Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 et 26 octobre 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2012722/8 du 8 septembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- l'arrêt portant transfert de M. C... aux autorités roumaines ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. C... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. C..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, modifié ;
- la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant afghan né selon ses déclarations le 1er janvier 1995, est entré irrégulièrement en France et a sollicité le 22 juin 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités roumaines le 13 mars 2020. Le 24 juin 2020, le préfet de police a adressé aux autorités roumaines une demande de reprise en charge de M. C... en application des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités roumaines ont acceptée par un accord du 7 juillet 2020. Le préfet de police a décidé du transfert de M. C... aux autorités roumaines par un arrêté du 4 août 2020, qui a été annulé par un jugement du 8 septembre 2020 dont le préfet de police relève appel.
Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté contesté comme ayant méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. C... a été définitivement rejetée par les autorités roumaines, que la Roumanie procède à des éloignements de demandeurs d'asile vers l'Afghanistan, pays en proie à une situation de conflit et de violences généralisées, et que le transfert de M. C... aux autorités roumaines entraînerait dès lors pour celui-ci des risques de subir des traitements inhumains et dégradants contraires aux stipulations de l'article 3 précité. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de transférer M. C... vers la Roumanie et non vers son pays d'origine. Même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Roumanie est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L'existence d'un risque sérieux d'exécution forcée par les autorités roumaines d'une mesure d'éloignement vers l'Afghanistan et l'impossibilité d'exercer un recours effectif, dans cette hypothèse, permettant d'invoquer l'évolution défavorable de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établies en l'espèce. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige méconnaît les stipulations et les dispositions des articles 3 et 4 précités en raison des risques de refoulement de M. C... vers l'Afghanistan ne peut qu'être écarté.
4. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a jugé que l'arrêté du 4 août 2020 méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Toutefois il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. C... :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-00197 du 2 mars 2020, régulièrement publié au bulletin officiel de la ville de Paris du 10 mars 2020, accordant délégation de la signature préfectorale au sein de la direction générale de la police, Mme B... A..., signataire de l'arrêté attaqué, a bien reçu délégation à l'effet de signer les décisions en matière de police des étrangers en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il n'est pas établi qu'elles n'étaient pas absentes ou empêchées lors de la signature de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté manque en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ". En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
8. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
9. En l'espèce l'arrêté du 4 août 2020 par lequel le préfet de police a décidé de la remise de M. C... aux autorités roumaines, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise le règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers. Il indique qu'il ressort de la comparaison des empreintes digitales de M. C... au moyen du système " Eurodac " que l'intéressé a sollicité l'asile auprès des autorités roumaines le 13 mars 2020, que les critères prévus par le chapitre III du règlement précité ne sont pas applicables à la situation de M. C..., et qu'en conséquence, les autorités roumaines doivent être regardées comme étant responsables de sa demande d'asile. Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient M. C..., l'arrêté du préfet de police portant son transfert aux autorités roumaines n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ". Il ressort des dispositions précitées que les informations sur le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui doivent être données par les autorités compétentes au demandeur figurent dans la brochure commune rédigée à cet effet qu'utilisent les Etats membres.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre le 22 juin 2020 la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue pachto. Si le préfet de police ne justifie pas de la remise du guide du demandeur d'asile à l'intéressé, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de transfert attaquée, le guide offrant des informations aux demandeurs d'asile admis à présenter leur demande en France. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté.
12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
13. Si M. C... soutient qu'il n'a pas pu présenter d'observations sur sa prise en charge par les autorités roumaines avant l'édiction de la mesure contestée, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a bénéficié le 22 juin 2020 d'un entretien individuel, réalisé en pachto par le biais d'ISM interprétariat, langue que M. C... ne soutient pas ne pas comprendre, mené par un agent qualifié de la préfecture de Police, dont l'identité n'est pas précisée mais qui appartient à la direction de la police générale, au 12ème bureau. A cette occasion, il a pu faire part de sa situation personnelle et de ses conditions d'entrée sur le territoire français, s'est vu remettre l'information sur les règlements communautaires et a signé le compte-rendu sans qu'il soit sérieusement allégué qu'il n'aurait pas compris le sens et l'objet des questions qui lui étaient posées ni qu'il aurait été privé de la possibilité de faire valoir utilement ses observations. Par suite, les moyens tirés de ce que l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 aurait été méconnu et qu'il n'aurait pas été mis à même de présenter ses observations en méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés.
14. En cinquième lieu, si M. C... soutient que le préfet de police n'apporte pas la preuve qu'une demande de reprise en charge aurait effectivement été adressée aux autorités roumaines, il ressort des pièces du dossier que les autorités roumaines ont accepté la demande de reprise en charge par un accord explicite du 7 juillet 2020. Le moyen doit donc être écarté comme manquant en fait.
15. En sixième lieu, M. C... soutient que l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article 26-2 du règlement (UE) n° 604/2013 aux termes desquelles " La décision (...) contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en oeuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable ". Cependant, et alors au demeurant qu'il n'allègue pas avoir informé l'administration de son intention de rejoindre le pays responsable de sa demande d'asile par ses propres moyens, l'article 26 du règlement n° 604/2013 n'impose pas au préfet de préciser à l'intéressé l'ensemble des modalités de transfert, notamment la possibilité de transfert volontaire. Dès lors, un tel moyen, qui concerne les conditions d'exécution de la mesure de transfert, est inopérant.
16. Si, enfin, M. C... soutient qu'en raison des risques de renvoi en Afghanistan qu'il encourt en cas de transfert vers la Roumanie, et des risques de traitements inhumains et dégradants qui s'ensuivraient, le préfet a méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause qu'il prévoit, il résulte de ce qui a été jugé au point 3 du présent arrêt que le moyen doit être écarté pour les mêmes motifs.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté en litige et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. C... en procédure normale. La demande présentée par ce dernier devant le Tribunal administratif de Paris doit en conséquence être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2012722/8 du 8 septembre 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- M. D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2021.
Le rapporteur,
A. D...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02887