Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 janvier 2020 et 26 mars 2021, Mme E..., représentée par Me H..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1804791 en date du 21 novembre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler son évaluation professionnelle de l'année 2017 ;
3°) de mettre à la charge du Sénat la somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, car le tribunal a commis une erreur de droit en donnant une interprétation restrictive au principe d'impartialité et en estimant que la mention de l'aménagement de son poste de travail dans son évaluation n'entachait pas celle-ci d'une erreur de droit ;
- son entretien individuel d'évaluation de l'année 2017 a été conduit, en méconnaissance du principe d'impartialité, par son supérieur hiérarchique direct alors qu'elle se trouvait en concurrence directe avec ce dernier, lequel était également candidat à l'avancement au grade de conseiller des comptes rendus hors classe au titre de l'année 2018 ;
- la mention de l'aménagement de son poste de travail dans son évaluation professionnelle de l'année 2017 constitue une discrimination fondée sur son état de santé ;
- la durée de son entretien individuel a été anormalement courte par rapport aux années précédentes ;
- son évaluation professionnelle de l'année 2017 est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- son évaluation professionnelle de l'année 2017 est entachée de détournement de pouvoir.
Par des mémoires enregistrés, les 16 juin 2020 et 28 avril 2021, le Sénat, représenté par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- le règlement intérieur du Sénat ;
- la décision D 13-29/163 du 3 juillet 2013 des secrétaires généraux du Sénat ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,
- les observations de Me C..., substituant Me H..., représentant Mme E... et de Me A..., représentant le Sénat.
Deux notes en délibéré, enregistrées les 7 et 10 mai 2021, ont été présentées par Me H... pour Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... a été employée par le Sénat en qualité de sténographe des débats à compter du 1er octobre 1987, puis titularisée à compter du 1er octobre 1988. Promue le 1er janvier 2011 au grade de conseiller de compte rendu intégral, elle exerce les fonctions d'analyste rédacteur au sein de la direction des comptes rendus. Insatisfaite de sa fiche d'appréciation professionnelle de l'année 2017, elle a saisi successivement le directeur des ressources humaines et de la formation au Sénat d'une demande de modification de cette fiche, puis la commission administrative paritaire d'une demande de révision. Le 26 janvier 2018, le directeur des comptes rendus du Sénat a révisé à la hausse son évaluation de l'année 2017 conformément à l'avis de la commission administrative paritaire. Mme E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler son évaluation professionnelle de l'année 2017, telle que modifiée le 26 janvier 2018. Par un jugement du 21 novembre 2019, dont Mme E... fait appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si Mme E... soutient que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en ce que le premier juge aurait estimé, à tort, que son supérieur hiérarchique direct, M. F..., pouvait conduire son entretien annuel d'évaluation pour 2017 sans méconnaitre le principe d'impartialité, alors qu'il était en concurrence directe avec elle pour l'obtention d'un avancement au grade de conseiller des comptes rendus hors classe, ce moyen ne se rapporte pas à la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Il doit dès lors être écarté comme sans influence sur sa régularité.
3. En second lieu, le moyen tiré de ce que la mention de l'aménagement du poste de travail de Mme E... sur sa fiche d'appréciation professionnelle de l'année 2017 entacherait celle-ci d'irrégularité ne se rapporte pas la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Dès lors, ce moyen doit être également écarté comme étant sans influence sur la régularité du jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 125 du règlement intérieur du Sénat : " Chaque année, les directeurs établissent pour chacun des fonctionnaires placés sous leur autorité, une fiche d'appréciation professionnelle, dont les éléments sont fixés par décision commune des Secrétaires généraux. (...) ". L'article 2 de la décision commune D 13-29/163 du 3 juillet 2013 des secrétaires généraux prévoit que " La fiche d'appréciation professionnelle est établie par le directeur du fonctionnaire évalué, qui tient compte des éléments figurant dans la synthèse de l'entretien annuel d'activité de l'année concernée. (...) ".
5. Il résulte des dispositions précitées - qui sont dépourvues de toute ambigüité - que si la fiche d'appréciation professionnelle des fonctionnaires de la direction des comptes rendus doit être établie par le directeur du fonctionnaire évalué, l'entretien annuel d'activité n'a pas à être mené par le directeur. En l'absence de toute disposition législative ou règlementaire imposant que l'entretien annuel soit également conduit par le directeur du fonctionnaire évalué, celui-ci peut être dirigé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire évalué sous la seule réserve que ce supérieur n'ait pas manifesté à l'égard du fonctionnaire évalué un parti pris ou une animosité personnelle révélant un manquement à l'obligation d'impartialité à laquelle est tenu tout représentant de l'administration.
6. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que M. F..., le supérieur hiérarchique direct de Mme E..., n'a manifesté aucune animosité particulière à son encontre durant son entretien professionnel. En outre, la circonstance que M. F... et Mme E... figuraient tous deux sur la liste des candidats proposables au grade de conseiller hors classe en 2018 n'est pas, en elle-même, de nature à entacher de partialité la procédure d'évaluation. Par ailleurs, si Mme E... soutient que la note rédigée par Mme B..., cheffe du pôle du compte rendu intégral le 17 décembre 2017 entache également sa procédure d'évaluation de défaut d'impartialité, cette note visait seulement à éclairer la commission de médiation qui s'est réunie le 18 décembre 2017 pour examiner la demande de modification de son évaluation présentée par la requérante. Or, si dans cette note, la cheffe de pôle relève plusieurs insuffisances dans le travail de Mme E..., les termes employés ne traduisent pas d'animosité personnelle à son encontre. En outre, les réserves émises par Mme B..., qui au demeurant n'est pas l'autorité décisionnaire, n'ont pas été reprises par le directeur des comptes rendus dans la fiche d'appréciation professionnelle de l'intéressée. Enfin, Mme E... ne conteste pas que son évaluation professionnelle de l'année 2017 établie par le directeur des comptes rendus au vu de l'entretien d'évaluation mené par M. F... ne diffère aucunement dans son contenu des évaluations arrêtées au titre des trois précédentes années 2014, 2015 et 2016 qu'elle n'a, au demeurant, pas contestées. Ainsi, la circonstance que l'entretien de Mme E... a été mené par son supérieur hiérarchique de proximité et que l'avis de sa cheffe de pôle a été recueilli dans le cadre de l'instruction par la commission de médiation de sa demande de modification de son évaluation n'est pas de nature à établir un manquement au principe d'impartialité et à entacher la procédure d'irrégularité.
7. En deuxième lieu, Mme E... fait valoir que la durée de son entretien a été anormalement courte par rapport aux années précédentes. Toutefois, les dispositions mentionnées au point 4 n'imposent pas de durée minimale. En outre, il n'est pas établi, ni même allégué, que Mme E... n'aurait pas pu présenter les observations qu'elle souhaitait lors de cet entretien, dont elle a signé la synthèse sans formuler de réserves.
8. En troisième lieu, aux termes l'article 1er de la décision D 13-29/163 du 3 juillet 2013 des secrétaires généraux du Sénat : " La fiche d'appréciation professionnelle évalue chaque année la qualité du travail et la manière de servir d'un fonctionnaire du Sénat ". L'article 2 prévoit que : " La fiche d'appréciation professionnelle comporte deux parties distinctes : / - une grille qui mentionne plusieurs critères d'évaluation précis (première partie) ; / une appréciation générale finale (seconde partie) ". Aux termes de l'article 4 de la même décision : " L'appréciation générale du directeur a pour objet de dresser le bilan d'une année d'activité accomplie par un fonctionnaire. ".
9. Il ressort de la fiche d'évaluation de l'intéressée que son comportement professionnel, sa maîtrise du poste et ses compétences spécifiques liées à ses fonctions d'analyste - rédacteur ont été appréciés à travers douze critères pour lesquels son niveau a été évalué de " bon " à " excellent ". Ainsi, si l'appréciation littérale portée par le directeur sur son travail est purement descriptive, en ce qu'elle fait uniquement état des missions réalisées par l'intéressée au cours de l'année, l'appréciation portée sur la valeur professionnelle de Mme E... apparaît clairement à la lecture de la grille d'évaluation. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que sa valeur professionnelle aurait été évaluée en méconnaissance des dispositions citées au point 8.
10. En quatrième lieu, la requérante soutient que la mention de l'aménagement de son poste de travail sur sa fiche d'évaluation professionnelle de l'année 2017 révèlerait une discrimination de la part de son employeur à son égard en raison de son état de santé. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'administration a fait référence à l'aménagement du poste de travail de Mme E... dans son évaluation dans le seul but de faire état de ce que cette dernière n'avait pas été lésée ou mise en difficulté pour exercer son activité professionnelle par des conditions de travail inadaptées à son état de santé. La nature de la pathologie dont souffre la requérante n'est pas mentionnée et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'appréciation émise sur sa valeur professionnelle reposerait sur son état de santé dès lors que cette indication se borne à préciser le cadre dans lequel Mme E... exerce ses fonctions. Il suit de là que l'intéressée n'est pas non plus fondée à soutenir que son appréciation professionnelle serait révélatrice d'une discrimination à raison de son état de santé.
11. En cinquième lieu, si Mme E... soutient que cette évaluation sous-estimerait sa manière de servir, il ressort néanmoins des pièces du dossier que, si la requérante fait preuve d'une grande célérité dans l'exercice de ses missions, cette célérité est obtenue parfois au détriment de la qualité de son travail. Dans ces conditions, et alors que ses compétences ont été qualifiées de " bonnes ", " très bonnes " ou " excellentes ", Mme E... n'est pas fondée à soutenir que sa fiche d'appréciation professionnelle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. En dernier lieu, si Mme E... soutient que son évaluation professionnelle de l'année 2017 serait entachée de détournement de pouvoir, la réalité d'un tel détournement n'est pas établie.
13. Il résulte de l'ensemble de qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de son évaluation professionnelle de l'année 2017.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par Mme E... doivent dès lors être rejetées. Il y a lieu, en revanche, de faire droit à hauteur de 1 500 euros aux conclusions présentées par le Sénat sur le fondement du même article.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par Mme E... est rejetée.
Article 2 : Mme E... versera au Sénat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... et au président du Sénat.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 mai 2021.
Le rapporteur,
I. D...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00178