Par un jugement n° 2102631/4-2 du 19 avril 2021, le Tribunal administratif de Paris a pour partie fait droit à la demande de M. A... B... en annulant le premier arrêté du
29 janvier 2021 en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, ainsi que l'arrêté du même jour lui interdisant de circuler sur le territoire français pendant une durée de 36 mois (article 1er), et a mis à la charge de l'Etat une somme de
1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2).
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2021, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du Tribunal administratif de Paris du
19 avril 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit au moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que M. A... B... ne justifie pas résider en France de manière habituelle depuis l'âge de treize ans ou de manière régulière depuis plus de vingt ans ;
- il ne justifie pas de la date et de ses conditions d'entrée sur le territoire français ;
- il n'apporte pas la preuve de la régularité de son séjour sur le territoire ;
- il a été incarcéré de nombreuses années ;
- il ne justifie pas de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants ;
- les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 septembre 2021, M. A... B..., représenté par Me Berdugo, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 19 avril 2021, d'annuler la décision lui refusant un délai de départ volontaire ainsi que l'arrêté lui faisant interdiction de circuler sur le territoire français pendant une durée de 36 mois ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré a été présentée pour M. A... B... le 21 septembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant portugais né le 17 mai 1963 à Porto, a, le
17 octobre 2019, fait l'objet d'un signalement par le Tribunal judiciaire de Versailles. Par deux arrêtés du 29 janvier 2021, le préfet de police a constaté la caducité de son droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de 36 mois. M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler ces arrêtés. Le préfet de police fait appel du jugement du 19 avril 2021 par lequel le tribunal administratif a pour partie fait droit à sa demande en annulant le premier arrêté du 29 janvier 2021 en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, ainsi que l'arrêté lui interdisant de circuler sur le territoire français pendant une durée de 36 mois.
2. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° (...) que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 511-4 du même code, alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 5° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire. Dans ce cadre, les éventuelles périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment du certificat de scolarité produit devant le tribunal administratif, établissant que M. A... B... a été scolarisé du
27 novembre 1971 au 1er juillet 1976 à l'école élémentaire d'Estienne d'Orves de la ville de Montreuil, où il demeurait alors, conforté par les attestations de deux de ses anciens camarades de classe, qu'il est entré en France alors qu'il était âgé de moins de treize ans. Il ressort des autres pièces produites en première instance, notamment de son casier judiciaire, qu'il y a résidé habituellement depuis lors. S'il a été condamné à neuf reprises à partir de 1985, et incarcéré de nombreuses années, ces périodes d'incarcération ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de sa résidence habituelle en France, pour l'application des dispositions citées ci-dessus du 2°) de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi que le tribunal administratif l'a jugé à bon droit, le préfet de police ne pouvait donc, sans méconnaitre ces dispositions, lui faire obligation de quitter le territoire français.
5. Le préfet de police ne saurait par ailleurs faire valoir utilement que
M. A... B... ne justifierait pas résider régulièrement en France depuis plus de vingt ans et entrer dans le cas prévu au 5°) de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et ne justifierait pas de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a pour partie annulé ses arrêtés du 29 janvier 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions mentionnées ci-dessus ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'État versera à M. A... B... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Célérier, président de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 octobre 2021.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
T. CELERIER
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02698