Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 août 2017 et
16 octobre 2017, M. D...et MmeE..., représentés par MeB..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1619309/3-3 du
27 juin 2017 ;
2°) de faire droit à leur demande d'indemnisation en condamnant l'Etat à leur verser une somme de 31 828,76 euros, sauf à parfaire, outre les intérêts, eux-mêmes capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une omission à statuer ;
- l'arrêté du 26 mai 2014 a été pris par une autorité incompétente ;
- la procédure contradictoire fixée par l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 n'a pas été respectée ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit ;
- il est entaché d'une erreur de qualification juridique des faits ;
- il est disproportionné ;
- l'illégalité de cet arrêté est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- cette illégalité est à l'origine d'un préjudice financier, commercial et moral s'élevant à la somme totale de 31 828,76 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me B...pour M. D...et MmeE....
Considérant ce qui suit :
1. M. D...et Mme E...exploitent un bar-restaurant sous l'enseigne le
" Miz-Miz ", dans le 11ème arrondissement de Paris. A la suite d'un contrôle effectué par les services de police et de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), le 8 février 2014, le préfet de police a, par un arrêté du 26 mai 2014, fermé cet établissement pour une durée de quinze jours, au motif que des actes délictueux constitués par le travail dissimulé et l'absence de détention par un salarié de la carte professionnelle requise pour exercer ses fonctions d'agent de sécurité avaient été constatés. Par un jugement, dont les requérants relèvent appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à leur verser la somme totale de 31 828,76 euros, assortie des intérêts capitalisés, en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive dont serait entaché l'arrêté du
26 mai 2014.
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. Le représentant de l'Etat dans le département peut réduire la durée de cette fermeture lorsque l'exploitant s'engage à suivre la formation donnant lieu à la délivrance d'un permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1 (...). 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation (...) ".
3. Lorsqu'elle est ordonnée, conformément aux dispositions précitées de l'article
L. 3332-15 3e alinéa du code de la santé publique, en cas de commission d'un crime ou d'un délit en relation avec l'exploitation d'un débit de boissons, la fermeture administrative doit être regardée non pas comme une sanction, mais comme une mesure de police qui a pour objet de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, indépendamment de toute responsabilité de l'exploitant.
4. En l'espèce, la mesure de fermeture du bar-restaurant le " Miz-Miz " a été prise sur le seul fondement de l'alinéa 3° précité de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, dès lors qu'elle repose sur la commission d'actes délictueux en lien avec les conditions d'exploitation de l'établissement, les requérants s'étant rendus coupables de deux délits constitués par la dissimulation de salariés et par l'absence de détention par l'agent de sécurité d'une carte professionnelle, passibles de sanctions pénales en vertu des articles L. 8221-5-1 du code du travail et L. 624-8 du code de la sécurité intérieure. Si la matérialité de ces actes délictueux n'est pas contestée, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté litigieux, ceux-ci ne se poursuivaient pas dans la mesure où, une semaine après l'intervention du préfet de police, les exploitants avaient déposé les déclarations préalables à l'embauche auprès de l'URSSAF, et avaient fait appel à une société de gardiennage afin qu'elle mette à leur disposition un agent titulaire d'une carte professionnelle.
5. Si le préfet de police fait également état dans sa décision de l'avertissement qu'il aurait adressé aux requérants, le 19 février 2014, pour des faits de tapage nocturne, cet élément pris sur le fondement de l'alinéa 2° précité de l'article L. 3332-15 du code la santé publique, qui tend à prévenir une atteinte à l'ordre public et non la commission, comme en l'espèce, d'actes délictueux sanctionnés par les dispositions pénales visées à l'alinéa 3 du même article, ne saurait être pris en compte dans l'appréciation de la légalité de l'acte en litige. Dans ces conditions, les requérants ayant immédiatement remédié aux agissements qui leur étaient reprochés, aucun indice ne laissait présager, en l'absence de faits identiques antérieurs, leur réitération. Par suite, en l'absence de tout désordre dont il aurait fallu prévenir la continuation ou le retour, le préfet ne pouvait légalement ordonner la fermeture administrative de l'établissement le " Miz-Miz ". En agissant de la sorte, le préfet de police a donc commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
Sur l'évaluation des préjudices subis :
6. En premier lieu, M. D...et Mme E...demandent la condamnation de l'Etat à indemniser le préjudice résultant de la perte d'exploitation subie pendant la fermeture de l'établissement. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du compte de résultat de l'exercice 2014, produit en première instance, que sur une période d'activité de 11 mois et une semaine, le résultat d'exploitation s'est élevé à 2 402 euros, soit environ 100 euros sur une période de 15 jours. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment de la quittance de loyer allant du
1er juillet au 30 septembre 2014, ainsi que de la facture annuelle d'électricité, produites en première instance, que les charges de loyer et d'électricité peuvent être respectivement évaluées à 1 800 euros et à 100 euros sur la période concernée. Le montant des autres charges fixes, à savoir les salaires, les cotisations sociales, et les achats de marchandises effectués à perte, n'est en revanche pas établi. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice imputable à la perte d'exploitation subie en l'espèce, en le fixant à la somme de 2 000 euros.
7. En second lieu, M. D...et Mme E...demandent également la condamnation de l'Etat à indemniser le préjudice commercial et le préjudice d'image résultant de la fermeture illégale de leur établissement, très favorablement noté par certains sites internet spécialisés. Il ressort des termes de l'article 3 de l'arrêté litigieux que la mesure est publique et doit être apposée sur la devanture de l'établissement durant toute la durée de la fermeture administrative. Par suite, cette fermeture doit être regardée comme ayant porté atteinte à la notoriété de l'établissement. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que M. D...et Mme E...sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du 26 mai 2014 ordonnant la fermeture administrative pour quinze jours de leur établissement. Le préjudice global dont les requérants sont fondés à obtenir réparation doit être fixé à la somme totale de 3 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 2 août 2016, date de réception de leur demande par l'administration. Ces intérêts ouvrent droit à capitalisation à compter du 2 août 2017.
Sur les frais de justice :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1619309/3-3 du 27 juin 2017 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. D...et Mme E...la somme de 3 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 août 2016, eux-mêmes capitalisés à compter de la date à laquelle ils ont été dus pour au moins une année, soit le 2 août 2017.
Article 3 : L'Etat versera à M. D...et Mme E...la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., à Mme A...E..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 octobre 2018.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEULe président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17PA02929