Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 26 août 2016 et
28 décembre 2016, l'association " Avenir de la langue française ", représentée par MeB..., demande à la Cour :
- d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1500503/2-1 du 28 juin 2016 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du directeur de l'ENS du 20 novembre 2014 par laquelle il a refusé de modifier les enseignements du master du centre international de physique fondamentale de manière à ce qu'ils soient assurés en français dans une proportion majoritaire ;
- d'enjoindre à l'ENS, sous une astreinte journalière qu'il plaira à la Cour de fixer, de payer entre ses mains la mise en conformité de la formation litigieuse par l'usage du français à titre principal ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 2 de la Constitution ;
- la décision attaquée méconnaît l'article L. 123-1 II du code de l'éducation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2016, l'Ecole normale supérieure, représentée par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'association " Avenir de la langue française " sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en ce qu'elle est exercée par une association dépourvue d'intérêt pour agir et qu'elle tend à l'annulation d'un acte non décisoire ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire a été enregistré, le 3 mars 2017, pour le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le décret n° 2013-1140 du 9 décembre 2013 relatif à l'école normale supérieure ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant MeA..., représentant l'ENS.
1. Considérant que, par une lettre du 18 septembre 2014, l'association " Avenir de la langue française " a demandé au directeur général de l'ENS, d'une part, de lui communiquer les décisions prévoyant que les enseignements du master du Centre international de physique fondamentale de l'ENS seraient dispensés en anglais et les décisions ministérielles l'y habilitant et, d'autre part, de modifier ces enseignements de manière à ce qu'ils soient assurés en français dans une proportion majoritaire ; que, par une décision du 20 novembre 2014, le directeur général de l'ENS a refusé de faire droit à ces demandes ; que, par un jugement du 28 juin 2016, dont l'association " Avenir de la langue française " relève partiellement appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'association tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'ENS du 20 novembre 2014 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ; qu'il ressort, en particulier du point 6 du jugement attaqué, que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments de la requérante, a énoncé de façon complète et précise les motifs l'ayant conduit à estimer que l'ENS était un " établissement dispensant un enseignement à caractère international " au sens de l'article L. 123-1 II in fine du code de l'éducation ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement, sur ce point, doit être écarté ;
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : " La langue de la République est le français (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 121-3 du code de l'éducation dans sa version applicable au litige : " I.- La maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement. II.- La langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français. Des exceptions peuvent être justifiées : 1° Par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères ; 2° Lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers ; 3° Par des nécessités pédagogiques, lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale tel que prévu à l'article L. 123-7 ou dans le cadre d'un programme européen ; 4° Par le développement de cursus et diplômes transfrontaliers multilingues. (...) Les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, ne sont pas soumis à l'obligation prévue au premier alinéa. " ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que lorsqu'un établissement public ou privé dispense, dans son ensemble, un enseignement à caractère international, il est exonéré de l'obligation énoncée par l'alinéa 1er de l'article L. 123-1 II précité, pour la totalité de l'enseignement proposé ; que lorsqu'un établissement public ou privé dispense partiellement un enseignement à caractère international, il n'est exonéré de cette obligation que pour la partie concernée par ledit enseignement ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le master dispensé par le Centre international de physique fondamentale de l'ENS est une formation de très haut niveau scientifique qui se distingue par son caractère unique en France ; qu'il se déroule sur deux années en partenariat avec l'école polytechnique et les universités Pierre et Marie Curie, Paris Diderot et Paris Sud ; qu'il bénéficie du label " laboratoire d'excellence " depuis l'année 2011 après avoir été sélectionné par un jury exclusivement international, dans le cadre d'un appel à projets ; que l'un des objectifs de ce label consiste à développer l'internationalisation des projets qu'il sélectionne afin d'augmenter l'attractivité à l'étranger des formations qui en bénéficient, ce qui implique notamment que les cours soient dispensés en anglais ; que l'usage de l'anglais comme langue d'enseignement est l'un des atouts de la formation litigieuse qui accueille majoritairement, voire exclusivement pour certaines années, des étudiants étrangers ; que, dans ces conditions, ce master dispensé par l'ENS doit être regardé comme constituant un enseignement à caractère international au sens de l'article L. 121-3 II du code de l'éducation in fine précité ; que, par suite, c'est sans erreur de droit, que le directeur de l'ENS a refusé de faire droit à la demande de l'association appelante tendant à ce qu'il impose le français comme principale langue d'enseignement de la formation litigieuse ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non recevoir opposée par l'ENS, que l'association " Avenir de la langue française " n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 20 novembre 2014 par laquelle le directeur de l'ENS a refusé de modifier les enseignements du master dispensé par le centre international de physique fondamentale de l'ENS de manière à ce qu'ils soient assurés, principalement, en français ; qu'il y a, par voie de conséquence, lieu de rejeter également les conclusions à fin d'injonction présentées par l'association " Avenir de la langue française " :
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'association " Avenir de la langue française ", le versement à l'ENS d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les conclusions présentées par ladite association sur ce même fondement à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association " Avenir de la langue française " est rejetée.
Article 2 : L'association " Avenir de la langue française " versera une somme de 1 500 euros à l'Ecole normale supérieure sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Ecole normale supérieure et à l'association " Avenir de la langue française " et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Even, président,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 21 mars 2017.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEULe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA02801