Procédure devant la Cour :
I. Par une requête n° 21PA02868, enregistrée le 28 mai 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2107602 du 13 avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris.
Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-5 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Lantheaume, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Saint-Denis ne sont pas fondés.
II. Par une requête n° 21PA02869 enregistrée le 28 mai 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2107602 du 13 avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- son droit à un procès équitable, protégé par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a été méconnu, dès lors que, d'une part, la lecture du jugement semble révéler un parti-pris en faveur de M. A..., comme en atteste l'adverbe " malheureusement " quand il est fait état du décès des deux enfants de l'intéressé et que, d'autre part, la pièce sur laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris s'est fondé pour accueillir le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la même convention et faire droit à la demande de M. A... ne lui a pas été communiquée ;
- M. A... ne justifie pas d'une vie privée et familiale en France à laquelle la mesure d'éloignement prise à son encontre serait susceptible de porter une atteinte disproportionnée ; en particulier, la communauté de vie entre M. A... et Mme B... n'est pas établie ; par ailleurs, M. A... représente une menace à l'ordre public ;
-aucun des autres moyens soulevés par M. A... dans sa demande n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 décembre 2021, M. A..., représenté par Me Lantheaume, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Saint-Denis ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... ;
- et les observations de Me Lantheaume, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 3 novembre 1983 à Morovia (Mali), a été interpellé à son domicile et placé en garde à vue, le 9 avril 2021, pour des faits présumés de violence conjugale. Par arrêté du 10 avril 2021, le préfet de la Seine-Saint-Denis a obligé M. A... à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et a pris à son encontre une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois. Par une première requête enregistrée sous le n° 21PA02869, le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel du jugement du 13 avril 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 avril 2021 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé dans un délai d'un mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 21PA02868, il demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement.
2. Les requêtes susvisées 21PA02868 et 21PA02869, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis tendent, respectivement, à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement du 13 avril 2021 du magistrat désigné par le tribunal administratif de Paris. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 21PA02869 :
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 776-24 du code de justice administrative, qui sont applicables lorsque l'étranger qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement est placé en rétention, comme cela a été le cas de M. A... : " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou par le magistrat désigné, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations. " Et aux termes de l'article R. 776-26 du même code : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience ".
4. En premier lieu, pour accueillir le moyen, soulevé par M. A... à l'appui de sa demande, tiré de ce que l'obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a relevé, au point 3 du jugement, que la réalité de la vie commune entre l'intéressé et Mme B..., ressortissante française, était établie par de nombreuses pièces et notamment par un pacte civil de solidarité conclu par le couple le 18 avril 2019 auprès de la Mairie de Livry-Gargan. Le ministre soutient que cette attestation ne lui a pas été communiquée. Il ressort toutefois des pièces du dossier de première instance que l'attestation de concubinage était jointe au mémoire de production de pièces enregistré le 13 avril 2021 à 12h33, jour de l'audience, et qu'elle a été mise à la disposition de son conseil, le cabinet Centaure avocat, le même jour à 12h49. Le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui était représenté lors de l'audience du 13 avril 2021 à 13h30, n'apporte aucun élément laissant penser qu'il n'aurait pas pu prendre connaissance de cette pièce avant ou, le cas échéant, pendant l'audience et présenter ses observations à ce titre dans les conditions prévues aux articles R. 776-24 et R. 776-26 du code de justice administrative. Il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire a été méconnu.
5. En second lieu, l'utilisation de l'adverbe " malheureusement ", s'agissant du décès des deux enfants que M. A... a eu avec Mme B..., ne démontre pas que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris aurait fait preuve de partialité à l'encontre du préfet de la Seine-Saint-Denis, comme celui-ci le soutient.
6. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par le tribunal des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme des et libertés fondamentales doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas sérieusement contesté que M. A... réside en France depuis l'année 2018, date à laquelle il indique être venu rejoindre sa compagne de nationalité française avec laquelle il vit à Paris. La réalité de la vie commune, à la date de l'arrêté attaqué, est attestée notamment par un pacte civil de solidarité conclu par le couple le 18 avril 2019 auprès de la Mairie de Livry-Gargan, par les déclarations de sa compagne notamment lors de son audition suite à l'interpellation de M. A... le 9 avril 2021, par une attestation d'assurance habitation souscrite aux deux noms en 2020, par des relevés bancaires et des factures d'électricité aux deux noms, et par le fait que M. A... a été interpellé, le 9 avril 2021, au domicile commun que les intéressés occupent depuis le 29 janvier 2021 au 10 avenue Jean Jaurès à Rosny-sous-Bois. Il ressort en outre des pièces du dossier que le requérant connaît sa compagne depuis plusieurs années, le couple ayant eu deux enfants en 2018 et 2019, tous deux décédés. Dans ces conditions, alors même que M. A... a été interpellé pour des faits présumés de violence sur sa compagne, qui, si elle a déposé une main courante, n'a pas porté plainte, et pour lesquels le procureur a prononcé un rappel à la loi le 21 mai 2021, c'est à bon droit que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a accueilli le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 10 avril 2021 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai d'un mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Sur la requête n° 21PA02868 :
10. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête n° 21PA02869 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement du 13 avril 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 21PA02868 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé à la Cour le sursis à exécution de ce jugement.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 21PA02869 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA02868.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 17 février 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Cécile Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.
La rapporteure,
C. D...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA02868, 21PA02869 2