Par une requête n° 1602907, enregistrée le 13 septembre 2016, l'ADIFE et M.D..., représentés par Me A...E..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1502836/5-2 du
13 juillet 2016 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de leur demande préalable d'indemnisation ;
3°) de condamner la société Orange à leur verser respectivement une somme de 10 001 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société Orange une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé et qu'il est entaché d'une omission à statuer ;
- les voies de promotion mises en oeuvre depuis 2004, décrites dans la décision n° 14 du 2 juillet 2014 relative aux modalités d'organisation des promotions des personnels fonctionnaires, sont illégales dès lors que cette décision repose sur l'accord social du 9 janvier 1997, qui est lui-même illégal ;
- la société Orange privilégiant le concours comme voie de promotion interne, méconnaît les articles 19 et 26 de la loi du 11 janvier 1984 ;
- les jurys de concours ne sont pas composés dans le respect du principe de représentation équilibrée entre les hommes et les femmes ;
- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 est illégal ;
- les voies de promotion organisées par la société Orange induisent une rupture d'égalité entre les fonctionnaires des corps " reclassés " et les agents des corps " reclassifiés " ;
- l'ADIFE subit un préjudice moral lié à l'atteinte portée aux intérêts collectifs qu'elle défend ;
- M. D... doit être indemnisé du préjudice moral subi du fait de la persistance de l'illégalité des voies de promotion.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2017, la société Orange représentée par la SCP F...- Trichet conclut au rejet de la requête de l'ADIFE et de M. D...et à ce que ces derniers soient condamnés à lui verser une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire présenté pour l'ADIFE et M.D..., a été enregistré, le 31 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984,
- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- les observations de MeB..., pour l'ADIFE et M.D...,
- et les observations de Me F...pour la société Orange.
Considérant ce qui suit :
1. L'association de défense des intérêts des fonctionnaires de l'Etat PetT (ADIFE) et
M. D...ont, par une lettre du 30 octobre 2014, demandé à la société Orange, venue aux droits de France Télécom, de les indemniser du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait de l'illégalité des voies de promotion interne organisées par cet opérateur après 2004, et d'élaborer des listes d'aptitude à titre rétroactif pour les années 1993 à 2004. Ils ont saisi le Tribunal administratif de Paris en vue d'obtenir d'une part, l'annulation du refus implicite opposé par la société Orange à cette demande et d'autre part, la condamnation de cette société à leur verser respectivement une somme de 10 001 euros. Par un jugement du 13 juillet 2016, dont l'ADIFE et M. D...font appel, le Tribunal administratif a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En examinant uniquement la responsabilité de la société Orange au regard de l'absence de publicité, à compter de 2004, des examens professionnels ou concours proposés en interne pour l'accès aux corps dits de " reclassés " et de l'obligation qu'elle avait d'organiser des listes d'aptitude à titre rétroactif, sans se prononcer sur les autres fautes alléguées tirées de la mise en oeuvre des voies de promotion interne sur le fondement d'un accord social de 1997 qui serait illégal, de la méconnaissance des articles 19 et 26 de la loi n° 84-56 du 16 janvier 1984, de l'illégalité de la composition des jurys de concours, de l'illégalité du décret n° 2004-1300 du
26 novembre 2004 et de la discrimination subie par les agents reclassés, les premiers juges ont entaché leur jugement de plusieurs omissions à statuer. Le jugement dont il est fait appel est, dès lors, irrégulier. Par suite, il y a lieu de l'annuler et de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée l'ADIFE et M.D....
Sur la responsabilité de la société Orange :
En ce qui concerne la méconnaissance par la société Orange des articles 19 et 26 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 :
3. En premier lieu, il ressort des termes de l'article 26 de la loi susvisée du
11 janvier 1984 modifiée que : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration ou à une organisation internationale intergouvernementale, non seulement par voie de concours selon les modalités définies au troisième alinéa (2°) de l'article 19 ci-dessus, mais aussi par la nomination de fonctionnaires ou de fonctionnaires internationaux suivant l'une des modalités ci-après : 1° Examen professionnel ; 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission administrative paritaire du corps d'accueil, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes ".
4. La société Orange fait valoir qu'elle a décidé de privilégier le concours interne, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 26 novembre 2004. Toutefois, cette circonstance ne la dispensait pas, en application des dispositions précitées de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 de mettre en oeuvre, en outre, l'une ou l'autre des voies de promotion prévues aux 1° et 2° de même article, pour les corps d'inspecteurs, de techniciens, de dessinateurs projeteurs, de contrôleurs, de chefs dessinateurs, de chefs de secteur, d'inspecteurs principaux et de chefs techniciens. Ce qu'elle n'a pas fait. Par suite, la société Orange a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne la promotion des agents reclassés sur le fondement de l'accord social du 9 janvier 1997 :
5. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que la société Orange a mis en oeuvre les processus de promotion interne sur le fondement de l'accord social du 9 janvier 1997, dont ils ne démontrent au demeurant pas l'illégalité, ils ne l'établissent pas. Ils n'établissent pas davantage que la décision n° 14 du 2 juillet 2004 relative aux modalités d'organisation des promotions des personnels fonctionnaires de France Télécom société anonyme, qui ne modifient pas les voies de promotion interne prévues par la loi du 11 janvier 1984 et le décret du
26 novembre 2004, serait fondée, fut-ce implicitement, sur cet accord.
En ce qui concerne la publicité insuffisante des ouvertures de concours et des examens professionnels :
6. En troisième lieu, si les requérants font valoir que la société Orange ne procède, depuis 2004, à aucune mesure de publicité sur l'organisation de concours interne et les modalités de remise des candidatures, il résulte de l'instruction que cette société a largement diffusé en son sein un document intitulé " la promotion des fonctionnaires titulaires d'un grade de reclassement " et a permis à de nombreux agents " reclassés " de bénéficier d'une promotion dont le nombre a varié de 400 à 600 selon les années à compter de 2005. Par suite, la société Orange n'a, à ce titre, commis aucune illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne la composition illégale des jurys de concours :
7. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la circonstance que l'article 3 de la décision n° 14 du 2 juillet 2004 se borne à préciser que : " la composition des jurys doit comprendre au moins trois membres d'un niveau hiérarchique supérieur à celui pour lequel la promotion est organisée, et la nomination de leurs membres est fixée par les responsables ayant reçu délégation de pouvoir à cet effet ", sans préciser expressément comment la parité homme/femme sera garantie, ne signifie pas que dans les faits une telle parité ne sera pas respectée.
En ce qui concerne la légalité du décret susvisé du 26 novembre 2004 :
8. En cinquième lieu, la société Orange n'étant pas l'auteur du décret susvisé du
26 novembre 2004, son illégalité, à la supposer établie, ne saurait, en tout état de cause, engager sa responsabilité.
En ce qui concerne l'atteinte au principe d'égalité et l'existence d'une discrimination :
9. En sixième lieu, les agents dits " reclassifiés " et les agents dits " reclassés " n'étant pas placés dans une situation identique, la société Orange, alors qu'il n'existait aucune obligation en ce sens, n'a pas porté atteinte au principe d'égalité, ni ne s'est rendue coupable de discrimination fautive au profit des agents dits " reclassifiés ", en ne promouvant pas suffisamment d'agents dits " reclassés " après 2004, afin de remédier au retard pris entre 1993 et 2004.
Sur les préjudices :
10. En premier lieu, dans la mesure où l'ADIFE a pour objet d'agir collectivement afin, notamment, de rétablir les agents reclassés dans leurs prérogatives de fonctionnaires de l'Etat, le fait que la société Orange ait privilégié depuis 2004 le concours au détriment des autres voies de promotion interne, lui a causé un préjudice moral, qui peut être évalué dans les circonstances de l'espèce à 2 000 euros.
11. En second lieu, en revanche, M.D..., dessinateur, n'établit pas dans quelle mesure la faute commise par la société Orange en ne diversifiant pas ses voies de promotion interne depuis 2004, lui aurait causé un préjudice moral, alors qu'au surplus il a lui-même été promu en 2012 au grade de dessinateur projeteur.
Sur les frais de justice :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ADIFE PetT et de M. D...qui ne sont pas, dans la présente instance les parties perdantes, la somme que la société Orange demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a, en revanche, lieu de mettre à la charge de la société Orange une somme de 2 000 euros au profit des requérants au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1502836/5-2 du 13 juillet 2016 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La société Orange est condamnée à verser à l'ADIFE PetT une somme de 2 000 euros au titre de son préjudice.
Article 3 : La société Orange versera à l'ADIFE PetT et à M. D...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties devant la Cour et devant le Tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'ADIFE PetT, à M. C...D...et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 novembre 2018.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEU
Le président,
B. EVEN Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
6
N° 16PA02907