Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001970 du 3 mars 2020 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal :
- la circonstance que M. A... a fait valoir pour la première fois devant le juge de première instance qu'il était détenteur d'un titre de séjour italien valable jusqu'en 2023 ne lui ouvrait pas droit à séjourner sur le territoire français alors qu'il n'a pas sollicité l'asile, n'a aucun lien familial ou personnel avec la France et a déclaré être venu en France dans le seul but de chercher du travail ;
S'agissant des moyens communs à l'ensemble des décisions attaquées :
- l'arrêté a été signé par M. B... D... qui disposait d'une délégation de signature régulière ;
- les décisions sont suffisamment motivées et il a été procédé à un examen individuel approfondi de la situation de M. A....;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la circonstance que M. A... ait été détenteur d'un titre de séjour italien en cours de validité valable jusqu'en 2023 ne faisait pas obstacle à son éloignement sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile plutôt une réadmission en Italie sur le fondement de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant du refus de délai de départ volontaire et du pays de renvoi :
- en l'absence d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, l'illégalité par la voie de l'exception soulevée à l'encontre de ces deux décisions doit être écartée ;
- en l'absence de toutes garanties de représentation suffisantes, la décision de refus de délai de départ volontaire est fondée ;
S'agissant et de l'interdiction de retour sur le territoire français et du signalement dans le système d'information Schengen :
- en l'absence d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, l'illégalité par la voie de l'exception soulevée à l'encontre de ces décisions doit être écartée ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français pendant douze mois est suffisamment motivée ;
- ces décisions ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant sénégalais né le 3 février 1999, a été interpelé par la police sur la voie publique dans le cadre d'un contrôle d'identité. Il a déclaré, dans le cadre de son audition, être de nationalité malienne et être entré en France irrégulièrement en 2018 afin de rechercher du travail. Par un premier arrêté du 30 janvier 2020, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire en fixant le pays de destination. Par un deuxième arrêté daté du même jour, le préfet de police lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant douze mois. Ces deux arrêtés ont été annulés par un jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris en date du 3 mars 2020. Le préfet de police fait appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de L'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par dérogation à l'article L. 511-2 : " (...) l'étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 212-1, L. 212-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les États membres de l'Union européenne ". Aux termes de l'article L. 531-2 du même code : " L'article L. 531-1 est applicable à l'étranger qui, en provenance du territoire d'un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, est entré ou a séjourné sur le territoire métropolitain sans se conformer aux dispositions des articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, ou 21, paragraphe 1 ou 2, de cette convention ou sans souscrire, au moment de l'entrée sur ce territoire, la déclaration obligatoire prévue par l'article 22 de la même convention, alors qu'il était astreint à cette formalité. / Il en est de même de l'étranger détenteur d'un titre de résident de longue durée-UE en cours de validité accordé par un autre État membre qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français. (...) / Il en est également de même de l'étranger détenteur d'une carte de séjour portant la mention carte bleue européenne " en cours de validité accordée par un autre État membre de l'Union européenne lorsque lui est refusée la délivrance de la carte de séjour prévue au 2° de l'article L. 313-20 / (...) ". Aux termes du 2° de l'article L. 313-20 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A l'étranger qui occupe un emploi hautement qualifié, pour une durée égale ou supérieure à un an, et justifie d'un diplôme sanctionnant au moins trois années d'études supérieures ou d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans d'un niveau comparable. Cette carte, d'une durée égale à celle figurant sur le contrat de travail, porte la mention " carte bleue européenne ". / L'étranger qui justifie avoir séjourné au moins dix-huit mois dans un autre État membre de l'Union européenne sous couvert d'une " carte bleue européenne " obtient la même carte de séjour, sous réserve qu'il en fasse la demande dans le mois qui suit son entrée en France, sans que soit exigé le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 du présent code [visa long séjour] ". En vertu du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans plusieurs cas, notamment lorsqu'il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire ou qu'il s'y est irrégulièrement maintenu.
3. Il ressort des dispositions précitées que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre État ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'État membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre.
4. Pour annuler les arrêtés par lesquels le préfet de police a éloigné M. A... à destination d'un pays où il est légalement admissible et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant douze mois, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la seule circonstance que M. A... disposait d'un titre de séjour italien valide jusqu'en 2023. Ainsi qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la seule détention d'une carte bleue européenne délivrée par un État membre de l'Union n'ouvre pas droit à non ressortissant de l'Union européenne à l'entrée et au séjour sur le territoire français. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a informé pour la première fois le préfet de police de ce qu'il détenait un titre de séjour italien dans le cadre de l'instance contentieuse devant le Tribunal administratif de Paris et a déclaré séjourné sur le territoire français depuis 2008 sans avoir sollicité la moindre autorisation d'entrée ou de séjour sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés du 30 janvier 2020.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... :
En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions contestées :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 2019-00832 du 18 octobre 2019, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris n° 85 du 25 octobre suivant, le préfet de police a donné délégation à M. B... D..., attaché d'administration de l'État, signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer tous les actes dans la limite de ses attributions, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'auraient pas été présentes ou empêchées, parmi lesquelles figure la police des étrangers. Partant, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté comme manquant en fait.
7. En deuxième lieu, les décisions attaquées visent les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 19 § 1 et 2, 20 § 1 et 21 § 1 et 2 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990, la convention franco-sénégalaise du 29 mars 1974 ainsi que les articles L. 211-1 et L. 511-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et font état de ce que M. A... n'a pas justifié être entré régulièrement en France, n'a pas sollicité de titre de séjour, ne dispose d'aucune résidence principale en France et se déclare célibataire sans enfant à charge comportent les considérations de droit et fait qui leur servent de fondement et doivent être regardées comme étant suffisamment motivées. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation des décisions en litige doit être écarté comme manquant en fait.
8. Enfin, compte tenu des déclarations mensongères et incomplètes de M. A... quant à son identité, sa nationalité et la détention de titre de séjour italien, le préfet de police ne peut être regardé comme ayant manqué à son obligation d'examiner complètement la situation de l'intéressé.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la circonstance que M. A... ait été détenteur d'un titre de séjour italien valable jusqu'en 2023, obtenue pour un motif de réunification familiale dans ce pays ne lui ouvrait pas droit à un titre de séjour en France. En outre, dans la mesure où au moment de son audition par la police, suite à son interpellation dans le cadre d'un contrôle d'identité, M. A... n'a fait état à aucun moment de ce qu'il détenait un titre de séjour italien, ce dernier ne peut sérieusement reprocher au préfet de police de ne pas avoir entamé des démarches auprès de l'Italie pour obtenir sa réadmission dans ce pays en application des dispositions citées plus haut de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Enfin en l'absence de demande d'asile, de contrat de travail en France et de tout lien personnel et familial avec la France, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation en refusant de lui délivrer un titre de séjour.
En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :
10. En l'absence d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de la décision de refus de délai de départ volontaire ne peut qu'être écarté.
11. Compte tenu des déclarations mensongères de M. A... quant à son identité et sa nationalité et la circonstance qu'il ne justifiait préalablement à la mesure d'éloignement ni être entré régulièrement en France ni d'une habitation principale, ni d'un contrat de travail et avait fait explicitement part de son intention de ne pas se conformer à l'obligation de quitter le territoire français, le préfet de police n'a commis aucune erreur d'appréciation en estimant que M. A... ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes. Par suite, la décision de refus de délai de départ volontaire n'est entachée d'aucune illégalité.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
12. En l'absence d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi ne peut qu'être écarté.
13. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) ".
14. Les dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'impliquent pas nécessairement que M. A... soit renvoyé au Sénégal, pays dont il a la nationalité, alors qu'il peut être renvoyé vers l'Italie, pays où il est légalement admissible. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français pendant douze mois :
15. En l'absence d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant douze mois ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le préfet de police n'a pas commis d'erreur d'appréciation en décidant d'interdire le retour de M. A... sur le territoire français pendant douze mois.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé ses arrêtés du 30 janvier 2020 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et lui interdisant de retourner sur le territoire pendant douze mois. Dès lors, il y a lieu d'annuler l'article 1er du jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2001970 du 3 mars 2020 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... A....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 12 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2021.
La rapporteure,
I. C...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01351