Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 mars 2017 et 16 avril 2018, l'association IA ORA TAHARU'U prise en la personne de son président en exercice, et représentée par Me Fidele, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 6 décembre 2016 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'équipement de la Polynésie française de réaliser les travaux d'aménagement de la rivière Taharu'u ;
3°) d'enjoindre à la Polynésie française de cesser les travaux sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de designer un expert à fin de déterminer les travaux nécessaires à la remise en état du site ;
5°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a, à tort, jugé qu'aucune décision implicite de réaliser les travaux d'aménagement litigieux n'avait été prise, et a rejeté en conséquence la demande de la requérante comme dépourvue d'objet ;
- le ministre n'était pas compétent pour autoriser les travaux litigieux dès lors notamment que les déviations réalisées du cours d'eau excédaient 500 M2 ;
- en application de l'article 12 de la délibération du 29 décembre 1977 portant règlementation des carrières à Tahiti, Moorea et Raiatea, le conseil des ministres aurait dû être consulté dès lors que les travaux prévoient des extractions de matériaux d'un volume supérieur à celui nécessaire à leur bonne exécution ;
- les travaux auraient dû faire l'objet d'une étude d'impact en application de l'article 28 de l'arrêté n° 355CM du 20 mars 2013 pris en application du 3ème alinéa de l'article D. 231-2 du code de l'environnement ;
- l'étude d'impact réalisée comporte des insuffisances substantielles car elle ne mesure pas l'impact du volume d'extraction projeté sur l'équilibre naturel de la rivière et l'intégrité de la plage de Taharu'u, alors que la rivière et la plage sont protégées par un plan général d'aménagement de la commune de Papara ;
- la décision contestée est entachée de détournement de procédure et de détournement de pouvoir dès lors que l'extraction de matériaux est présentée comme justifiée par des travaux d'aménagement et le curage de la rivière, ce qui permet de contourner l'obligation de consultation du conseil des ministres et l'interdiction d'extraction de matériaux ;
- la décision attaquée, compte tenu notamment de la présence du bassin dégraveur et des enrochements des berges, méconnait le principe de précaution posé par l'article 5 de la charte de l'environnement en raison des risques de recul de la plage de Taharu'u, de bouleversement de la rivière, et des menaces pour les populations faunistiques terrestres et aquatiques ;
- la décision attaquée méconnait aussi l'obligation de promouvoir un développement durable contenue à l'article 6 de la charte de l'environnement dès lors que les atteintes à l'environnement sont très supérieures aux bénéfices attendus du projet ;
- le projet méconnait aussi l'article 7 de la charte de l'environnement posant le principe de participation du public dès lors que le chantier a commencé le 3 février 2015 alors que l'étude d'impact n'a été remise à l'administration que le 25 février 2015 et n'a été mise à la disposition du public qu'à partir du 20 mars 2015 ;
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2018, la Polynésie française, représentée par MeA..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de l'association IA ORA TAHARU'U une somme de 1 257 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est dirigée contre une décision inexistante et est par suite sans objet ;
- elle est irrecevable également en ce qu'elle ne contient aucun moyen d'appel, se bornant à reprendre ses moyens de première instance ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que : " le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce qu'une décision administrative puisse être remise en cause sans condition de délai. L'association requérante ne pouvait par suite exercer son recours au-delà d'un délai raisonnable, qui ne saurait excéder un an, à compter de la date à laquelle il est établi qu'elle a eu connaissance de la décision attaquée. Dès lors qu'elle en a nécessairement eu connaissance au plus tard à la date de publication des deux appels d'offres relatifs aux marchés passés en vue de la réalisation des travaux, publiés les 4 juillet 2014 et 12 février 2015, sa demande de première instance, enregistrée le 8 avril 2016, est tardive ".
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Un projet d'aménagement de la rivière Taharu'u, située sur le territoire de la commune de Papara, en Polynésie française, a donné lieu notamment à la réalisation d'une étude d'impact, commandée par la direction de l'équipement de la Polynésie française et qui lui a été remise le 13 mars 2015, ainsi qu'à la conclusion de deux marchés publics, notifiés respectivement les 2 février 2015 et 21 janvier 2016. Deux arrêtés ont également été pris en date des 29 octobre 2015 et 21 avril 2016 autorisant des extractions de matériaux dans la rivière Taharu'u et ont été tous deux annulés par jugements n°s 1500613 et 1600229 du 6 décembre 2016 du Tribunal administratif de la Polynésie française pour défaut d'autorisation du conseil des ministres. L'association IA ORA TAHARU'U avait également formé devant ce tribunal une demande tendant à l'annulation de la décision implicite du ministre de l'équipement de la Polynésie française de réaliser les travaux d'aménagement de la rivière. Le tribunal a toutefois rejeté cette demande comme irrecevable, estimant qu'elle était dirigée contre une décision inexistante, par jugement du 6 décembre 2016 dont la requérante interjette appel.
Sur la fin de non-recevoir opposée en appel et tirée de l'absence de moyens d'appel :
2. A l'appui de sa requête l'association IA ORA TAHARU'U soutient notamment que le tribunal aurait à tort jugé que sa demande de première instance était dirigée contre une décision inexistante et aurait dès lors fondé son jugement sur des faits matériellement inexacts. Par suite la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir que la requête d'appel se limiterait à une reprise des moyens de première instance de l'association IA ORA TAHARU'U et que, étant dès lors dépourvue de moyens d'appel, elle serait de ce fait irrecevable.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Il ressort de l'étude d'impact réalisée que le projet dénommé " projet d'aménagement de la rivière Taharu'u " prévoit, outre le reprofilage du cours d'eau par un curage du lit de la rivière, la protection des berges par des enrochements, l'endiguement du cours d'eau afin d'augmenter sa capacité de transit, avec création de digues jusqu'à 1 M de haut, et la réalisation d'un bassin dégraveur pour limiter l'engravement de la rivière en amont, des installations annexes étant également prévues notamment pour permettre l'accès à la population. Ainsi, et alors qu'il n'est pas établi que le projet mis en oeuvre aurait été restreint par rapport à celui envisagé dans cette étude, il ne peut être regardé comme se limitant à des opérations d'extractions de matériaux de la rivière. La requérante est par suite fondée à soutenir que les travaux entrepris dès le mois de février 2015, ainsi qu'il résulte du constat d'huissier produit, révèlent l'existence d'une décision de mise en oeuvre du projet d'aménagement de la rivière nécessairement distincte des arrêtés des 29 octobre 2015 et 21 avril 2016, de surcroît postérieurs de plusieurs mois à la mise en oeuvre de ces travaux, et qui se bornaient à porter autorisation d'extraction.
4. Toutefois le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative dont il est établi que le requérant en a eu connaissance. En une telle hypothèse les personnes disposant d'un intérêt à agir contre cette décision ne peuvent exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale, et sauf circonstances particulières, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance de la décision en cause. Or, outre qu'une réunion relative à la présentation du projet de réaménagement de la Taharu'u avait été organisée à la mairie de Papara le 15 septembre 2012, qu'un avant-projet des travaux d'aménagement de cette rivière avait été réalisé par la société polynésienne de l'eau et de l'assainissement (SPEED) en novembre 2012, que le projet d'aménagement établi par ce même organisme avait été remis en juin 2014, et qu'une conférence de presse du ministre de l'équipement de Polynésie française en date du 4 avril 2014 avait informé la population des projets de réaménagement des rivières, au premier rang desquelles la Taharu'u, l'association requérante a nécessairement eu connaissance de l'intervention de la décision de réaliser les travaux litigieux au plus tard à la date de publication, le 4 juillet 2014, du premier appel d'offres relatifs aux marchés passés en vue de la réalisation de ces travaux. Dès lors sa demande de première instance, enregistrée au greffe du tribunal administratif de la Polynésie française, le 8 avril 2016, était tardive et par suite irrecevable.
5. Il résulte de ce qui précède que l'association IA ORA TAHARU'U n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande pour irrecevabilité. Sa requête doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à la Polynésie française de cesser les travaux et celles tendant à la désignation d'un expert à fin de déterminer les travaux nécessaires à la remise en état du site.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par l'association requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association IA ORA TAHARU'U la somme demandée par la Polynésie française sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association IA ORA TAHARU'U est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Polynésie française présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association IA ORA TAHARU'U et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 avril 2019.
Le rapporteur,
M-I. LABETOULLELe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00828