Procédure devant la Cour :
I. Par une requête n° 20PA02544, enregistrée le 2 septembre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1810591 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. Lemaître devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient qu'il n'a pas commis d'erreur d'appréciation en rejetant la demande d'imputabilité au service de la pathologie dont souffre M. Lemaître.
La requête a été communiquée à M. Lemaître, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II. Par une requête n° 20PA02593, enregistrée le 7 septembre 2020, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1810591 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris.
Il soutient que le moyen tiré de ce qu'il n'a pas commis d'erreur d'appréciation en rejetant la demande d'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître est sérieux et de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaquée et le rejet des conclusions de la demande.
La requête a été communiquée à M. Lemaître, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Les parties ont été informées, par lettre du 15 décembre 2021, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible de prescrire d'office une mesure d'exécution en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tendant au réexamen de la demande de M. Lemaître concernant l'imputabilité au service de sa maladie.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba,
- et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. Lemaître, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, alors mis à disposition de l'association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'intérieur, a été suspendu de ses fonctions du 6 février 2015 au 1er octobre 2017 suite à un placement sous contrôle judiciaire pour des faits survenus dans l'exercice de ses fonctions. Il a été placé en congé de maladie, puis en congé de longue durée, du 1er octobre 2017 au 30 juin 2019, ce congé étant ensuite prorogé jusqu'au 30 juin 2020. Par arrêté du 16 avril 2018, le ministre de l'intérieur a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître. Par jugement du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au ministre de l'intérieur de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une requête n° 20PA02544, le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement. Par une requête n° 20PA02593, il demande à la Cour d'en ordonner le sursis à exécution.
2. Les requêtes susvisées n° 20PA02544 et n° 20PA02593, présentées par le ministre de l'intérieur, tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Paris. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête enregistrée sous le n° 20PA02544 :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :
3. Pour annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a accueilli le moyen tiré de l'erreur d'appréciation que le ministre aurait commise en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître.
4. Il ressort des pièces du dossier que la maladie qui a justifié la demande de M. Lemaître a été diagnostiquée au plus tard le 20 juin 2016, date à laquelle l'intéressé a consulté le docteur A..., médecin en poste au CHU Raymond Poincaré de Garches, pour une " souffrance psychologique majeure ", soit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 19 janvier 2017 et des dispositions du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 issu de l'article 10 de cette ordonnance. Par suite, et dès lors que les droits des agents publics en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie diagnostiquée, sa demande était entièrement régie par les dispositions du deuxième alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans leur version applicable à la date du 20 juin 2016.
5. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le fonctionnaire en activité a droit : [...] / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident [...] ". Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. Lemaître souffre d'un syndrome anxio-dépressif majeur avec épuisement psychique, troubles du sommeil et somatisations diverses, pour lequel il a été suivi par le service médical de prévention du ministère de l'intérieur, par un praticien spécialisé dans la souffrance au travail et par un centre médico-psychologique. Il soutient que sa pathologie résulte de la suspension de fonctions dont il a fait l'objet du 6 février 2015 au 1er octobre 2017, soit pendant plus de 32 mois, suite à un placement sous contrôle judiciaire pour des faits survenus dans l'exercice de ses fonctions et produit à l'appui de ses allégations des pièces attestant qu'il a été placé en arrêt de travail en raison de sa pathologie du 8 février 2017 au 30 novembre 2018, et qu'il suit un traitement régulier pour réduire ses troubles psychiques. Toutefois, il est constant que la survenance de la pathologie de M. Lemaître est consécutive à la suspension de l'intéressé, le 6 février 2015, suite à son placement sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une procédure pénale dans laquelle il a été poursuivi pour des chefs de complicité de trafic d'influence, recel de violation du secret de l'instruction et recel de révélation d'informations sur une instruction en cours dans le but d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité. La seule circonstance que M. Lemaître n'aurait fait qu'obéir aux ordres qui lui ont été donnés par ses supérieurs hiérarchique ne permet pas d'établir l'existence d'un lien direct entre la pathologie de M. Lemaître et l'exercice de ses fonctions ou avec ses conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause ni, en tout état de cause, à l'absence de fait personnel conduisant à détacher la survenance de la maladie du service. Il en va de même de la circonstance que le psychiatre agréé de l'administration aurait rendu le 14 mars 2018 un avis, qui n'a pas été produit à l'instance, dans lequel il se serait prononcé contre la reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître, en se fondant uniquement, selon les affirmations du ministre de l'intérieur, sur l'absence de consolidation de cette pathologie.
7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'erreur d'appréciation que le ministre de l'intérieur aurait commise en ne reconnaissant pas l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître pour annuler l'arrêté du 16 avril 2018 du ministre de l'intérieur.
8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. Lemaître devant le tribunal administratif de Paris.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. Lemaître :
9. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cette effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...). " Et aux termes de l'article L. 211-5 de ce même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. "
10. Par la décision attaquée en date du 16 avril 2018, le ministre de l'intérieur a refusé à M. Lemaître le bénéfice des dispositions du 2ème alinéa du 2° de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa rédaction applicable au présent litige, ouvrant droit au fonctionnaire, si l'accident est survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, de conserver l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Cette décision doit, dès lors, être regardée comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, et sous réserve des dispositions figurant au deuxième alinéa de l'article L. 211-6 du même code, selon lesquelles ses dispositions " ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ", cette décision doit être motivée et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
11. La décision attaquée mentionne seulement que " la maladie professionnelle déclarée le 3/02/2015 par M. B... Lemaître (...) est reconnue non imputable au service ". Si elle vise l'avis émis par la Commission de réforme dans sa séance du 10 avril 2018, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet avis aurait été joint à l'arrêté litigieux, d'autre part et en tout état de cause, cet avis n'est lui-même pas motivé. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation, soulevé par M. Lemaître, doit être accueilli et justifie l'annulation de la décision du 16 avril 2018 du ministre de l'intérieur.
12. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision en date du 16 avril 2018 et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
13. En revanche, cette annulation, pour erreur de droit et défaut de motivation, n'implique pas nécessairement que le ministre de l'intérieur reconnaisse l'imputabilité au service de la pathologie de M. Lemaître. Il en résulte que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris lui a enjoint de procéder à cette reconnaissance.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Le juge administratif doit statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision.
15. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté du 16 avril 2018 par lequel le ministre de l'intérieur, rappelé au point 11, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que celui-ci réexamine la demande de M. Lemaître tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie, dans un délai de quatre mois à compter de sa notification.
Sur la requête enregistrée sous le n° 20PA02593 :
16. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1810591 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le surplus de la requête n° 20PA02544 du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de M. Lemaître tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20PA02593 du ministre de l'intérieur.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... Lemaître.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à dispositions au greffe, le 27 janvier 2022.
La rapporteure,
C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA02544, 20PA02593 2