'entretien par une personne qualifiée en vertu du droit national constitue, pour le demandeur d'asile, une garantie. Ni le compte rendu de l'entretien individuel, qui comporte seulement la mention " Préfecture de police de Paris " sur la dernière page, ni aucune autre pièce du dossier ne permettent de déterminer l'identité et la qualité de l'agent ayant mené l'entretien. La circonstance que l'entretien a été conduit dans les locaux de la préfecture de police de Paris ne suffit pas à elle seule à établir que la personne qui a effectivement procédé à l'entretien était un agent de la préfecture compétent à cet effet en vertu du droit national. Toutefois, M. A...a eu la possibilité, lors de l'entretien, de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Par suite, l'absence d'indication de l'identité et de la qualité de l'agent qui a mené l'entretien individuel n'a pas privé l'intéressé d'une garantie et n'a pas été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 susvisé doit être écarté.
En cinquième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 64/2013 : " Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie, à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale (...) ".
12. Il ressort des pièces du dossier que les autorités allemandes ont fait connaître, le
24 juin 2018, soit antérieurement à la décision en litige, leur accord de reprise en charge de M.A.... Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 26 précité du règlement (UE) n° 64/2013 du
26 juin 2013 doit être écarté.
13. En sixième et dernier lieu, dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit au point 4, l'arrêté du 22 août 2018 portant transfert de M. A...aux autorités allemandes n'exposait pas l'intéressé à un renvoi de l'intéressé en Afhganistan et donc à un risque de traitements inhumains et dégradants,
M. A...n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. A...tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 22 août 2018 le transférant en Allemagne doit être rejetée.
Sur le sursis à exécution :
15. Dès lors qu'il est statué, par le présent arrêt, sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2018, les conclusions de la requête du préfet de police enregistrée sous le n° 18PA03913 tendant à ce qu'il soit sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet de police n° 18PA03913 tendant au sursis à exécution du jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1815519/8 du
5 novembre 2018.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris n° 1815519 du 5 novembre 2018 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 19 février 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mars 2019.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEULe président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
Nos 18PA03813...