I. Par un recours, enregistré sous le n° 17PA02404 le 17 juillet 2017, le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 mai 2017.
Il soutient que le jugement du tribunal administratif est entaché d'erreur de droit en ce qu'il se fonde sur le jugement interprétatif du Tribunal de grande instance de Paris du 28 janvier 2015 constatant l'existence d'une discrimination syndicale à l'encontre de M. A...et déclarant prescrite l'action indemnitaire de M. A...fondée sur cette discrimination, alors que ce jugement a lui-même été interprété par un autre jugement du même tribunal du 11 janvier 2017 excluant avoir reconnu l'existence d'une telle discrimination syndicale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2018, M.A..., représenté par la SCP Boulloche, avocats aux Conseils, conclut au rejet du recours et à ce que le versement d'une somme de 4 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 juin 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juillet 2018.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 9 novembre 2017.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 17PA03914 le 21 décembre 2017, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 25 juin 2018, M.A..., représenté par la SCP Boulloche, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement mentionné ci-dessus du Tribunal administratif de Paris du 17 mai 2017 ;
2°) de condamner l'Etat au versement d'une somme totale de 4 321 000 euros, à parfaire, augmentée de 10 000 euros par mois à compter du 1er juin 2016, et des intérêts moratoires calculés comme en matière de commande publique ;
3°) d'ordonner la publication du jugement attaqué et du présent arrêt dans trois journaux ou périodiques et sur le site Internet du ministère de l'économie et des finances, dans un délai de dix jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement qui lui a été notifié ne permet pas de s'assurer du respect des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; ce jugement ne comporte pas les signatures requises ;
- le tribunal s'est mépris sur son office en rejetant ses conclusions à fin d'injonction de publication du jugement ;
- le tribunal a, pour rejeter en partie ses conclusions à fin de condamnation, soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public, de surcroit sans avoir mis en oeuvre la procédure prévue à l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- les préjudices dont il a demandé réparation ont été causés, non par un vice de procédure, mais par la discrimination syndicale dont il a été victime et qui a été la cause déterminante de l'engagement de la procédure disciplinaire et de la sanction de révocation ; il devrait être indemnisé de ces préjudices même si la discrimination syndicale n'était pas considérée comme la cause déterminante de l'engagement de la procédure disciplinaire et de la sanction ;
- son absentéisme qui n'a pas excédé quinze jours en deux ans, a été régularisé a postériori et correspondait à des décharges syndicales d'activité, et le cumul d'activités qui était connu de l'administration, tacitement autorisé par elle, était pareillement pratiqué par certains de ses collègues, et n'a donné lieu à aucun conflit d'intérêt ; ces motifs retenus dans la décision de révocation, n'ont pas constitué les véritables motifs de la sanction ;
- il doit être indemnisé de la totalité des préjudices qu'il a subis en conséquence de sa révocation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A...ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 juillet 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juillet 2018.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 20 octobre 2017.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le décret loi du 29 octobre 1936 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A...ancien administrateur de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE), a été révoqué par décret du président de la République du 25 janvier 1999. Par une décision du 23 mai 2001, le Conseil d'Etat a rejeté sa requête formée contre ce décret. Par une décision du 26 juillet 2006, le Conseil d'Etat a rejeté son recours en révision formé contre la décision du 23 mai 2001. Par un jugement du 5 février 2014, interprété par un jugement du 28 janvier 2015, puis par un jugement du 11 janvier 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré prescrite l'action indemnitaire fondée sur une discrimination syndicale à son encontre, qu'il avait engagée à l'encontre de M.C..., ancien secrétaire général de l'INSEE. M. A...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à réparer les préjudices, financier et moral, résultant de sa révocation et de la discrimination syndicale dont il dit avoir été victime. Par un jugement du 17 mai 2017, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du seul préjudice moral résultant de la discrimination syndicale dont il avait été victime avant sa révocation. Le ministre de l'économie et des finances et M. A...font appel de ce jugement.
2. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête de M. A...:
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Or, il ressort de la minute du jugement attaqué qu'elle comporte, conformément à ces dispositions et contrairement à ce que soutient M.A..., les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience.
4. En deuxième lieu, il n'appartient pas au juge administratif de prescrire la publication de ses décisions. C'est donc à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de M. A...tendant à ce que soit ordonnée la publication du jugement, comme irrecevables.
5. En troisième lieu, en estimant que M. A...n'était pas fondé à être indemnisé des préjudices consécutifs à la sanction de révocation, justifiée au fond, et n'était fondé à obtenir réparation que du préjudice moral résultant des agissements de discrimination syndicale, le tribunal administratif n'a soulevé d'office aucun moyen, mais s'est borné, dans le cadre de son office de juge du plein contentieux, à constater que les conditions d'engagement de la responsabilité publique n'étaient réunies qu'en ce qui concerne le seul fait de discrimination syndicale.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 visée ci-dessus : " Les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit (...)". Il n'est pas contesté que M. A...exerçait les fonctions de président du conseil d'administration de la société anonyme, " Stratégies économiques et financières internationales ", enregistrée au registre du commerce et des sociétés, qu'il avait constituée le 26 octobre 1990. Il ressort des statuts de cette société, qui a pour objet " l'étude, le conseil et la mise en oeuvre de toute forme d'investissements ", que les fonctions de président du conseil d'administration et d'administrateur sont rémunérées. Il en résulte que M.A..., qui a cumulé ses fonctions d'administrateur de l'INSEE avec une activité privée lucrative, a méconnu l'interdiction faite aux fonctionnaires d'exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. La circonstance que l'activité privée ainsi exercée se serait révélée déficitaire et que M. A...n'aurait pas perçu la rémunération prévue par les statuts n'est pas de nature à priver cette activité de son caractère lucratif. M. A...ne saurait utilement faire valoir que ses supérieurs auraient eu connaissance de sa situation, que certains de ses collègues auraient également exercé de telles activités privées ou qu'aucun conflit d'intérêts n'aurait été constitué, ces circonstances étant sans incidence sur la réalité et sur le caractère fautif des faits qui lui ont été reprochés.
7. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. A...ne s'est pas acquitté des tâches et missions qui lui avaient été confiées au sein de la direction régionale de l'INSEE d'Ile-de-France, et que son comportement a été notamment caractérisé par des absences injustifiées. Si M. A...soutient que ces absences n'ont pas excédé quinze jours en deux ans, il n'en conteste pas la réalité, et n'établit pas qu'elles auraient été régularisées a postériori. S'il fait valoir que ses fonctions de secrétaire général d'une organisation syndicale auraient justifié une décharge d'activité, il est constant qu'il ne disposait, à la date des faits reprochés, d'aucune décision lui octroyant une telle décharge d'activité.
8. L'exercice par M. A...d'une activité privée et sa manière de servir suffisaient, dans les circonstances de l'espèce, à justifier, sans erreur d'appréciation, l'application de la sanction de révocation.
9. Les agissements de discrimination syndicale dont M. A...a par ailleurs été victime avant sa révocation et la circonstance que certains de ses collègues auraient comme lui exercé des activités privées sans toutefois faire l'objet d'aucune procédure disciplinaire, ne sont, compte tenu des circonstances rappelées au point qui précède, pas suffisants pour laisser présumer que la révocation aurait été décidée pour des motifs entachés de discrimination.
10. M. A...ne saurait enfin faire état des agissements de discrimination syndicale dont il a été victime avant sa révocation, pour demander à être indemnisé des préjudices consécutifs à la sanction justifiée par les faits énoncés aux points 6 et 7.
11. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander à être indemnisé des préjudices consécutifs à la sanction de révocation dont il a fait l'objet, et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a pour partie rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur le recours du ministre de l'économie et des finances :
12. Pour condamner l'Etat à verser à M. A...la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, le tribunal administratif a notamment estimé que M. A...avait été victime de faits de discrimination syndicale avant sa révocation, et que le ministre ne pouvait valablement se prévaloir, de la prescription de l'action en responsabilité civile extracontractuelle engagée par M. A...à l'encontre de l'ancien secrétaire général de l'INSEE en raison de la faute personnelle de celui-ci, pour faire obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait de fautes de service.
13. Pour contester le bien-fondé de ce jugement, le ministre se borne à soutenir que le jugement interprétatif du Tribunal de grande instance de Paris du 28 janvier 2015 mentionné au point 1 du présent arrêt, a lui-même été interprété par un nouveau jugement interprétatif du tribunal de grande instance du 11 janvier 2017, excluant avoir reconnu l'existence d'une discrimination syndicale commise par M. C...à l'encontre de M.A..., et que le tribunal administratif n'en a pas fait mention dans son jugement. Toutefois, le tribunal a estimé, à l'issue de l'instruction, ainsi qu'il vient d'être dit au point 12, que M. A...avait été victime, durant l'exercice de ses fonctions d'administrateur de l'INSEE, d'agissements de la part d'agents de l'institut révélant une discrimination syndicale à son encontre. Dans ces conditions le ministre n'établit pas, en se prévalant uniquement du jugement du tribunal de grande instance du 11 janvier 2017, interprétant à nouveau son précédent jugement du 5 février 2014, statuant sur l'action en responsabilité civile extracontractuelle engagée par M. A... à l'encontre de l'ancien secrétaire général de l'INSEE, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée et que M. A...était fondé à être indemnisé du préjudice moral, évalué à 10 000 euros, résultant de la discrimination syndicale dont il a été victime.
14. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. A...la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur les conclusions de M. A...tendant à ce que soit ordonnée la publication du présent arrêt :
15. Compte tenu de ce qui a été dit au point 4, les conclusions mentionnées ci-dessus ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.
Sur les conclusions de M. A...présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions mentionnées ci-dessus.
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'économie et des finances est rejeté.
Article 2 : La requête n° 17PA03914 de M. A...et ses conclusions présentées sous le n° 17PA02404 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie et des finances et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 27 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 avril 2019.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLET Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 17PA02404-17PA03914