Par une requête enregistrée le 28 juin 2018, MmeD..., représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun du 29 mai 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 19 mars 2018 mentionné ci-dessus ;
3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le premier juge a insuffisamment motivé son jugement ;
- l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne est entaché d'erreurs de fait, lesquelles révèlent un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il méconnait son droit d'être entendue, garanti par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 et par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, dès lors qu'elle n'a jamais été avertie de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, et qu'elle n'a pu présenter ses observations en conséquence ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de Seine-et-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de MeC..., pour MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...est née le 1er août 1979 à Douala (Cameroun). Selon ses déclarations, elle est entrée en France en 2013. Elle a été interpellée le 19 mars 2018 lors d'un contrôle d'identité à la gare de Tournan-en-Brie. Lors de son audition, l'intéressée a reconnu se maintenir irrégulièrement sur le territoire français. Par un arrêté du 19 mars 2018, le préfet de Seine-et-Marne l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 29 mai 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation dirigée contre cet arrêté. Mme D...fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun a répondu aux moyens soulevés par Mme D...en première instance, et notamment à celui par lequel elle faisait état de sa situation familiale en France. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne :
3. En premier lieu, Mme D...soutient que la décision attaquée est entachée d'erreurs de fait dans la mesure où le préfet y indique, d'une part, qu'elle ne dispose pas d'un domicile stable, alors qu'elle justifie avoir résidé pendant plusieurs années chez des proches, et qu'elle est désormais locataire d'un studio, et d'autre part, qu'elle ne dispose pas d'un document de voyage en cours de validité, alors qu'elle dispose d'un passeport valable jusqu'au 19 novembre 2020. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision, fondée sur le caractère irrégulier de son séjour en France, s'il avait eu connaissance de ces circonstances. En outre, Mme D...ayant indiqué lors de son interrogatoire par les services de la Gendarmerie le 19 mars 2018 à 11 heures, ne plus avoir de passeport et n'ayant alors pas précisé l'adresse de son studio, les erreurs commises par le préfet ne sauraient révéler un défaut d'examen de sa situation personnelle.
4. En deuxième lieu, les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, dès lors que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Cet étranger peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, applicable aux mesures d'éloignement des étrangers qui se situent dans le champ d'application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.
5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de l'audition établi le 19 mars 2018 par les services de police, que MmeD..., qui se maintenait en toute connaissance de cause irrégulièrement en France et n'était pas sans savoir qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, a été entendue dans le cadre de sa garde à vue, et a été invitée à faire valoir toutes les informations utiles concernant sa situation personnelle. En outre, elle ne fait pas état devant le juge de circonstances de droit ou de fait qui, si elles avaient été portées à la connaissance du préfet avant la signature de l'arrêté, auraient pu conduire ce dernier à retenir une appréciation différente des faits de l'espèce. Dans ces conditions, Mme D...n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été effectivement privée de son droit d'être entendue avant l'adoption d'une décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Mme D...soutient résider en France de manière continue depuis 2013, y disposer d'attaches familiales solides puisque sa soeur jumelle, dont elle affirme être proche, réside régulièrement sur le territoire français, et soutient exercer une activité professionnelle. Toutefois, pour démontrer l'intensité de ses liens familiaux en France, Mme D...se borne à produire des actes de naissance de personnes qu'elle présente comme étant ses neveux et nièces. En outre, l'intéressée est célibataire et sans charge de famille en France, et n'allègue pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a résidé jusqu'à l'âge de 34 ans et où résident ses parents. Dans ces conditions, l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.
8. Enfin, compte tenu de ce qui vient d'être dit de sa situation familiale, et alors même que Mme D...travaille en tant qu'aide à domicile, se livre à diverses activités associatives, et soutient être bien intégrée à la société française, l'arrêté dont elle a fait l'objet, ne peut être regardé comme reposant sur une appréciation manifestement erronée.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 février 2019.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLET
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02203