Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2019, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 juillet 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'avis d'incompatibilité du 4 décembre 2018 mentionné ci-dessus ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas légalement motivé sa décision en ne se prononçant pas sur le point de savoir si l'avis contesté fait grief et n'examinant pas les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur et par la RATP ;
- un avis d'incompatibilité, même émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, constitue un acte faisant grief ;
- il n'a pas bénéficié de la possibilité de se défendre sur la suspicion dont il faisait l'objet ;
- le ministre n'a produit aucun élément à l'appui de l'avis contesté, de nature à établir qu'il serait susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics ;
- M. C... était dès le début de sa période d'apprentissage en fonction au sein de la RATP ; l'avis doit donc être regardé comme émis sur la base du deuxième alinéa de l'article L. 114-2, et devait par conséquent être motivé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions présentées par M. C... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 sont irrecevables, un tel avis ne constituant pas un acte faisant grief ;
- les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 20 août 2019, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 1 500 euros soit mis à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- M. C... n'est pas recevable à agir contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors qu'un tel avis ne constitue pas un acte faisant grief ;
- les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que le mémoire en défense par les mêmes moyens.
Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2020, M. C... conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Il soutient en outre que le ministre de l'intérieur est tenu de faire droit à sa demande de retrait de l'avis attaqué, formulée par un courrier en date du 11 juin 2020.
Par un mémoire, enregistré le 30 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires par les mêmes moyens.
Il déclare renoncer à la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif par M. C... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, et soutient que :
- les moyens tirés de ce que la RATP aurait saisi l'administration sur un fondement qui ne correspond pas au statut de M. C... ou que l'avis rendu aurait dû respecter les règles applicables aux avis rendus sur un autre terrain que celui qu'a choisi la RATP sont inopérants ;
- M. C... est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics.
Par une ordonnance du 30 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
27 août 2020.
Par un mémoire, enregistré le 25 août 2020, M. C... conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Il soutient en outre que :
- les faits recensés au fichier des antécédents judiciaires dont le ministre de l'intérieur fait état, ne sont pas incompatibles avec ses fonctions ;
- il s'agit de faits anciens, non réitérés dans la période récente, et sans lien avec le terrorisme ;
- il n'a pas été informé de ce qu'il pouvait faire l'objet d'une enquête administrative ;
- la décision du ministre ne saurait compte tenu des dispositions de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, se fonder sur sa vie privée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code du travail ;
- le code civil ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de Me A... pour la RATP,
- et les observations de Me D... pour M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 12 juillet 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'avis d'incompatibilité émis à son encontre le 4 décembre 2018 par le ministre de l'intérieur en application de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure. M. C... fait appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'article 5 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique : " Les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. / Si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative. / L'autorité administrative avise sans délai l'employeur du résultat de l'enquête. / La personne qui postule pour une fonction mentionnée au même premier alinéa est informée qu'elle est susceptible, dans ce cadre, de faire l'objet d'une enquête administrative dans les conditions du présent article. / L'enquête précise si le comportement de cette personne donne des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics. / (...) Lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa du présent article fait apparaître, le cas échéant après l'exercice des voies de recours devant le juge administratif dans les conditions fixées au neuvième alinéa, que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement. Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui est prononcé dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. / (...) Le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige (...) ". L'article R. 114-7 du même code fixe la liste des fonctions pour lesquelles une enquête peut être sollicitée par l'employeur sur le fondement de ces dispositions. Le I de l'article R. 114-8 définit les modalités selon lesquelles les demandes d'enquête doivent être présentées par l'employeur lorsqu'elles le sont avant le recrutement ou l'affectation d'une personne sur un emploi et le II du même article définit ces modalités lorsqu'elles visent un salarié occupant déjà un tel emploi. Le I de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la transmission à l'employeur, par le ministre de l'intérieur, du résultat de l'enquête réalisée avant le recrutement ou l'affectation sur un emploi, sous la forme d'un avis de compatibilité ou d'incompatibilité qui n'a pas à être motivé. Enfin, le II de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la communication du résultat de l'enquête réalisée sur un salarié occupant déjà un emploi lorsqu'elle donne lieu à un avis d'incompatibilité, en précisant que, dans ce cas, l'avis est notifié au salarié et doit être motivé. Le même article institue, en outre, une procédure particulière de recours administratif devant le ministre de l'intérieur contre un tel avis.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la RATP :
3. Contrairement à ce que soutient la RATP, l'avis d'incompatibilité émis en application du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure et du I de l'article R. 114-8 du même code, c'est-à-dire à la suite d'une enquête réalisée avant le recrutement ou l'affectation sur un emploi, revêt le caractère d'un acte administratif faisant grief, susceptible, par suite, de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Pour rejeter la demande de M. C..., le tribunal administratif a écarté au fond l'ensemble des moyens qui lui étaient soumis à l'appui de cette demande. Il n'était donc pas tenu d'examiner les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur et par la RATP.
Sur les autres moyens de la requête :
5. En premier lieu, il appartient à l'employeur qui saisit l'autorité administrative d'une demande d'enquête sur le fondement de l'article L.114-2 du code de la sécurité intérieure d'indiquer si sa demande est formulée au titre d'une future décision de recrutement ou d'affectation sur un emploi et relève, par suite, du premier alinéa de cet article, ou si elle l'est au titre de l'emploi que le salarié occupe déjà dans l'entreprise et relève, par suite, de son second alinéa. L'autorité administrative peut légalement se placer dans le cadre ainsi défini par l'employeur, sans être tenue de s'assurer qu'il correspond à la situation du salarié concerné. En conséquence, les moyens tirés, devant le juge de l'excès de pouvoir saisi de la légalité de l'avis rendu à l'issue d'une telle enquête, de ce que l'employeur aurait saisi l'administration sur un fondement qui ne correspond pas au statut de la personne concernée ou que l'avis rendu aurait dû respecter les règles applicables aux avis rendus sur un autre terrain que celui qu'a choisi l'employeur sont inopérants.
6. Il en va notamment ainsi du moyen tiré de ce que le salarié sur lequel une enquête a été demandée au titre d'une future décision de recrutement aurait dû, compte tenu de sa qualité de stagiaire ou d'apprenti, être regardé par l'administration comme occupant déjà un emploi dans l'entreprise.
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les moyens que M. C... tire de ce que la RATP aurait irrégulièrement saisi l'administration du ministère de l'intérieur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure qui, selon lui, ne correspondait pas à son statut d'apprenti, et de ce que l'avis rendu aurait dû respecter les règles applicables aux avis rendus sur le terrain du deuxième alinéa du même article et donc être motivé, sont inopérants.
8. En deuxième lieu, M. C... ne saurait davantage invoquer le principe général des droits de la défense qui n'implique pas, eu égard à l'objet des enquêtes prévues à l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure et à leur portée, que la personne faisant l'objet d'une telle enquête en soit avertie et soit mise à même de présenter ses observations avant que l'autorité administrative n'émette son avis au vu du résultat de l'enquête.
9. En troisième lieu, M. C... ne conteste pas la réalité des faits de conduite de véhicules sans permis, de violences, de trafic et d'usage de stupéfiants dont le ministre de l'intérieur fait état dans son mémoire du 29 juillet 2020. Ces faits sont, contrairement à ce qu'il soutient, incompatibles avec ses fonctions. Il n'est donc pas fondé à soutenir que l'avis attaqué ne pouvait se fonder sur ces faits pour en conclure qu'il est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics.
10. En quatrième lieu, M. C... ne saurait invoquer utilement les dispositions de l'article 9 du code civil. Par ailleurs, l'avis litigieux, ne portant aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale eu égard au but poursuivi, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
11. En dernier lieu, la présentation par M. C... d'une demande de retrait de l'avis attaqué dans un courrier adressé au ministre de l'intérieur le 11 juin 2020, est sans incidence sur la légalité de cet avis.
12. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par la RATP.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la RATP, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et à la Régie autonome des transports parisiens.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. E..., président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 septembre 2020.
Le rapporteur,
J-C. E...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02310