Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 3 août 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors que lors de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, Mme A...n'a jamais fait état des difficultés rencontrées en Italie ; l'intéressée se borne à faire état de la situation générale des demandeurs d'asile en Italie, sans démontrer que sa demande d'asile ne pourrait être traitée par les autorités italiennes dans le respect de l'ensemble des garanties requises ;
- les autres moyens soulevés par Mme A...devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête du préfet de police a été communiquée à Mme A...qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeA..., ressortissante érythréenne né le 1er février 1990, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile ; que, par un arrêté du 20 juin 2018, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes ; que le préfet de police fait appel du jugement du 3 août 2018 par lequel le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) " ;
3. Considérant que pour annuler l'arrêté en litige, comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement, le premier juge s'est fondé sur les difficultés auxquelles les autorités italiennes se trouvent confrontées face à un " afflux massif et sans précédent de demandeurs d'asile ", et notamment sur le fait que les autorités italiennes refuseraient d'accueillir les personnes susceptibles de demander une protection internationale, et entendraient réduire les budgets alloués aux demandeurs d'asile, et sur le climat d'insécurité qui règnerait en Italie ; que toutefois, MmeA..., n'établit pas, par la seule production de rapports généraux concernant l'Italie émanant notamment d'Amnesty International et de Human Rights Watch, ainsi que de divers articles de presse, l'existence de telles circonstances constituant des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;
4. Considérant que le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge, estimant que le préfet de police avait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de mettre en oeuvre " la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité " ,a annulé l'arrêté en litige ;
5. Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme A...;
Sur la décision de remise aux autorités italiennes :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger. " ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...s'est vue remettre le 12 avril 2018 les brochures " A " et " B ", contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement susvisé du 26 juin 2013 ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue tigrinya, langue qu'elle affirme comprendre ; que, par suite, la procédure au terme de laquelle l'arrêté du 20 juin 2018 a été pris, n'a pas méconnu les dispositions citées ci-dessus ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable
d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé (...) " ;
9. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A...a bénéficié d'un entretien individuel le 12 avril 2018 auprès de la préfecture de police ; que cet entretien a été mené par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police ; qu'en l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national ; que, d'autre part, la circonstance que la qualité et le nom de la personne qualifiée ayant mené l'entretien individuel ne sont pas mentionnés dans le compte rendu de cet entretien, est sans incidence sur sa régularité ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 21 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du même règlement : " (...) / 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d'un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. " ;
11. Considérant que le préfet de police justifie avoir saisi les autorités italiennes en produisant l'accusé de réception dit " Dublinet ", correspondant à la demande de réadmission de Mme A...adressée le 17 avril 2018 à ces autorités ; qu'il produit également l'accusé de réception dit " Dublinet " correspondant au constat d'accord implicite des autorités italiennes adressé le 20 juin 2018 à ces autorités italiennes ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21 et 22 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté ;
12. Considérant, en dernier lieu, que MmeA..., n'établit pas, par la production des pièces mentionnées au point 3, l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs, au sens des dispositions citées ci-dessus du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 qu'elle n'est donc pas fondée à invoquer ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 20 juin 2018 décidant la remise aux autorités italiennes de Mme A...; que les conclusions présentées en première instance par Mme A... à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1810819/8 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 3 août 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B...A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03032