Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée 23 novembre 2021, Mme A... B..., représentée par Me Fidèle, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 929 642 francs CFP au titre de la réparation intégrale des préjudices subis, somme assortie des intérêts au taux légal, avec leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 200 000 franc CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
S'agissant des préjudices avant consolidation :
- la perte de ses gains professionnels actuels s'élève à 4 278 622 francs CFP ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à la somme de 951 750 francs CFP ;
- les souffrances endurées, évaluées par l'expert à 4 sur une échelle allant jusqu'à 7, doivent être indemnisées à hauteur de 2 386 600 francs CFP ;
- elle ne conteste pas les sommes allouées au titre du préjudice esthétique temporaire ;
S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :
- elle est fondée à solliciter la somme de 1 073 970 francs CFP au titre du préjudice lié à une pathologie évolutive.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2021, le CIVEN conclut à ce que l'indemnisation relative aux pertes de gains professionnels soit portée à la somme de 2 125 932 francs CFP, et au rejet du surplus.
Il soutient que :
- compte tenu des nouvelles justifications produites, il y a lieu de réévaluer les pertes de gains professionnels et de les indemniser à hauteur de 2 125 932 francs CFP, portant la réparation intégrale des préjudices à la somme totale de 4 734 795 francs CFP ;
- il n'y a pas lieu de réévaluer les autres postes de préjudice ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers, présidente,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B... a été reconnu victime des essais nucléaires français, sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, par une décision du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) en date du 23 mai 2018. Après expertise, le CIVEN a proposé, le 6 octobre 2020, à Mme A... B..., épouse et ayant-droit de M. B..., une somme de 27 437 euros au titre de la réparation intégrale des préjudices subis. Mme B... relève appel du jugement du 21 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a porté le montant de cette indemnisation à la somme de 3 477 830 francs CFP, estimée insuffisante, demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 8 929 642 francs CFP.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices avant consolidation :
2. Mme B... se prévaut de la perte de gains professionnels subis par son époux. Il résulte de l'instruction que M. B... a été placé en arrêt maladie du 28 février 2014 au 30 juin 2015, puis du 17 mars 2016 au 30 septembre 2017, seules périodes à prendre en considération durant lesquelles il n'a pas été pris en charge à 100% par la Caisse primaire de santé (CPS). Il résulte ainsi de l'instruction, compte tenu des nouvelles pièces produites par la requérante, que les pertes en gains professionnels subis par M. B... s'élèvent à la somme totale de 23 381 euros. Il y a lieu de faire droit à la demande de Mme B... à hauteur de cette somme.
3. Il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait fait une insuffisante évaluation du préjudice subi à raison du déficit fonctionnel temporaire en allouant la somme de 588 893 francs CFP à la requérante, sur la base d'un forfait journalier de 25 euros, dont il ne ressort pas non plus de l'instruction que celui-ci serait manifestement sous-évalué.
4. Les souffrances temporaires endurées par M. B... ont été évaluées par l'expert à 4 sur une échelle allant de 1 à 7. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce préjudice en allouant à ce titre la somme de 1 551 310 francs CFP.
5. Le préjudice esthétique temporaire subi par M. B... a été évalué à 2 sur 7 par l'expert. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante évaluation de ce préjudice en allouant à la requérante la somme de 238 660 francs CFP, laquelle somme n'est d'ailleurs pas contestée par la requérante.
S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :
6. Le préjudice lié aux pathologies évolutives, qui constitue un préjudice spécifique lié à une évolution possible de la maladie et à la crainte de voir apparaître un second cancer, doit être indemnisé. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à la requérante la somme de 7 500 euros.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 4 734 795 francs CFP que le CIVEN a été condamné à verser à Mme B... par les premiers juges, doit être portée à
50 186 euros. Mme B..., ayant-droit de M. B..., est donc fondée à demander la réformation, dans cette mesure, du jugement n° 2000688 du 21 septembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
8. Mme B... a droit aux intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à son profit par le présent arrêt à compter de la réception de sa demande d'indemnisation. Si la date de réception de cette demande par le CIVEN ne ressort d'aucune des pièces du dossier, cette demande a toutefois été acceptée par le CIVEN aux termes d'une décision du 23 mai 2018. Par suite, Mme B... a droit aux intérêts à taux légal à compter de cette date.
9. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par Mme B... aux termes de sa requête d'appel enregistrée le 23 novembre 2021. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à sa demande.
Sur les dépens :
10. Les frais exposés pour les expertises réalisées à la demande du CIVEN sont pris en charge par ce dernier, en application des dispositions de l'article 12 du décret du 15 septembre 2014 modifié. La présente instance n'ayant pas donné lieu à d'autres dépens que les frais de l'expertise judiciaire, dont il n'est pas contesté par les parties qu'ils sont à la charge du CIVEN, la demande de Mme B... tendant à ce que l'Etat soit condamné aux entiers dépens doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (CIVEN) le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 4 734 795 francs CFP que l'Etat (CIVEN) a été condamné à verser Mme B... par le jugement n° 2000688 du 21 septembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française, est portée à 50 816 (cinquante mille huit cent seize) euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 mai 2018. Les intérêts échus à la date du 23 mai 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (CIVEN) versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).
Copie en sera adressée à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- M. Mantz, premier conseiller.
- Mme Portes, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2022.
La présidente-rapporteure,
M. HEERSLe premier conseiller,
P. MANTZ
La greffière,
V. BREME
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 21PA05991 2