Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 24 janvier 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 novembre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de M. A...présentée devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision litigieuse était entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les autres moyens examinés par l'effet dévolutif doivent également être écartés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2019, M.A..., représenté par Me B..., conclut, à titre principal, au rejet du recours, à titre subsidiaire, à ce que la Cour saisisse en vertu de l'article L. 2312-4 du code de la défense la commission consultative du secret de la défense nationale afin de lever le secret défense sur les documents incriminés dans le présent litige. Il demande, en outre, qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 9 avril 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 9 mai 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'arrêté du premier ministre du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., pour M.A....
Une note en délibéré, enregistrée le 26 juin 2019, a été présentée pour M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C...A..., commandant de police affecté à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), exerçait les fonctions d'adjoint au chef d'une division de sous-direction technique et bénéficiait, dans ce cadre, d'une habilitation " secret défense ". Les 31 mars et 12 avril 2016, il a été entendu par l'inspection générale de la sécurité intérieure au sujet de la consultation du fichier de données " CRISTINA ". A la suite de ces auditions, son habilitation " secret défense " lui a été retirée par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité le 28 juillet 2016. Par courrier du 19 septembre 2016, M. A...a formé, sans succès, un recours gracieux contre cette décision. M. A...a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 28 juillet 2016. Par un jugement du 22 novembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 31 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvé par l'arrêté du 30 novembre 2011 visé ci-dessus : " 3. Retrait d'habilitation : / La décision d'habilitation ne confère pas à son bénéficiaire de droit acquis à son maintien. L'habilitation peut être retirée en cours de validité ou à l'occasion d'une demande de renouvellement si l'intéressé ne remplit plus les conditions nécessaires à sa délivrance, ce qui peut être le cas lorsque des éléments de vulnérabilité apparaissent, signalés par exemple par : / - le service enquêteur ; / - le supérieur hiérarchique ou l'officier de sécurité concerné, à la suite d'un changement de situation ou de comportement révélant un risque pour la défense et la sécurité nationale. / La décision de retrait est notifiée à l'intéressé dans les mêmes formes que le refus d'habilitation, décrites à l'article 26 de la présente instruction, sans que les motifs lui soient communiqués s'ils sont classifiés. L'intéressé est informé des voies de recours et des délais qui lui sont ouverts pour contester cette décision. ". / Aux termes de l'article 21 de la même instruction : " L'habilitation ne permet pas d'accéder sans limite à toute information ou à tout support classifié au niveau correspondant. Une personne habilitée n'accède à une information ou à un support classifié que si son autorité hiérarchique estime que cet accès est nécessaire à l'exercice de sa fonction ou à l'accomplissement de sa mission. / L'autorité hiérarchique apprécie de façon rigoureuse et mesurée le besoin de connaître des informations classifiées. ".
3. Pour retirer à M. A...son habilitation " secret défense ", le haut fonctionnaire de défense et de sécurité s'est fondé, d'une part, sur le fait que l'intéressé avait communiqué des informations classifiées à un ancien agent de la DGSI, d'autre part, sur le fait que M. A...avait effectué à plusieurs reprises des consultations du fichier " CRISTINA " à titre personnel.
4. S'agissant du premier grief, M. A...admet avoir été en contact avec un ancien agent de la DGSI en disponibilité depuis le début de l'année 2014, afin qu'il reprenne contact avec un correspondant du service et obtienne un rendez-vous avec lui, alors que du fait de sa disponibilité cet ancien agent ne disposait plus de l'habilitation " secret défense ". Par ailleurs, si l'intimé nie avoir fourni des données sensibles, il ressort des pièces du dossier, et notamment des nouveaux documents produits en appel par le ministre, qu'à travers cet échange l'ancien agent a eu connaissance des initiales des nouveaux officiers traitants ainsi que de la présence d'un partenaire étranger dans le dispositif. Ce premier grief est donc établi.
5. S'agissant du second grief, le ministre fait état de consultations à plusieurs reprises du fichier " CRISTINA " à des fins personnelles. Si M. A...a nié une partie des faits reprochés, il a reconnu, lors des auditions de l'inspection générale de la sécurité intérieure, avoir consulté à plusieurs reprises ce fichier. En ce qui concerne la première consultation litigieuse, si M. A...a fait valoir en première instance qu'il avait consulté ce fichier afin d'y trouver le numéro d'un gardien de la paix placé en position de disponibilité qui souhaitait réintégrer le service, le ministre soutient sans être utilement contredit que M.A..., rompu au fonctionnement de ce fichier, n'était pas censé ignorer que cette information n'était pas accessible dans le fichier " CRISTINA ". En ce qui concerne la consultation du 3 novembre 2015, elle était relative à un correspondant de la DCRI, radié depuis 2011, connu de M.A..., mais qui fournissait des informations dans un champ de compétence étranger à celui de son service à la date de la consultation, sur les raisons de laquelle il a fourni deux explications différentes. Dans ces conditions, les justifications fournies par M. A...ne suffisent pas à remettre en cause les éléments de fait contenus dans des notes blanches du service des renseignements.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que les faits imputés à M. A...témoignaient bien d'une vulnérabilité de sa part et, par suite, qu'en lui retirant son habilitation " secret défense ", le haut fonctionnaire de défense et de sécurité n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Le ministre de l'intérieur est donc fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli ce moyen pour annuler la décision litigieuse du 28 juillet 2016.
Sur les autres moyens examinés par l'effet dévolutif de l'appel :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L.211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public (...) ". Et aux termes de l'article L.311-5 du même code : " I.- Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) b) Au secret de la défense nationale (...) ". Il résulte de ces dispositions que les décisions qui refusent ou retirent l'habilitation " secret défense " sont au nombre de celles dont la communication des motifs est de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être écarté.
8. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit n'imposaient que l'administration invite M. A...à s'expliquer ou à prendre connaissance de son dossier avant de prendre la décision attaquée. Le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire ne peut donc qu'être écarté alors qu'au surplus M. A...a bien été auditionné avant la prise de la décision litigieuse.
9. En dernier lieu, si M. A...soutient que le but véritable de l'auteur de l'acte était de l'évincer de ses fonctions, il ne l'établit pas. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit donc également être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M.A..., qui du fait même de l'existence du présent contentieux ne peut se prévaloir de la méconnaissance de son droit à un recours effectif tel que protégé par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 28 juillet 2016 lui retirant son habilitation " Secret défense ", sans qu'il y ait lieu de saisir avant dire droit, en application de l'article L. 2312-4 du code de la défense, la commission consultative du secret de la défense nationale afin de lever le secret défense sur les documents incriminés dans le présent litige. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1701071 du 22 novembre 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. A...présentées devant Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...A....
Délibéré après l'audience du 25 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2019.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA00445 4