Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 juillet 2020, M. D..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français du 11 mars 2020 ;
3°) de suspendre l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet n'a pas saisi la commission du titre de séjour alors qu'il justifiait d'une présence en France de plus de dix ans ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, le 5 novembre 2020, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant égyptien, né le 8 mars 1983 à Gharbeya (Egypte), entré en France le 21 mai 2005 selon ses déclarations, a sollicité le 8 février 2019 la régularisation de sa situation sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 11 mars 2020, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement :
2. Aux termes de l'article R. 522-1 du code de justice administrative : " A peine d'irrecevabilité, les conclusions tendant à la suspension d'une décision administrative ou de certains de ses effets doivent être présentées par requête distincte de la requête à fin d'annulation ou de réformation et accompagnées d'une copie de cette dernière ".
3. Les conclusions d'appel de M. D... tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté en litige en tant que le préfet l'a obligé à quitter le territoire français, qui ne sont pas présentées par une requête distincte comme l'exigent les dispositions précitées de l'article R. 522-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. Les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de " la décision portant obligation de quitter le territoire français " doivent être regardées, compte tenu de l'ensemble des moyens invoqués dans la présente requête, comme dirigées, en premier lieu, contre la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, en second lieu, contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français et, en troisième lieu, contre la décision fixant le pays de renvoi.
5. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".
6. M. D... soutient qu'il réside habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué et produit, pour chaque année entre 2010 et 2020, de nombreuses pièces, constituées notamment de prescriptions médicales, de feuilles de soin, de courriers de l'assurance maladie, de factures diverses notamment d'abonnements de téléphonie, de courriers de l'agence Solidarité Transport Ile-de-France, de relevés de compte bancaire et de documents fiscaux à partir de 2015. En outre, le requérant produit un document tamponné par la Boutique SNCF Ile-de-France de Paris Saint-Lazare, en date du 22 mars 2017, établi au nom du requérant, et indiquant que ce dernier a acheté, chaque mois sans interruption entre avril 2007 et mars 2017, un abonnement de transport dénommé alternativement " Navigo semaine ", " Navigo mois ", " Forfait solidarité semaine " ou " Forfait solidarité mois ", comportant un nombre de zones variable selon les années. L'ensemble de ces éléments constitue un faisceau d'indices suffisamment probant pour justifier de la continuité de sa résidence habituelle en France depuis plus dix ans à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, le préfet de police était tenu, en vertu de L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de saisir la commission du titre de séjour mentionnée à l'article L. 312-1 du même code. Dès lors, M. D... est fondé à soutenir qu'en l'absence de saisine de cette commission, la décision par laquelle sa demande d'admission exceptionnelle au séjour a été rejetée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.
7. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Le vice de procédure mentionné au point 6 a eu pour effet de priver le requérant d'une garantie et constitue une irrégularité de nature à affecter la légalité de la décision de refus de titre de séjour et, par voie de conséquence, celle de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi. Il s'ensuit que M. D... est fondé à soutenir que l'arrêté du préfet de police du 11 mars 2020 est entaché d'illégalité.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et sur les autres moyens de la requête, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé ".
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique seulement, par application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, que le préfet de police procède au réexamen de la situation administrative de M. D..., après saisine de la commission du titre de séjour, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
12. En application de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. D... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2005916/1-2 du Tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2020 et l'arrêté du préfet de police du 11 mars 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. D..., après saisine de la commission du titre de séjour, dans un délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Portes, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2020.
Le rapporteur,
P. B...Le président,
M. A...Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA01882 2