Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 mars 2020 et le 9 juin 2021, Mme C..., représentée par le cabinet Briard, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, s'agissant de la prétendue absence de lien de causalité entre la faute dans la rédaction erronée du code de l'aviation civile et le préjudice subi ;
- les commissaires du gouvernement ayant successivement exercé la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNPAC) ont commis une faute lourde dans l'exercice de leur fonction, en s'abstenant de lui demander d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995, en lieu et place du décret n° 84-469 du 18 juin 1984, qui prévoit une décote illégale et a été implicitement abrogé par la loi n° 84-834 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public ;
- la minoration de la pension par un coefficient de 0,4 prévue par le décret du
18 juin 1984 ne pouvait être instituée que par une loi ;
- le refus des commissaires du gouvernement successifs de la CRPNPAC d'accorder le bénéfice de l'application des dispositions du décret du 30 juin 1995 aux pensions déjà liquidées méconnaît l'article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 1er du protocole additionnel à cette même convention ;
- les services du Premier ministre (secrétariat général du gouvernement) ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat du fait de la présentation irrégulière, sur la version papier de la consolidation du code de l'aviation civile, des sections IV à VI du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire de ce code ;
- cette irrégularité fautive a eu pour effet d'induire en erreur la Cour de cassation qui s'est prononcée, par son arrêt du 17 février 2011, sur l'applicabilité des dispositions du décret du 30 juin 1995 aux pensions déjà liquidées en se fondant sur cette version papier qui, seule, fait foi ;
- la fin de non-recevoir tirée de ce que ses conclusions indemnitaires auraient le même objet que les conclusions pécuniaires formées devant le juge judiciaire est infondée.
Par des mémoires, enregistrés le 17 décembre 2020 et le 30 juin 2021, la ministre de la transition écologique, représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme C... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, les conclusions indemnitaires de la requérante sont irrecevables dès lors qu'elles ont le même objet que les conclusions pécuniaires tendant à la révision de sa pension ;
- à titre subsidiaire, aucun des moyens de la requête n'est fondé.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'aviation civile ;
- la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés ;
- la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public ;
- le décret n° 67-334 du 30 mars 1967 portant codification des textes réglementaires applicables à l'aviation civile (2° partie : règlements d'administration publique et décrets en Conseil d'Etat) ;
- le décret n° 84-469 du 18 juin 1984 abrogeant et modifiant diverses dispositions du code de l'aviation civile relatives au régime d'assurance et au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile ;
- le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 relatif au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et modifiant le code de l'aviation civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... relève appel du jugement du 7 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 776 943 euros en réparation du préjudice subi à raison des fautes lourdes commises par les commissaires du gouvernement ayant successivement exercé la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNPAC), en s'abstenant de demander à celle-ci d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995, et de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une codification erronée du code de l'aviation civile.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Au point 5 du jugement, les premiers juges ont, tout d'abord, évoqué les deux décisions des 27 juin 2002 et 17 février 2011 par lesquelles la Cour de cassation, appelée à se prononcer dans le cadre de litiges opposant plusieurs retraités bénéficiaires de pensions servies par la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et ladite caisse portant sur l'application aux personnes déjà pensionnées des nouvelles modalités de calcul des droits à pension introduites par le décret du 30 juin 1995 relatif au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, a dit pour droit qu'en l'absence, dans ce décret, de disposition prévoyant son application rétroactive, les liquidations intervenues avant sa date d'application n'avaient pas lieu d'être remises en cause par les modifications ultérieures du régime et que les dispositions de ce même décret modifiant le d) de l'article R. 426-5 du code de l'aviation civile ne s'appliquaient pas aux pensions liquidées antérieurement. Ils ont ensuite énoncé que, compte tenu des motifs de ces décisions et de ce que les dispositions du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile et du décret du 30 juin 1995 étaient suffisamment claires pour être interprétées sans recourir aux intitulés des sections organisant les dispositions réglementaires au sein de ce code, alors que par ailleurs aucune disposition législative n'habilitait le pouvoir règlementaire à donner un effet rétroactif aux dispositions de ce décret, il ne pouvait être considéré que la Cour de cassation aurait retenu une interprétation différente des dispositions du décret du 30 juin 1995 si l'édition papier du code de l'aviation civile, à supposer que cette dernière ait servi de référence à la Cour, n'avait pas fait l'objet d'une présentation erronée. Par suite, en inférant de ce qui précède l'absence d'un lien direct de causalité entre la faute invoquée par la requérante, tirée de la publication, par les services du Premier ministre, d'une version erronée de la partie réglementaire du code de l'aviation civile de 1987 à 2010, et le préjudice invoqué par elle constitué par la minoration de sa pension du fait de la non-application des dispositions de l'article 3 du décret du 30 juin 1995, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la faute lourde qu'auraient commise les commissaires du gouvernement auprès de la CRPNPAC dans l'exercice de leur pouvoir de tutelle :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 426-16-1 du code de l'aviation civile, dans sa version résultant du décret du 30 juin 1995 relatif au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et modifiant le code de l'aviation civile : " La pension est déterminée sur la base du salaire moyen indexé de carrière défini au c de l'article R. 426-5 ou, le cas échéant, sur la base du salaire moyen indexé majoré défini au d de l'article R. 426-5 (...) ". Ce décret a modifié les dispositions antérieures, issues du décret du 18 juin 1984 relatif au régime d'assurance et au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, qui instituaient une décote au-delà des vingt-cinq meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension.
4. En premier lieu, la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public n'est pas applicable au personnel navigant de l'aviation civile. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que cette loi aurait implicitement abrogé le décret susvisé n° 84-469 du 18 juin 1984, en ce que ce dernier prévoit une décote, énoncée à l'article R. 426-5 d) du code de l'aviation civile, concernant la prise en compte des périodes supplémentaires lorsque l'affilié réunit plus de vingt-cinq annuités à titre onéreux et, par voie de conséquence, le décret également susvisé n° 95-825 du 30 juin 1995, en tant qu'il modifie ce décret du 18 juin 1984.
5. En second lieu, l'institution d'une décote pour la prise en compte des droits à pension relève de la compétence du pouvoir réglementaire. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le décret précité du 18 juin 1984 serait illégal en ce que le pourcentage de minoration de la pension des affiliés à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile qu'il prévoit, dans les conditions mentionnées au point 1, relèverait du domaine de la loi aux termes de l'article 34 de la Constitution.
6. En troisième lieu, Mme C... invoque les dispositions de la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés, précisant que cette loi, dont les dispositions ont été abrogées mais reprises à l'article L. 921-3 du code de la sécurité sociale, dispose que toutes les périodes travaillées sont validées, qu'elles soient cotisées ou non et qu'en conséquence, la minoration par un coefficient de 0,4, telle que prévue par le décret précité du 18 juin 1984, est illégale. Toutefois, ni cette loi du 29 décembre 1972 dans sa rédaction antérieure à son abrogation, ni les articles L. 921-1 et suivants du code de la sécurité sociale ne traitent de la validation de périodes travaillées. Ils n'ont également ni vocation à régir les modalités de calcul des pensions ni à interdire l'institution d'une décote. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le décret précité du
18 juin 1984 serait illégal au regard de ces dispositions en ce qu'il prévoit une décote.
7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 6 qu'en s'abstenant de demander à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du 30 juin 1995, en lieu et place du décret n° 84-469 du 18 juin 1984, les commissaires du gouvernement successifs auprès de cette caisse n'ont pas commis de faute lourde dans l'exercice de leurs pouvoirs de tutelle de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
8. Enfin, si Mme C... fait valoir que le refus des commissaires du gouvernement successifs de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile d'accorder le bénéfice de l'application des dispositions du décret du 30 juin 1995 aux pensions déjà liquidées constitue une discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et une privation des biens protégés par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, il est constant que ces dispositions ne prévoyaient pas expressément une application rétroactive. Or, ce seul motif suffisant à justifier légalement le refus opposé par les commissaires du gouvernement, ces derniers n'ont ainsi pas commis la faute qui leur est reprochée. En outre, à supposer que le moyen soulevé par la requérante soit dirigé contre le décret lui-même, il y a lieu de l'écarter dès lors qu'il existe, en tout état de cause, une différence objective de situation entre les personnels navigants selon qu'ils ont demandé la liquidation de leur pension avant ou après l'entrée en vigueur de ce décret.
En ce qui concerne la faute qu'auraient commise les services du Premier ministre en raison de la publication d'une version erronée de la partie réglementaire du code de l'aviation civile de 1987 à 2010 :
9. Il résulte de l'instruction qu'alors que le décret n° 67-334 du 30 mars 1967 portant codification des textes règlementaires applicables à l'aviation civile a organisé un découpage du chapitre VI intitulé " retraites " du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile en sept sections comportant les articles R. 426-5 à R. 426-31, l'article 9 du décret n° 84-469 du 18 juin 1984 a introduit une nouvelle rédaction des articles R. 426-13 à R. 426-25, lesquels étaient positionnés au sein des sections IV, V et VI du code, sans toutefois reprendre expressément le découpage retenu dans le code. Il résulte également de l'instruction qu'à compter de 1987, l'édition papier du code de l'aviation civile publiée par la direction des journaux officiels ne comportait plus, dans le corps du texte, les sections IV à VII du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire. Ainsi, même si le découpage en sept sections demeurait mentionné dans la table analytique de ce code, l'ensemble des dispositions des articles R. 426-11 à R. 426-28 s'est trouvé positionné dans la section III relative à la constitution du droit à pension, notamment l'article R. 426-16-1 qui était antérieurement placé dans la section IV intitulée " calcul de la pension ". A compter de l'édition papier de l'année 2005, ce même découpage ne figurait plus ni dans le corps du texte ni dans la table analytique. Ces sections ont toutefois été rétablies sur le site internet Légifrance à compter de février 2010.
10. Mme C... soutient que la discordance entre le découpage initial en sections du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile issu du décret du 30 mars 1967 et les éditions sur papier consolidées successives de ce code, puis les éditions électroniques, aurait induit en erreur la Cour de cassation dans son interprétation des dispositions de l'article R. 426-16-1 de ce code, issues du décret précité du 30 juin 1995, en la conduisant à les juger dépourvues de portée rétroactive sur les pensions déjà liquidées. Il résulte toutefois des dispositions du décret du 30 juin 1995 qu'elles ne prévoient pas leur application aux pensions déjà liquidées. Cette circonstance de droit suffit à justifier légalement l'absence d'application rétroactive de ces dispositions. Par suite, l'anomalie constituée par la discordance de présentation, au regard du décret initial du 30 mars 1967, des dispositions réglementaires du chapitre VI susévoqué relatif aux retraites figurant dans la version papier du code de l'aviation civile est en tout état de cause sans incidence sur l'interprétation juridique de ces dispositions, alors au demeurant que si les intitulés des parties, livres, chapitres, sections, sous-sections ou paragraphes d'un code sont destinés à faciliter la consultation et l'intelligibilité du texte, ils n'ont pas d'incidence sur la numérotation des articles ni portée normative.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la transition écologique, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme C... le versement à l'Etat de la somme que ce dernier demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la ministre de la transition écologique présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à la ministre de la transition écologique, au Premier ministre et à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente,
- Mme Briançon, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.
Le rapporteur,
P. MANTZ
La présidente,
M. HEERS La greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au Premier ministre, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20PA00880