Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 29 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors que lors de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, M. A...n'a jamais fait état de difficultés rencontrées en Italie ; il ne justifie pas n'avoir bénéficié d'aucune prise en charge administrative et juridique ; il a déclaré lors de son entretien individuel mené à la préfecture de police le 6 mars 2018 avoir déposé une demande d'asile qui a été rejetée ; la circonstance que l'Italie a implicitement accepté la requête des autorités françaises de prise en charge de M. A...ne permet pas d'établir que les autorités italiennes ne lui offriraient aucune garantie en cas de transfert ;
- les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2018, M.A..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) de rejeter l'appel du préfet de police ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le premier juge a considéré que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de mettre en oeuvre la clause de l'article du 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, compte tenu notamment des conditions insalubres dans lesquelles il a vécu en Italie pendant sept mois, sans bénéficier d'aucune prise en charge médicale alors que son état de santé l'exigeait ;
- en tout état de cause, l'arrêté du préfet de police est illégal car il est entaché d'un défaut complet d'examen de sa situation personnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (CE) n° 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système " Eurodac " pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la convention de Dublin ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- et les observations de Me C...pour M.A....
1. Considérant que M.A..., ressortissant sénégalais né le 6 juin 1991, entré en France le 1er mars 2018 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile ; que, par un arrêté du 4 mai 2018, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes ; que le préfet de police fait appel du jugement du 29 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) " ;
3. Considérant, d'une part, que pour annuler l'arrêté en litige, comme reposant sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de la " clause de souveraineté " de l'article 17 du règlement, le premier juge s'est fondé sur les conditions de vie de M. A...en Italie, et a retenu qu'il n'avait bénéficié d'aucune prise en charge administrative ou juridique en Italie, et qu'aucune suite n'avait été donnée à sa demande d'asile au terme d'un délai de sept mois ; que toutefois, M.A..., qui s'est borné à faire état de considérations générales sur les difficultés rencontrées par les demandeurs d'asile en Italie, n'a apporté aucun élément de preuve à l'appui de son argumentation, et n'a notamment pas établi avoir déposé une demande d'asile en Italie sans recevoir de réponse, alors qu'il avait déclaré le contraire au cours de l'entretien individuel dont il a bénéficié à la préfecture de police le 6 mars 2018 ; que, par suite, il n'est pas établi que l'Italie ne serait pas en mesure d'assurer son accueil et d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;
4. Considérant, d'autre part, que la circonstance que l'acceptation de la prise en charge de sa demande d'asile par les autorités italiennes résulte d'une décision implicite n'est pas davantage de nature à établir une telle violation des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;
5. Considérant que le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de police, pour annuler l'arrêté en litige ;
6. Considérant, toutefois, qu'il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ;
Sur la décision de remise aux autorités italiennes :
7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'arrêté en litige que le préfet de police a notamment relevé que la situation de M. A...ne relevait pas des dispositions de l'article 3, paragraphe 2, et de l'article 17 du règlement n° 604/2013 susvisé du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, et qu'il n'établissait pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes ; que, si M. A...soutient n'avoir pas été interrogé sur les conditions dans lesquelles il a été accueilli en Italie, il ressort du compte-rendu de l'entretien individuel mené à la préfecture de police le 6 mars 2018 qu'il a pu formuler ses observations sur ce point ; que, par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation personnelle doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que, ni les travaux de l'organisation Amnesty international, ni l'arrêt du 4 novembre 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme rendu le 4 novembre 2014 dans l'affaire n° 29217/12, Tarakhel c. Suisse, ne permettent de caractériser des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, en Italie, État membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que la qualité et le nom de la personne qualifiée ayant mené l'entretien individuel n'ont pas été mentionnés dans le compte-rendu de cet entretien est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 4 mai 2018 décidant la remise aux autorités italiennes de M. A...; que les conclusions de M. A...tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1807274/8 du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 29 juin 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
M. Niollet, président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 novembre 2018.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02713