Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2019 sous le n° 19PA02231, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1902068/8 du 25 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- l'arrêt contesté portant transfert de M. C... aux autorités autrichiennes n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. C... ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2019 sous le n° 19PA02318, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1902068/8 du 25 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que les conditions fixées par l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.
Les requêtes ont été communiquées à M. C..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant afghan né selon ses déclarations le 10 février 1984, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité le 4 décembre 2018 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités autrichiennes le 14 novembre 2018. Le 7 janvier 2019, le préfet de police a adressé aux autorités autrichiennes une demande de reprise en charge de M. C... en application des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités autrichiennes ont acceptée par un accord du même jour. Par un arrêté en date du 24 janvier 2019, le préfet de police a décidé de remettre M. C... à ces autorités. Par un jugement du 25 avril 2019, le Tribunal administratif de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police d'enregistrer en procédure normale sa demande d'asile et de lui remettre l'attestation de demande d'asile correspondante dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des frais d'instance. Par la requête enregistrée sous le n° 19PA02231, le préfet de police relève appel de ce jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 19PA02318, le préfet de police demande à la Cour d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur la requête enregistrée sous le n° 19PA02318 :
2. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur la requête enregistrée sous le n° 19PA02231 :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit ". Aux termes de de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
4. Pour annuler l'arrêté en litige comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que M. C... a été placé en garde-à-vue pendant soixante-douze heures par les autorités autrichiennes sans l'assistance d'un avocat ni d'un interprète, et que le préfet de police n'établit pas que sa remise à ces autorités n'aurait pas pour conséquence son réacheminement vers l'Afghanistan, pays caractérisé par une violence généralisée et où M. C... serait susceptible d'être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cependant, et même si cette présomption n'est pas irréfragable, l'Autriche, qui ne présente pas de défaillances systémiques, est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. Si M. C... soutient qu'il a été placé en garde-à-vue par les autorités autrichiennes pendant soixante-douze heures sans l'assistance d'un avocat ni d'un interprète, et s'il ressort des pièces produites par le requérant en première instance que l'Autriche, à la date de la décision de transfert en litige, ne s'interdisait pas de reconduire en Afghanistan des ressortissants de ce pays, l'existence d'un risque sérieux que tel soit le cas pour M. C..., dont les empreintes ont été relevées en Autriche en qualité de demandeur d'asile et qui ne soutient pas qu'il ne serait pas à même d'exercer un recours effectif contre une éventuelle mesure d'éloignement prise par ces mêmes autorités, n'est pas établie.
5. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 24 janvier 2019 contesté portant remise de M. C... aux autorités autrichiennes était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Toutefois il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
S'agissant des autres moyens soulevés en première instance par M. C... :
7. En premier lieu, par un arrêté n° 2019-00029 du 10 janvier 2019, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 18 janvier 2019, le préfet de police a donné à Mme E... A..., attachée principale d'administration de l'Etat au 12ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale à la préfecture de police, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer les décisions en matière de police des étrangers en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté manque en fait.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
9. Si, en vertu de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police est l'autorité compétente pour procéder à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'entretien individuel requis pour l'application de l'article 5 précité soit mené par un agent de la préfecture, qui, n'étant pas le signataire de la décision de transfert déterminant l'État responsable de l'examen de la demande d'asile, n'avait pas à bénéficier d'une délégation de signature du préfet pour procéder à cet entretien. Ainsi, si le résumé de l'entretien individuel de M. C... ne comporte pas le nom et la qualité de l'agent qui a conduit l'entretien, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été reçu par un agent du 12ème bureau de la direction de la police générale en charge de l'asile de la préfecture de police. Dès lors que l'entretien de M. C... a été mené par une personne qualifiée au sens du paragraphe 5 de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'absence d'indication de l'identité de l'agent ayant conduit l'entretien individuel n'a pas privé M. C... de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par suite, l'arrêté de transfert n'est pas entaché d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier et notamment des brochures signées par l'intimé et produites par le préfet que M. C..., qui a présenté une demande d'asile le 4 décembre 2018, s'est vu remettre le jour même le guide du demandeur d'asile, la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue pachto. Ainsi, M. C... n'a pas été privé de la garantie prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 précité manque en fait.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".
13. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
14. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
15. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
16. L'arrêté du 24 janvier 2019 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de M. C... aux autorités autrichiennes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, comporte le visa du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique que " il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. C... B... F... au moyen du système " EURODAC ", effectuée conformément au règlement n° 603/2013 susvisé, que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités autrichiennes le 14 novembre 2018 " et que " les critères prévus par le chapitre III ne sont pas applicables à la situation de M. C... B... F..., qu'en conséquence, au regard des articles 3 et 18 (1) (b), les autorités autrichiennes doivent être regardées comme étant responsables de la demande d'asile de M. C... B... F... ". Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté du préfet de police portant son transfert aux autorités autrichiennes n'est pas entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ni d'une insuffisance de motivation.
17. En cinquième lieu, si M. C... soutient que l'arrêté contesté l'a privé d'une garantie en ce qu'il n'indique pas les conséquences résultant de l'inexécution du transfert aux autorités autrichiennes, il n'assortit pas ce moyen des précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.
18. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que les autorités autrichiennes ont donné leur accord à la reprise en charge de M. C... le 7 janvier 2019, soit le jour même où cette demande de reprise en charge leur a été adressée. Cette demande a donc été formulée dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut dès lors qu'être écarté.
19. En septième et dernier lieu, si M. C... soutient que l'arrêté de transfert contesté méconnaît les dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce qu'il pourrait être renvoyé par les autorités autrichiennes en Afghanistan où il serait exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants, il résulte des éléments rappelés au point 4 que le renvoi de M. C... en Afghanistan par les autorités autrichiennes n'est pas établi. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 24 janvier 2019 et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C.... La demande présentée par ce dernier devant le Tribunal administratif de Paris doit en conséquence être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 19PA02318 du préfet de police tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 1902068/8 du 25 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris.
Article 2 : Les articles 2 à 5 du jugement n° 1902068/8 du 25 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... F... C....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
A. D...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 19PA02231, 19PA02318