Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 août 2018 et un mémoire enregistré le 29 octobre 2018, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, représenté par MeA..., demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1800291 du 19 juillet 2018 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) de condamner la société INSO S.P.A. à lui verser une provision de 896 613, 32 euros TTC augmentée des intérêts au taux légal avec capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la société INSO S.P.A. la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est intervenue sur une procédure qui est entachée d'irrégularité pour atteinte au principe du contradictoire : d'une part, l'ordonnance a été rendue sans clôture d'instruction préalable et dans un délai trop court pour que le centre hospitalier puisse répliquer utilement au mémoire en défense, d'autre part, les pièces jointes au mémoire en défense de l'entreprise n'étaient pas correctement référencées et certaines pièces annoncées n'étaient pas jointes ;
- le décompte de liquidation ayant été refusé dans son ensemble par la société INSO S.P.A., il ne revêtait aucun caractère définitif de sorte que, contrairement à ce qu'a jugé l'ordonnance attaquée, le centre hospitalier était en droit de présenter toute demande relative à l'exécution des travaux ;
- les désordres étant imputables, selon le rapport d'expertise du 30 novembre 2017, à une exécution défectueuse des travaux confiés à la société INSO S.P.A., la responsabilité contractuelle de celle-ci est incontestablement engagée ;
- la somme devant être mise à la charge de l'entreprise doit inclure le coût des essais du laboratoire Rincent BTP, ainsi que la TVA.
Par un mémoire enregistré le 1er octobre 2018, la société INSO S.P.A., représenté par Me C...et MeE..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy à lui verser 4 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- l'ordonnance n'est pas entachée des irrégularités relevées ;
- le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy ne peut réclamer des sommes dont il n'a pas fait état dans le décompte qu'il a notifié à l'entreprise dès lors qu'il n'y a pas de lien entre la créance qu'il invoque et les réserves émises par l'entreprise ;
- le centre hospitalier ne précise pas le fondement de sa demande, laquelle serait mal fondée au titre de la garantie décennale, la solidité de l'ouvrage n'étant pas compromise ;
- les désordres invoqués par le centre hospitalier sont également imputables à la maîtrise d'oeuvre et à la maîtrise d'ouvrage ;
- la créance invoquée par le centre hospitalier est contestable dans la mesure où elle est susceptible d'être diminuée à raison des travaux dont l'entreprise réclame le paiement ;
- le montant de la provision est contestable : il a été démontré que le seul devis de réparation validé par l'expert est techniquement inadapté ; certaines prestations figurant dans ce devis n'ont pas à être prises en compte ; le coût des essais du laboratoire Rincent BTP ne saurait être inclus dans la créance invoquée ; la TVA ne doit pas non plus être incluse sauf à ce que le centre hospitalier démontre y être assujetti.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code des marchés publics ;
- le code général des impôts ;
- le CCAG applicable aux marchés de travaux ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. B...D...en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de travaux de reconstruction, restructuration et extension, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy a attribué à la société INSO S.P.A., le 29 août 2011, le lot n° 104 relatif au gros oeuvre. Des fissurations étant apparues dans les ouvrages en béton, un expert a été désigné en référé le 15 décembre 2014. La tranche ferme du marché a fait l'objet le 14 octobre 2015 d'une réception avec des réserves portant sur le " défaut de qualité des bétons ". Par décision du 4 mars 2017, le maître d'ouvrage a prononcé la résiliation du marché. Le 10 août 2017, il a envoyé à la société INSO S.P.A. le décompte de liquidation du marché prévu par l'article 47.2 du CCAG Travaux. La société INSO S.P.A. a refusé de signer ce décompte et a présenté un mémoire en réclamation. Dans son rapport déposé le 30 novembre 2017, l'expert, qui a relevé des fissures dues au retrait du béton mais aussi des fissures structurelles, impute ces désordres exclusivement à la société INSO S.P.A. et fixe à 826 372,32 euros HT, soit 896 613,32 euros TTC le coût des réparations. Le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la société INSO S.P.A., sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à lui verser une provision égale à ce dernier montant, avec les intérêts capitalisés.
2. Aux termes de l'article L. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de l'ordonnance :
3. En vertu de l'article 47.2 du CCAG applicable aux marchés de travaux, en cas de résiliation du marché, le décompte de liquidation se substitue au décompte général prévu à l'article 13.4.2. Lorsque, comme en l'espèce, ce décompte a été refusé dans son intégralité par le titulaire du marché, la circonstance que le maître d'ouvrage n'a pas mentionné dans ce décompte une somme correspondant à la reprise de travaux sur lesquels il a fait des réserves ne fait pas obstacle à ce qu'il en réclame le paiement au titulaire du marché. Dès lors, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour rejeter sa demande de provision, le juge des référés du tribunal s'est fondé sur ce qu'il n'avait pas fait état, au sein de ce décompte, des sommes correspondant à la réalisation des travaux nécessaires à la levée des réserves.
4. Si l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine les droits et obligations définitifs des parties, cette règle ne fait toutefois pas obstacle, eu égard notamment au caractère provisoire d'une mesure prononcée en référé, à ce qu'il soit ordonné à l'une des parties au marché de verser à son cocontractant une provision au titre d'une obligation non sérieusement contestable lui incombant dans le cadre de l'exécution du marché, alors même que le décompte général et définitif n'aurait pas encore été établi. Dès lors, doit être écarté le moyen tiré de ce que la créance invoquée par le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy est contestable dès lors qu'elle est susceptible d'être diminuée à raison des travaux effectués par la société INSO S.P.A. et dont celle-ci a réclamé le paiement dans le cadre de la contestation du décompte qui lui a été notifié.
5. Contrairement à ce que soutient la société INSO S.P.A., le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy a clairement indiqué que le fondement de son action était celui de la responsabilité contractuelle. La société ne peut, dès lors, utilement faire valoir que les conditions d'engagement de la responsabilité décennale ne sont pas réunies.
6. Il ressort des explications circonstanciées de l'expert désigné en référé, non sérieusement contestées, que les fissures qui affectent le béton des bâtiments sont dus à une exécution défectueuse des travaux par la société INSO S.P.A.. S'agissant du coût des travaux de réparation des fissures, l'expert, à partir du devis établi par la société Freyssinet, retient un montant total de 693 967 euros HT pour les travaux de renforcement des ouvrages et un montant total de 55 517 euros HT pour les frais de suivi et de contrôle de ces travaux. Il y ajoute un montant de frais complémentaires liés à l'expertise représentant un total de 76 889 euros HT correspondant à des essais de laboratoires (44 854 euros HT), à des travaux de réparation et remise en état (24 000 euros HT) et à des travaux de reprise après carottages (8 035 euros HT). S'agissant du coût des travaux de renforcement et de suivi de ces travaux, son évaluation par l'expert a fait l'objet, de la part de la société INSO S.P.A., d'une critique détaillée dans une note d'observations de 27 pages à laquelle elle se réfère dans son mémoire en défense et qui s'appuie notamment sur les conclusions d'un expert qualifié mandaté par elle. Compte tenu de cette contestation étayée, et en l'état du dossier soumis au juge des référés, la fraction du montant de ces travaux revêtant un caractère suffisant de certitude doit être fixée à 144 152 euros HT, montant admis par la société INSO S.P.A. dans ladite note. S'agissant des frais complémentaires pour un total de 76 889 euros HT, ils apparaissent liés aux désordres et la société INSO S.P.A. en a admis elle-même le bien-fondé dans sa note d'observations. La créance non sérieusement contestable du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy sur la société INSO S.P.A. au titre de ces différents postes s'établit ainsi à 221 041 euros HT. Il ne résulte pas de l'instruction que le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy qui, en sa qualité de personne morale de droit public, entre dans les prévisions de l'article 256 B du code général des impôts, relèverait d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de la taxe sur la valeur ajoutée venant grever les prestations correspondant au montant hors taxe indiqué ci-dessus. La provision due doit ainsi inclure la TVA, soit une provision de 265 249 euros.
7. Conformément à la demande du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, la provision fixée ci-dessus sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif, soit le 20 avril 2018. La demande de capitalisation des intérêts ne peut, en revanche, prendre effet, en vertu de l'article 1343-2 du code civil, que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy est seulement fondé à demander, outre l'annulation de l'ordonnance attaquée, que la société INSO S.P.A. soit condamnée à lui verser une provision de 265 249 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018.
9. Le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy n'étant pas la partie perdante, les conclusions formulées à son encontre par la société INSO S.P.A. au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société INSO S.P.A. le versement au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy de la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1800291 du 19 juillet 2018 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.
Article 2 : La société INSO S.P.A. est condamnée à verser au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy une provision de 265 249 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2018.
Article 3 : La société INSO S.P.A versera au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la société INSO S.P.A. au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy et à la société INSO S.P.A..
Fait à Bordeaux, le 13 mars 2019.
Le juge des référés,
Aymard de MALAFOSSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
5
No 18BX03077