Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 mai 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- les décisions contestées ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il renvoie à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. C....
La requête a été communiquée à M. C... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né en 1983, entré en France en 1990 selon ses déclarations, a sollicité, le 15 janvier 2016, le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse, Mme A...D.... Par une décision du 5 juillet 2016, confirmée par décision du 2 septembre 2016, prise sur recours gracieux, le préfet de police a rejeté cette demande au motif que la moyenne mensuelle des ressources de M. C... était inférieure au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et que, en conséquence, celui-ci ne remplissait pas les conditions de ressources prévues à l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 27 mars 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé les deux décisions précitées du préfet de police et enjoint à ce dernier de faire droit à la demande de regroupement familial de M. C... au profit de son épouse.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Si les dispositions de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettent à l'administration de refuser le bénéfice du regroupement familial à un étranger qui ne justifie pas de ressources suffisamment stables ou d'un logement conforme aux exigences des dispositions réglementaires prises pour leur application, elles ne lui imposent pas de refuser le bénéfice du regroupement sollicité à l'étranger qui ne remplit pas ces conditions. Il lui appartient dans tous les cas de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial sur le fondement de ces dispositions et des règlements pris pour leur application ne porte pas une atteinte excessive au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions contestées au motif qu'elles portaient au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles avaient été prises et, en conséquence, qu'elles avaient méconnu les stipulations qui précèdent de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que M. C..., qui a épousé Mme D...le 8 août 2014 en Tunisie, soit environ seize mois avant sa demande de regroupement familial, ait mené une vie commune inscrite dans la durée avec son épouse, que ce soit avant ou après leur mariage, ni davantage qu'il ait subvenu aux besoins de celle-ci entre la date du mariage et celle des décisions attaquées. Dans ces conditions, la circonstance que Mme D...était enceinte à la date desdites décisions n'est pas suffisante à les faire regarder comme ayant porté au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé les décisions des 5 juillet et 2 septembre 2016 pour le motif susévoqué.
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur l'autre moyen invoqué par M. C... en première instance :
5. Aux termes de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1,
L. 5423-2 et L. 5423-8 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième (...) ". Et aux termes de l'article R. 411-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 411-5, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : - cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes (...) ".
6. M. C... soutient que les décisions attaquées méconnaissent les dispositions qui précèdent dès lors que, en tant que gérant et associé unique d'un commerce d'alimentation générale dénommé " SARL Pigale Fruits " depuis le 18 mai 2015, il perçoit une rémunération mensuelle nette de 1 450 euros, conforme aux exigences prévues à l'article R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Au soutien de ce moyen, le requérant a produit deux attestations, la première de la société " Services ETI Conseils et Gestion ", datée du 11 juillet 2016, et la deuxième de M. P., expert-comptable, datée du 11 octobre 2016, rédigées en termes quasiment identiques et mentionnant que M. C... percevait une rémunération mensuelle nette de 1 450 euros " depuis le 1er janvier 2016 à ce jour ". Toutefois, alors que l'examen du compte de résultat simplifié de la SARL Pigale Fruits fait ressortir, pour la période du 18 mai au 31 décembre 2015, une rémunération totale de 9 800 euros, soit une moyenne mensuelle de 800 euros, inférieure au SMIC, sur la période de référence de douze mois prévue à l'article R. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les deux attestations précitées, dont la première n'émane pas d'un expert-comptable inscrit au tableau de l'ordre de cette profession, ne sont en tout état de cause pas accompagnées de documents comptables, notamment de bulletins de salaire, susceptibles de corroborer les éléments de rémunération qu'elles indiquent. Dans ces conditions, et sans même qu'il soit besoin de s'interroger sur la pertinence de l'appréciation des revenus de M. C... à compter du 1er janvier 2016, de telles attestations ne sauraient faire foi de la rémunération mensuelle de l'intéressé à compter de cette date. Par suite, M. C..., qui n'établit pas que la moyenne mensuelle de ses ressources aurait été au moins équivalente au salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur sur la période considérée, n'était pas fondé à soutenir que les décisions attaquées auraient méconnu les dispositions qui précèdent.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé ses décisions du 5 juillet 2016 et du 2 septembre 2016 par lesquelles il a refusé à M. C... le bénéfice du regroupement familial en faveur de son épouse. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ledit jugement et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1618640/2-1 du 27 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C....
Copie en sera délivrée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 15 février 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 8 mars 2019.
Le rapporteur,
P. MANTZ
Le président,
M. HEERS
Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01727