Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement no 1800497 du 27 septembre 2019 du Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna, en tant qu'il condamne l'Etat à verser à M. B... la somme de 100 000 francs CFP en réparation du préjudice moral né de l'illégalité de l'arrêté du 9 août 2018 ;
2°) de confirmer le jugement dans tous ses autres points.
Il soutient que l'arrêté de révocation du 9 août 2018 ayant été jugé légal par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris, M. B... n'est pas fondé à se prévaloir d'un préjudice causé par sa révocation ni à rechercher la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.
La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., attaché principal d'administration de l'Etat, a été affecté à compter du 1er septembre 2016 à l'administration supérieure des îles Wallis-et-Futuna en qualité de chef du service des ressources humaines. Le 4 avril 2018, le préfet administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna a signalé au procureur de la République, sur le fondement du 2ème alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, des éléments de nature à remettre en cause la loyauté et la probité de M. B.... Le ministre de l'intérieur a suspendu l'intéressé de ses fonctions à titre conservatoire, par un arrêté du 17 avril 2018, puis l'a révoqué à compter du 1er novembre 2018, par un arrêté du 9 août 2018. Par un jugement du 28 mars 2019, le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna a annulé l'arrêté de révocation du 9 août 2018. M. B... a parallèlement présenté une demande d'indemnisation des préjudices nés selon lui de l'illégalité de sa suspension et sa révocation. Par un arrêt n°s 19PA01549-19PA0155 du 15 octobre 2019, la Cour a annulé le jugement du 28 mars 2019 et rejeté la demande tendant à l'annulation de sa révocation présentée devant le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna. Le ministre de l'intérieur fait appel du jugement du 27 septembre 2019 du Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 100 000 francs CFP à raison du préjudice moral né de l'illégalité de sa révocation.
Sur le moyen retenu par le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna :
2. En vertu de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux fonctionnaires de l'Etat sont réparties en quatre groupes : relèvent du premier groupe les sanctions de l'avertissement et du blâme, du deuxième groupe celles de la radiation du tableau d'avancement, de l'abaissement d'échelon, de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours et du déplacement d'office, du troisième groupe celles de la rétrogradation et de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans et, enfin, du quatrième groupe celles de la mise à la retraite d'office et de la révocation.
3. Il appartient au juge administratif, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. Au soutien de son arrêté de révocation du 9 août 2018, le ministre de l'intérieur a relevé un ensemble d'éléments de nature à remettre en cause la loyauté et la probité de M. B.... Il lui a ainsi reproché d'avoir modifié son état de services en vue de remplir artificiellement l'ensemble des conditions requises pour pouvoir bénéficier de la prise en charge de ses frais de changement de résidence lors de son entrée en fonctions à Wallis, d'avoir ajouté la mention " mérite d'accéder à des fonctions supérieures " dans le compte-rendu de notation réalisé avant son arrivée sur ce territoire afin de se présenter sous un jour plus favorable à sa nouvelle hiérarchie, d'avoir divulgué des informations confidentielles lors d'une soirée privée sur un marché public en cours d'attribution, d'avoir révélé à un candidat la note qu'il avait obtenue à un concours organisé en 2018 avant la publication des résultats, ce qui a conduit le jury à devoir déclarer le concours infructueux en raison de l'irrégularité qui a été ainsi commise, de s'être approprié les mérites de la conception d'un sujet de concours alors qu'il n'en était pas l'auteur, d'avoir potentiellement favorisé un candidat qu'il connaissait et qui participait pour la seconde année consécutive à un concours en ne retenant pas le nouveau sujet qui était proposé et en proposant à la place à l'ensemble des candidats un sujet quasiment identique à celui de l'année précédente, d'avoir manoeuvré vis-à-vis de sa hiérarchie pour obtenir deux entretiens professionnels de notation au titre de l'année 2016 avec deux personnes différentes, d'avoir maintenu un déplacement professionnel à Nouméa afin de bénéficier d'un voyage tous frais payés vers cette destination tout en sachant au moment du départ que ce déplacement ne se justifiait plus, d'avoir irrégulièrement réquisitionné son adjointe sans en référer préalablement à ses supérieurs, et enfin d'avoir continué à utiliser des courriers à en-tête de l'administration dans ses correspondances après sa suspension de fonctions.
5. Le requérant conteste la matérialité des faits retenus au soutien de la révocation. D'une part, la falsification de son état de services et d'un compte rendu d'entretien professionnel au titre de 2015 a été confirmée par le responsable du département de la gestion des personnels de greffe du Conseil d'Etat. D'autre part, le candidat concerné a confirmé par courriel du 12 mars 2018 avoir été informé directement par M. B... de la note obtenue avant la publication des résultats, le concours ayant été déclaré infructueux pour ce motif, et il résulte également de l'instruction que le véritable auteur du sujet du concours a confirmé, par courriel du 1er mars 2018, que M. B... lui avait confié le soin de concevoir un sujet de concours en méconnaissance des consignes d'externalisation qui lui avaient été données, et avait fait pression sur lui pour corroborer sa version des faits. Il résulte également de l'instruction, notamment de courriels du chef du service de l'environnement du 1er mars et 17 avril 2018, qu'à l'occasion d'un autre concours, précédemment déclaré infructueux en 2017, organisé pour le recrutement d'un agent au service de l'environnement, M. B... a produit, pour l'épreuve organisée en 2018, un sujet quasiment identique à celui de l'année précédente. Par ailleurs, M. B... n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la circonstance qu'il a usé de manoeuvres déloyales à l'égard de sa hiérarchie en fournissant, à l'appui de sa candidature à un poste de conseiller d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, un compte-rendu d'entretien d'évaluation sollicité directement auprès du préfet antérieurement à l'entretien d'évaluation réalisé au titre de la même année avec le secrétaire général, son supérieur hiérarchique direct, et sans en avoir informé ce dernier. Le maintien d'un déplacement à Nouméa pris en charge par son administration pour une mission inutile et la réquisition d'une adjointe sont également corroborés par l'instruction, en particulier un courriel du 15 février 2018 transférant à l'intéressé le courriel du même jour de la cour d'appel de Nouméa et l'arrêté de réquisition du 9 mars 2018 motivé par " l'impérieuse nécessité de continuité du service en l'absence du chef de service en mission du 12 au 23 mars 2018 " alors qu'il n'est pas contesté que la mission en cause prévue sur cinq jours pouvait être reportée. Enfin, M. B... ne conteste pas avoir utilisé, pendant sa suspension de fonctions, des courriers à en-tête de l'administration dans diverses correspondances d'ordre personnel avec sa hiérarchie, même s'il est fondé à contester la gravité de ce manquement. En revanche, la divulgation d'informations confidentielles à l'occasion de l'attribution d'un marché public qui motive également la sanction du 9 août 2018 ne peut être regardée comme établie en l'absence de témoignage probant et de toute procédure engagée par l'administration pour recueillir de tels justificatifs et en tirer les conséquences. De même, les seules circonstances que l'un des candidats des deux concours successifs organisés pour le recrutement d'un agent au service de l'environnement a rédigé une copie proche du corrigé élaboré par M. B... et a obtenu une excellente note, largement supérieure à celle obtenue par les deux autres candidats retenus, alors qu'il vivait avec une amie proche de la compagne de M. B..., sont insuffisantes pour révéler un manquement au principe d'égalité et une volonté de favoriser ce candidat. Si l'intéressé demande que les courriels, témoignages ou autres éléments produits par l'administration soient écartés pour divers motifs, dénonciation calomnieuse, justificatifs insuffisants et non probants, il ne produit lui-même pas la moindre pièce de nature à invalider les éléments de preuve fournis par l'administration. Dans ces conditions, la matérialité des faits reprochés à M. B... est établie à l'exception de la circonstance que M. B... aurait divulgué le nom du titulaire d'un marché et qu'il aurait favorisé un candidat à un concours.
6. S'il résulte de l'instruction que ses relations avec le secrétaire général de l'administration supérieure de Wallis-et-Futuna étaient conflictuelles, il n'en résulte pas, en revanche, que la révocation de M. B... aurait procédé, non de la volonté de sanctionner les faits qui lui étaient reprochés, mais de celle de l'évincer. La circonstance que plusieurs fonctionnaires auraient été conduits à mettre fin prématurément à leur affectation sur le territoire de Wallis-et-Futuna sur le fondement de fausses accusations tandis que d'autres agents auraient bénéficié de l'indulgence de leur hiérarchie ne suffit pas à établir une telle intention d'évincer M. B... de ses fonctions. Les circonstances invoquées par M. B..., à les supposer établies, ne sont pas susceptibles, eu égard à la nature et à l'accumulation des fautes commises par l'intéressé, qui constituent des manquements graves aux obligations de probité, d'intégrité et de loyauté, ainsi qu'à la nature de ses fonctions de chef de service des ressources humaines, d'en atténuer la gravité, alors même qu'il avait jusqu'alors satisfait à l'ensemble de ses missions et que s'agissant de la modification de son état de services, le secrétaire général aurait été informé de sa situation dès sa prise de fonction sur le territoire. Les faits reprochés ont porté atteinte à la nécessaire confiance que doit légitimement pouvoir avoir le supérieur hiérarchique d'un agent chargé des fonctions de chef du service des ressources humaines. Il suit de là que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna a considéré que la révocation dont M. B... a fait l'objet est disproportionnée et est entachée de ce fait d'une illégalité de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
7. Il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
8. En premier lieu, M. B... soutient que la convocation au conseil de discipline était irrégulière, dès lors qu'elle n'a pas été opérée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, en méconnaissance de l'article 4 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat. Il est constant que M. B..., qui a été convoqué devant la commission administrative paritaire nationale compétente à l'égard des attachés d'administration de l'Etat, siégeant en formation disciplinaire le 17 juillet 2018, par courrier du 28 juin 2018 remis par un officier de la gendarmerie le 2 juillet 2018, l'a été dans le délai réglementaire de quinze jours précédant la date de la réunion du conseil de discipline. L'absence de convocation sous la forme d'une lettre recommandée avec accusé de réception n'ayant privé M. B... d'aucune garantie, le moyen ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas bénéficié d'un délai suffisant pour organiser sa défense manque en fait. Enfin, si M. B... estime que le dossier disciplinaire lui a été communiqué tardivement, ne lui laissant pas suffisamment de temps pour pouvoir utilement préparer sa défense, il est constant que l'intéressé a pu consulter son dossier disciplinaire le 12 juillet 2018, dans un délai suffisant de cinq jours avant la tenue du conseil de discipline le 17 juillet suivant. Ce moyen ne peut en conséquence qu'être écarté comme manquant également en fait.
9. En deuxième lieu, M. B... soutient que son dossier disciplinaire était incomplet et qu'il y manquait une pièce jointe. Cependant, l'intéressé n'a émis aucune réserve sur la composition du dossier lors de sa communication et n'a pas usé de la faculté de réclamer une éventuelle pièce manquante avant la réunion de la commission administrative paritaire nationale compétente à l'égard des attachés d'administration de l'État, siégeant en formation disciplinaire. Dans ces conditions, M. B... n'a été privé d'aucune garantie.
10. Enfin, M. B... remet en cause l'impartialité du rapport disciplinaire, de l'enquêteur, du rapporteur et du conseil de discipline. Toutefois, en matière de sanction disciplinaire prise à l'encontre d'un agent public, la même autorité peut à la fois engager les poursuites, présider la commission consultative compétente et prononcer la sanction. En outre, le moyen tiré de l'irrégularité de l'enquête préalable à la procédure disciplinaire est inopérant à l'encontre de celle-ci. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que le rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet, a été établi en violation du principe du contradictoire ne peut qu'être écarté, dès lors que la réglementation ne prescrit pas, contrairement à ce que soutient M. B..., que ce rapport doit contenir des éléments à décharge. M. B... remet également en cause la participation de la cheffe du bureau des personnels administratifs comme membre du conseil de discipline en soutenant, sur le fondement d'un échange de courriels du 11 septembre 2017, qu'elle entretiendrait des liens amicaux avec le secrétaire général des îles de Wallis et Futuna. Toutefois, ce courriel qui est relatif aux éléments de preuve nécessaires à la qualification de faux documents n'établit pas l'existence de liens entre les intéressés de nature à faire présumer un manque d'impartialité à l'égard de M. B.... Enfin, si M. B... soutient que la procédure menée devant le conseil de discipline est viciée au motif que son supérieur hiérarchique, le secrétaire général avec lequel il entretient une relation conflictuelle et qui est à l'origine de la procédure disciplinaire, a été entendu en tant que témoin au cours de la séance de ce conseil, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne s'oppose à la présence du supérieur hiérarchique de l'agent poursuivi lors du conseil et qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier aurait manifesté une animosité personnelle ou fait preuve de partialité à l'égard de M. B....
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna a condamné l'Etat au versement de la somme de 100 000 francs CFP à raison du préjudice moral né de l'illégalité de la révocation de M. B.... L'article 1er de ce jugement doit dès lors être annulé et la demande de première instance rejetée dans cette limite.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1800497 du 27 septembre 2019 du Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Wallis-et-Futuna, dans la limite des conséquences de l'article 1er du présent arrêt, est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 30 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président,
- M. Soyez, président assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.
Le rapporteur,
A. C...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03556 2