Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2019, et des mémoires, enregistrés le 19 février 2020 et le 24 mars 2020, la société Point P, représentée par le cabinet CMS Francis Lefebvre avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1808877/2-1 du 1er octobre 2019 du Tribunal administratif de Paris, en tant que, par ce jugement, il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison de son établissement situé à Paris ;
2°) de prononcer, à titre principal, la décharge de cette imposition, à titre subsidiaire, sa réduction à concurrence de la moitié des droits supplémentaires mis à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'entrait pas dans le champ de la taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2010, dès lors qu'elle exerce une activité de commerce de gros, les ventes aux particuliers ne représentant que 1,4 % de son chiffre d'affaires ;
- cette analyse est confirmée par la modification de la loi du 13 juillet 1972 par la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- l'administration fiscale a méconnu l'instruction référencée BOI-TFP-TSC, en ses paragraphes n° 60, 63 et 327 ;
- les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 sont inconstitutionnelles dès lors qu'elles méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;
- l'inconstitutionnalité de ce décret est illustré par le rescrit n° 2012/354 du 15 mai 2012, qui indique que l'exercice d'une activité accessoire de vente d'accessoires et de pièces détachées n'est pas de nature à remettre en cause la réduction de taux de 30 % ;
- la modification de la loi du 13 juillet 1972 issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012 confirme l'inconstitutionnalité affectant antérieurement le décret du 26 janvier 1995 ;
- les dispositions de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 sont illégales en tant qu'elles posent une condition d'exclusivité non prévue par la loi ;
- le courrier du ministre délégué au budget adressé le 10 mai 2012 au président de l'association des maires de France confirme cette illégalité ;
- elle affecte à titre exclusif plus de 50 % de ces espaces de ventes à la vente de matériaux de construction ;
- l'administration a indiqué dans la proposition de rectification du 11 juillet 2014 qu'elle vend principalement des matériaux de construction et peut donc bénéficier de l'abattement de 30 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de la société Point P en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,
- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;
- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Point P, qui exerce une activité de vente de matériaux de construction et d'autres produits à destination d'une clientèle de professionnels et de particuliers, au sein, notamment, d'un établissement sis 72 boulevard Richard Lenoir à Paris (11e arrondissement), a, à l'issue d'une vérification de comptabilité, été assujettie, notamment, à des cotisations supplémentaires de taxe sur les surfaces commerciales au titre des années 2010, 2011 et 2012 au motif qu'elle ne pouvait pas bénéficier de la réduction de taux de 30 % prévue par les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995. La société Point P relève appel du jugement du Tribunal administratif de Paris, en tant seulement que, par ce jugement, le Tribunal a rejeté sa demande de décharge de la cotisation de taxe sur les surfaces commerciales à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010 à raison de son établissement situé à Paris.
2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972, instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Il est institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite [...] / Un décret prévoira, par rapport au taux ci-dessus, des réductions pour les professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées [...] ". Aux termes de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 relatif à la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat : " A. La réduction de taux prévue au troisième alinéa de l'article 3 (2°) de la loi du 13 juillet 1972 susvisée en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées est fixée à 30 p. 100 en ce qui concerne la vente exclusive des marchandises énumérées ci-après : / [...] - matériaux de construction [...] ".
Sur le principe de l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
3. Il résulte de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1972 que les surfaces de vente des magasins de commerce de détail prises en compte pour l'assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales ne doivent pas nécessairement être situées dans des établissements réalisant exclusivement des ventes au détail et que sont assujettis à la taxe, à concurrence du chiffre d'affaires relatif à la surface de commerce de détail, les établissements de commerce de détail pratiquant également le commerce en gros ou d'autres activités. Il en résulte également que le chiffre d'affaires à prendre en compte pour le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales est celui qui est réalisé par les surfaces de ventes au détail, en l'état, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'acheteur est un particulier ou un professionnel, de sorte que les ventes au détail, en l'état, à des professionnels, tant pour leurs besoins propres que lorsqu'ils incorporent les produits qu'ils ont ainsi achetés dans les produits qu'ils vendent ou les prestations qu'ils fournissent, doivent être prises en compte pour la détermination du chiffre d'affaires, à la différence des ventes à des professionnels revendant en l'état, l'activité de ces derniers relevant alors d'une activité de grossiste ou d'intermédiaire. La société Point P n'est ainsi pas fondée à soutenir, dès lors qu'il est constant que l'activité qu'elle exerce sur les surfaces de vente en litige n'est pas limitée à la vente en gros, qu'elle ne pourrait être assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales à raison de ces surfaces au seul motif que sa clientèle serait presque exclusivement composée de professionnels qui achètent des produits pour les besoins de leurs activités et que le montant de ses ventes aux particuliers se limiterait à 1,4 % de son chiffre d'affaires. Par ailleurs, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir de la modification de la loi du 13 juillet 1972 issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificatives pour 2012, postérieure à l'année d'imposition en litige. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :
4. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal [...] ".
5. La société Point P n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs relatifs au champ d'application de la taxe sur les surfaces commerciales publiés le 2 octobre 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TFP-TSC, aux paragraphes 60, 63 et 327, qui sont postérieurs au délai de déclaration applicable à la taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2010 en litige.
Sur l'application de la réduction de taux de 30 % :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
6. En premier lieu, en adoptant les dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1972, le législateur a entendu instituer une réduction de taux en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées et a confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le champ d'application et le montant de cette réduction. En prévoyant que les établissements redevables de la taxe sur les surfaces commerciales bénéficieraient de la réduction de taux prévue par la loi à raison des surfaces qu'ils affectent à titre exclusif à une activité consistant à vendre des marchandises mentionnées dans une liste qu'il a définie, le pouvoir réglementaire a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but fixé par le législateur sans créer, entre les établissements exerçant une telle activité de vente à titre exclusif et ceux l'exerçant seulement à titre principal, une différence de traitement qui ne serait pas en rapport direct avec l'objet de la loi du 13 juillet 1972. La société Point P, qui ne peut utilement se prévaloir de la modification de la loi du 13 juillet 1972 issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, postérieure à l'année d'imposition en litige, n'est donc pas fondée à soutenir que les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige, méconnaîtraient les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.
7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 qu'en subordonnant, par le A de cet article, le bénéfice de la réduction de taux, fixée à 30 %, à la condition que l'activité de vente des marchandises qu'il énumère soit exercée à titre exclusif, le pouvoir réglementaire s'est borné à déterminer le champ d'application de la mesure de réduction de taux prévue par le législateur en faveur des professions dont l'exercice requiert des superficies de vente anormalement élevées, sans excéder les compétences qu'il tenait des dispositions législatives citées au point 2. Par suite, la société Point P, qui ne saurait utilement se prévaloir d'un courrier du ministre délégué au budget adressé le 10 mai 2012 au président de l'association des maires de France, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995 seraient illégales en tant qu'elles poseraient une condition d'exclusivité non prévue par la loi.
8. En troisième lieu, si la société Point P soutient, à titre subsidiaire, qu'elle affecte une partie essentielle de ses surfaces de vente à la vente de matériaux de construction, et qu'elle devrait donc bénéficier de la réduction de taux de 30 % à raison des surfaces dédiées à la vente de matériaux de construction, il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence de tout élément de preuve produit par la société, qu'une partie de la surface de vente de l'établissement en cause serait exclusivement affectée à la vente de matériaux de construction. Par suite, le moyen doit être écarté.
En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :
9. En premier lieu, si la société requérante se prévaut d'une décision de rescrit n° 2012/34 du 15 mai 2012, publiée par l'administration fiscale et reprise au paragraphe 325 des commentaires administratifs publiés le 2 octobre 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TFP-TSC, cette décision de rescrit est relative à la vente d'accessoires et de pièces détachées par les concessionnaires automobiles. Par suite, elle n'est pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
10. En second lieu, si le service a indiqué, dans une proposition de rectification du 11 juillet 2014 portant sur la taxe sur les surfaces commerciales au titre de l'année 2013, que la " société Point P vend principalement des matériaux de construction et peut donc bénéficier de l'abattement de 30 % ", cette mention, qui porte, sur l'année 2013, une appréciation au regard de la condition de vente à titre principal et non à titre exclusif, ne peut être regardée comme une prise de position formelle de l'administration opposable au titre de l'année 2010 en litige.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Point P n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Point P demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
13. D'autre part, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Point P le versement de la somme que le ministre de l'action et des actions publics, qui se borne à se prévaloir de la circonstance qu'il a " dû mobiliser du personnel qualifié ", sans faire état des frais spécifiques exposés pour défendre à l'instance, demande sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Point P est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Point P et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction des vérifications nationales et internationales.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mai 2021.
Le rapporteur,
K. A...
Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03168 2