Par un jugement n° 1920325/1-3 du 20 décembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
I.- Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2020 sous le n° 20PA04012, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1920323/1-3 du 20 décembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 mai 2019 par lequel le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me A... sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation dès lors que le préfet ne mentionne aucun élément de sa situation familiale, notamment la situation procédurale de ses trois enfants mineurs qui ont déposé une demande d'asile en leur nom et qui sont titulaires d'une attestation de demande d'asile en procédure normale depuis le 27 mai 2019 ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de sa situation familiale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'en cas d'exécution, la décision aura pour conséquence de séparer les enfants de leurs parents ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale à raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 17 août 2020.
II.- Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2021 sous le n° 21PA00354, Mme G... F..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1920325/1-3 du 20 décembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 mai 2019 par lequel le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation dès lors que le préfet ne mentionne aucun élément de sa situation familiale, notamment la situation procédurale de ses trois enfants mineurs qui ont déposé une demande d'asile en leur nom et qui sont titulaires d'une attestation de demande d'asile en procédure normale depuis le 27 mai 2019 ;
- elle est entachée d'une erreur de fait dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de sa situation familiale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'en cas d'exécution, la décision aura pour conséquence de séparer les enfants de leurs parents ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale à raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sur laquelle elle se fonde ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet de police, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du président de la Cour administrative d'appel de Paris du 23 décembre 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mach, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... et son épouse, Mme F..., ressortissants nigérians nés respectivement les 5 février 1985 et 1er janvier 1995, déclarent être entrés en France en juillet 2017. Ils ont présenté des demandes d'asile qui ont été rejetées par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 11 juin 2018, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 31 janvier 2019. Par deux arrêtés du 31 mai 2019 pris sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police leur a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. E... et Mme F... relèvent appel des jugements du 20 décembre 2019 par lesquels le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. Les deux requêtes susvisées, qui concernent deux requérants appartenant à la même famille, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
4. Aux termes de l'article L. 7411 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " (...) / Lorsque la demande d'asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, la demande est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants. Lorsqu'il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants. Cette décision n'est pas opposable aux enfants qui établissent que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire (...) ". Aux termes de l'article L. 7431 du même code, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 7312 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celleci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 7411, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté, que M. E... et Mme F... sont parents de deux enfants, C..., né le 1er décembre 2014, et Convenant, né le 26 octobre 2018, et que Mme F... est par ailleurs mère d'un enfant, F..., né le 11 novembre 2016. M. E... et Mme F... ont présenté des demandes d'asile qui ont été définitivement rejetées par décisions du 31 janvier 2019 de la Cour nationale du droit d'asile. Toutefois, une autre demande d'asile que les intéressés ont présentée au nom de leurs trois enfants a été enregistrée par le préfet de police, qui a délivré le 27 mai 2019 à chacun des trois enfants une attestation de demande d'asile en procédure normale valable du 27 mai 2019 au 26 juin 2019, valant autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, par la Cour nationale du droit d'asile. Il n'est pas contesté qu'à la date des décisions en litige du 31 mai 2019, cette demande d'asile, qui doit être regardée comme une demande de réexamen, était en cours et que les trois enfants bénéficiaient du droit de se maintenir sur le territoire français. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français prises à l'encontre de M. E... et de Mme F... ont pour effet de séparer, même provisoirement, les trois enfants de leurs parents. Par suite, les décisions contestées méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
6. L'illégalité des décisions du 31 mai 2019 portant obligation de quitter le territoire français entraîne par voie de conséquence l'illégalité des décisions du 31 mai 2019 fixant le pays de renvoi.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que M. E... et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable aux litiges : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
9. Eu égard aux motifs du présent arrêt, l'annulation des arrêtés du 31 mai 2019 implique que le préfet de police réexamine la situation de M. E... et de Mme F... et qu'il leur délivre une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait à nouveau statué sur leur cas. Il y a lieu de prescrire à cette autorité d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. E... et Mme F... ont chacun obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocat de M. E... et de Mme F... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'État le versement à Me A... de la somme de 2 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Les jugements n° 1920323/1-3 et 1920325/1-3 du 20 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les arrêtés du 31 mai 2019 du préfet de police sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. E... et de Mme F... et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me A..., avocat de M. E... et de Mme F..., une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à Mme G... F..., à Me A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., président de chambre,
- Mme Portes, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. B...
Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 20PA04012... 2