Procédure devant la Cour :
I) Par une requête enregistrée le 2 mai 2018 sous le n° 18PA01487, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1614353 du Tribunal administratif de Paris en date du 15 mars 2018 ;
2°) de remettre à la charge de Mme C... l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu résultant de la mise en demeure du 24 mai 2016 dont la décharge a été prononcée par les premiers juges.
Il soutient que :
- les impositions en cause ayant été mises en recouvrement le 31 mai 1995, l'article 1691 bis du code général des impôts visé par les premiers juges n'est pas applicable au litige ;
- les époux ont fait l'objet d'une imposition commune ;
- en l'absence de réclamation préalable, les conclusions de la demande tendant à ce que les premiers juges prononcent une décharge de responsabilité solidaire de paiement étaient irrecevables ;
- le moyen tiré de l'application des dispositions du a de l'article 6 du code général des impôts relève du contentieux de l'assiette et est inopérant dans le cadre d'un litige relatif a l'obligation de payer ;
- la nature du régime matrimonial et les modalités de résidence des époux sont sans incidence sur leur solidarité légale pour le paiement de l'impôt sur le revenu.
Par des mémoires enregistrés les 26 avril et 13 septembre 2019, Mme C..., représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête du ministre de l'action et des comptes publics et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'est pas solidaire des dettes fiscales de M. E... ;
- ils n'ont pas fait l'objet d'une imposition commune, condition d'application de la solidarité prévue par l'article 1685 du code général des impôts ;
- ils étaient mariés sous le régime de la séparation de biens et ne vivaient pas sous le même toit ;
- elle était domiciliée à Genève et était imposée sur ses revenus en Suisse ;
- ils n'ont pas fait l'objet d'une imposition commune ;
- elle a contesté, dans sa réclamation préalable, l'exigibilité des impôts en se prévalant de la prescription de l'action en recouvrement de l'administration fiscale résultant des dispositions de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales ;
- dès lors qu'elle n'est pas solidaire des dettes fiscales de son ex-époux, les actes dont se prévaut l'administration ne peuvent avoir interrompu la prescription à son égard ;
- elle n'est pas redevable des impositions en cause ;
- l'avis à tiers détenteur du 8 février 2006 ne lui a jamais été notifié ;
- la prescription lui est acquise depuis le 2 février 2010 ;
- les actes de poursuites et notamment les déclarations de créances des 23 janvier et 12 juin 1995 ne lui ont pas été notifiés.
II) Par une requête enregistrée sous le n° 18PA01488 le 2 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 1614353 du Tribunal administratif de Paris en date du 15 mars 2018.
Il soutient que les conditions du sursis à exécution posées à l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont réunies ; qu'il développe des moyens qui apparaissent sérieux en l'état de l'instruction ; que l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner la perte de l'inscription hypothécaire provisoire obtenue par le compte public pour assurer le recouvrement des impositions en cause et aurait des conséquences difficilement réparables, le comptable se trouvant privée de toute garantie de nature à assurer ce recouvrement.
La présente affaire a été dispensée d'instruction en application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- et le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré, rapporteur,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... et son époux, M. E..., mariés le 16 avril 1991 et divorcés en 2008, ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 1991 et 1992 et à des cotisations de taxe d'habitation et de contribution à l'audiovisuel public au titre des années 2012 à 2015. En vue du recouvrement de ces impositions et des majorations correspondantes, le service des impôts des particuliers du 7ème arrondissement de Paris a adressé à Mme C... trois mises en demeure valant commandement de payer du 24 mai 2016, pour un montant de 3 047 514,94 euros.
2. Sous le n° 18PA01487, le ministre de l'action et des comptes doit être regardé comme demandant à la Cour d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 15 mars 2018, en tant qu'il a déchargé Mme C... de l'obligation solidaire de payer les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie avec son ex-mari au titre des années 1991 et 1992. Sous le n° 18PA01488, le ministre demande le sursis à exécution de ce jugement. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes dirigées contre un même jugement, pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 18PA01487 :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 1685 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années 1991 et 1992 au titre desquelles les impositions contestées ont été établies : " 1. Chacun des époux, lorsqu'ils vivent sous le même toit, est solidairement responsable des impositions assises au nom de son conjoint, au titre de la taxe d'habitation. / 2. Chacun des époux est tenu solidairement au paiement de l'impôt sur le revenu (...). Chacun des époux peut demander à être déchargé de cette obligation ". Aux termes de l'article 1691 bis dudit code dans sa rédaction issue de l'article 9 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 : " (...) II. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement (...). La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. (...) ". Aux termes du II du même article 9 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 : " Le II de l'article 1691 bis du code général des impôts est applicable aux demandes en décharge de l'obligation de paiement déposées à compter du 1er janvier 2008 ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'ils sont soumis à imposition commune, les époux sont solidairement responsables du paiement de l'impôt sur le revenu et qu'à défaut de paiement spontané, l'administration peut poursuivre chacun des conjoints pour la totalité de l'impôt sans être tenue de répartir entre eux la dette fiscale du foyer. Le droit légal à décharge de solidarité de paiement entre époux qu'elles instituent est subordonné à une demande préalable présentée à l'administration fiscale à compter du 1er janvier 2008.
5. Il résulte de la réclamation présentée par Mme C... le 8 juin 2016 en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qu'elle ne demandait pas à être déchargée de son obligation solidaire de paiement, mais en contestait l'existence. Par suite, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que le Tribunal, qui a regardé
Mme C... comme sollicitant une décharge de son obligation solidaire au paiement des impositions en cause, ne pouvait faire droit à cette demande qui était irrecevable en l'absence de réclamation préalable auprès de l'administration fiscale. Le jugement attaqué doit, par suite, être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.
6. Il y a lieu, dans cette mesure, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C... devant le Tribunal administratif de Paris.
En ce qui concerne les conclusions à fin de décharge :
7. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics compétents mentionnés à l'article L. 252 doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. Les contestations ne peuvent porter que : 1° Soit sur la régularité en la forme de l'acte ; 2° Soit sur l'existence de l'obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt (...) ".
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment des avis d'imposition et de l'extrait de rôle produits par l'administration, que Mme C... et son ex-mari, M. E..., ont fait l'objet, au titre des années 1991 et 1992 d'une imposition commune à l'impôt sur le revenu. Dès lors, en application des dispositions précitées de l'article 1685 du code général des impôts alors en vigueur, Mme C... est solidairement tenue au paiement de ces impositions.
9. En deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 du code général des impôts : " 1. (...) Sauf application des dispositions des 4 et du second alinéa du 5, les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles et ceux de leurs enfants et des personnes à charge mentionnés au premier alinéa ; cette imposition est établie au nom de l'époux, précédée de la mention " Monsieur ou Madame ". (...) / 4. Les époux font l'objet d'impositions distinctes : a. Lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit (...) ".
10. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, les contestations relatives au recouvrement des impôts ne peuvent porter sur un motif remettant en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. En faisant valoir qu'elle était mariée sous le régime de la séparation des biens et qu'elle n'a jamais résidé sous le même toit que son ex-époux, Mme C... doit être regardée comme soutenant qu'elle n'est pas solidairement tenue au paiement des impositions en litige au motif que les époux auraient dû faire l'objet d'impositions distinctes, en application du 4 de l'article 6 du même code. Un tel moyen remet en cause l'assiette de l'impôt dont le paiement est réclamé à Mme C.... Dès lors, elle ne peut utilement s'en prévaloir à l'appui d'une contestation portant sur le recouvrement de l'impôt, régie par l'article L. 281 du livre des procédures fiscales.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable ". Aux termes de l'article 1206 du code civil, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les poursuites faites contre l'un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l'égard de tous ". Enfin, aux termes de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, repris à l'article L. 622-21 du code de commerce : " Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant : - à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; / - à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. / Il arrête et interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles. / Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence suspendus ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'effet interruptif de prescription d'une déclaration de créances fiscales au passif d'une procédure collective ouverte à l'encontre de l'un des époux s'étend à l'autre époux, quel que soit le régime matrimonial et même s'ils sont séparés de biens, pour les impositions au paiement desquelles ils sont solidairement tenus.
12. Mme C... et son ex-époux étaient solidairement tenus au paiement de l'impôt sur le revenu des années 1991 et 1992, au titre desquelles ils ont fait l'objet, ainsi qu'il a été dit, d'une imposition commune, en application des dispositions précitées de l'article 1685 du code général des impôts. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'en l'absence de solidarité des époux, les dispositions précitées de l'article 1206 du code civil ne lui étaient pas opposables.
13. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la procédure de redressement judiciaire dont M. D... a fait l'objet a été ouverte par jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 30 novembre 1994, a été converti en liquidation judiciaire par un jugement du 25 mars 1996 et a abouti à un jugement de clôture pour insuffisance d'actif le 27 août 2015. Il résulte également des bordereaux de déclaration produits en cours d'instance par l'administration et dont la requérante a eu communication dans le cadre de la présente instance, que le comptable public a déclaré sa créance au passif de la procédure les 23 janvier et 12 juin 1995. L'effet interruptif de la prescription attaché à la déclaration de créance au passif de la procédure collective s'est poursuivi jusqu'au 27 août 2015, y compris à l'égard de Mme C..., redevable solidaire des impositions, alors même que cette déclaration ne lui a pas été personnellement notifiée et que, vivant séparée de son époux, elle n'en aurait pas été informée. La prescription de l'action en recouvrement prévue par les dispositions précitées de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales n'était, par suite, pas acquise à Mme C... le 24 mai 2016, date à laquelle le trésorier principal du 7e arrondissement de Paris a émis à son encontre la mise en demeure en litige, le délai de prescription des créances fiscales du Trésor public correspondant aux cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux relatives aux années 1991 et 1992.
14. Enfin, aux termes des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
15. Le moyen tiré de ce que les dispositions relatives à la prescription citées au point 11 ci-dessus instaureraient une discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ne peut qu'être écarté, dès lors que, contrairement à ce que soutient la requérante, eu égard aux motifs d'intérêt général qui s'attachent aux règles de prescription, le traitement indifférencié des conjoints débiteurs solidaires, que les époux résident ensemble ou séparément, ne constitue ni une atteinte excessive aux droits et principes définis par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni une discrimination illégale, quand bien même les conjoints seraient, en cas de séparation, moins bien informés des poursuites engagées à l'encontre de l'un d'entre eux.
En ce qui concerne les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C... demande au titre des frais qu'elle a exposés.
Sur la requête n° 18PA01488 :
17. Dès lors qu'il est statué sur le fond du litige, les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué présentées par le ministre de l'action et des comptes publics sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative se trouvent privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 18PA01488 du ministre de l'action et des comptes publics.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 15 mars 2018 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux.
Article 3 : Mme C... est rétablie dans son obligation de payer la somme de 3 042 368,94 euros résultant de la mise en demeure du 24 mai 2016 valant commandement de payer.
Article 4 : Les conclusions de Mme C... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à Mme A... C....
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris - Pôle fiscal parisien 1 - Service du contentieux d'appel déconcentré.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président-assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 octobre 2019.
Le rapporteur,
F. DORÉLe président,
S.-L. FORMERYLa greffière,
F. DUBUYLa République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 18PA01487, 18PA01488 2