Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 mai 2015, 25 octobre 2016,
15 novembre 2016, 6 janvier et 23 janvier 2017, la SARL OSPP, représentée par Me Guidet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1406514 du 27 mars 2015 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une violation du droit à un procès équitable et d'une violation de 1'article 6§ 1 de la convention européenne des droits de 1'homme et a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire;
- les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ont été méconnues dès lors qu'il ressort de la proposition de rectification du 23 juillet 2009 que 1'administration fiscale a utilisé des documents obtenus de tiers, dont elle n'a pas reçu communication malgré sa demande du 2 février 2011 ;
- les charges de sous-traitance rejetées par l'administration tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'au titre de la taxe déductible sont réelles et justifiées ; la taxe sur la valeur ajoutée afférente est donc déductible, dès lors que la charge correspondante est déductible des résultats de la société ;
- les pénalités appliquées sont dépourvues de fondement dès lors que la charge de sous-traitance était bien réelle.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 juin 2016, 8 décembre 2016 et le
20 janvier 2017, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête au motif, d'une part, de l'irrecevabilité des conclusions en décharge de la taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'insuffisance de déclaration de chiffre d'affaires en l'absence de moyen dirigé contre ces rappels, et, d'autre part, de l'absence de bien-fondé des moyens.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office tirés, d'une part, de ce que les moyens relatifs à l'irrégularité du jugement présentés après l'expiration du délai d'appel sont fondés sur une cause juridique distincte, constituent une demande nouvelle présentée tardivement et sont ainsi irrecevables, d'autre part, de ce que les conclusions tendant à la décharge des pénalités de 40 % pour manquement délibéré non contestées en première instance sont irrecevables de ce fait.
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2016, la SARL OSPP fait observer que ses conclusions tendant à la décharge des pénalités pour manquement délibéré sont recevables dès lors qu'en application de l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales, le contribuable peut faire valoir tout moyen nouveau jusqu'à la clôture de l'instruction, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicités ; que, par ailleurs, sa requête d'appel du
29 mai 2015 faisait valoir une insuffisance de motivation du jugement rendu par le
Tribunal administratif de Paris dans son point 2.1.1. et que son mémoire en réplique du
25 octobre 2016 ne fait que compléter cette argumentation.
Par un mémoire, enregistré le 10 novembre 2016, le ministre de l'économie et des finances conclut à l'irrecevabilité de la contestation de la régularité du jugement attaqué dès lors qu'un requérant n'est pas recevable à formuler pour la première fois, dans un mémoire enregistré après l'expiration du délai d'appel, un moyen relatif à la régularité du jugement attaqué, et au rejet du surplus de la requête.
Il soutient que les autres moyens ne sont pas fondés.
La SARL OSPP a produit, le 20 décembre 2016, un mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers, président-rapporteur,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,
- et les observations de Me Guidet, avocat de la SARL OSPP.
1. Considérant que la société à responsabilité limitée Organisation Sécurité Protection Privée (SARL OSPP), dont le capital est détenu par les époux A...et qui a pour activité le gardiennage et la sécurité, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007, à l'issue de laquelle des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ont été notifiés à la société par une proposition de rectification du 23 juillet 2009, selon la procédure de rectification contradictoire en ce qui concerne la TVA pour les années 2006 et 2007 ainsi que pour l'impôt sur les sociétés de 2007, et selon la procédure de taxation d'office pour l'impôt sur les sociétés de l'année 2006 ; que la SARL OSPP relève appel du jugement du 27 mars 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été mis à sa charge au titre des années 2006 et 2007 ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que, par un mémoire enregistré le 25 octobre 2016, soit après l'expiration du délai d'appel, la société OSPP soutient que le Tribunal aurait fondé son jugement sur une pièce produite par l'administration qui ne lui aurait pas été communiquée, en violation de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme et du principe du contradictoire; que, contrairement à ce qu'elle soutient, sa requête d'appel, enregistrée le 29 mai 2015, si elle critiquait " la motivation " du jugement, en critiquait le bien-fondé des motifs et non une éventuelle insuffisance de motivation ; que, par suite, la contestation de la régularité du jugement attaqué constitue une demande nouvelle tardive et donc irrecevable ;
Sur les conclusions aux fins de décharge :
3. Considérant que les impositions, en droits et pénalités, dont la SARL OSPP a demandé la décharge devant le Tribunal administratif sont pour l'essentiel afférentes aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant du rejet, par le service, des charges de sous-traitance " SARL SHAS " et à leur réintégration dans le résultat net de l'entreprise au titre de ces deux exercices ainsi qu'à la remise en cause de la taxe sur la valeur ajoutée déduite sur ces dépenses non justifiées ; que, toutefois, à hauteur de 4 179 euros pour 2006, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis des seuls intérêts de retard, résultent d'une insuffisance de déclaration de chiffre d'affaires relevée par l'administration ;
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2006 résultant d'une insuffisance de déclaration :
4. Considérant qu'ainsi que le fait valoir l'administration en appel, les conclusions en décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée ne sont assorties d'aucun moyen permettant d'en apprécier le bien-fondé ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a rejeté ses conclusions en décharge de ces rappels d'un montant de 4 179 euros, assortis des intérêts de retard ;
En ce qui concerne les autres impositions :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. " ;
6. Considérant qu'il incombe à l'administration d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent ; que lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue, lorsqu'elle en dispose, de lui communiquer avant la mise en recouvrement des impositions les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers et qui lui sont opposés ; qu'il en va ainsi, sauf dans le cas d'informations librement accessibles au public, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin notamment de lui permettre d'en vérifier, et le cas échéant d'en discuter, l'authenticité et la teneur ;
7. Considérant que la SARL OSPP soutient que la procédure d'imposition a méconnu les dispositions précitées dès lors que 1'administration fiscale a utilisé des documents obtenus de tiers, dont elle n'a pas eu communication malgré sa demande du 2 février 2011 ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 23 juillet 2009, que pour contester les charges de sous-traitance non justifiées au titre de l'impôt sur les sociétés, et constater que les décaissements correspondant aux factures libellées au nom de la
SARL SHAS et comptabilisés comme charge de la SARL OSPP avaient été effectués au profit principalement des associés de la société, l'administration s'est, notamment, fondée sur l'examen des relevés et des copies de chèques débités sur le compte bancaire n° 00035657301 détenu par la SARL OSPP auprès du CIC Banque Scalbert Dupont qu'elle avait obtenus en exerçant le droit de communication de l'article L. 81 et suivants du livre des procédures fiscales ; que, par lettre du 2 février 2011, la société demandait " l'ensemble des documents en votre possession ayant permis au service d'effectuer les redressements et rappels contestés, notamment les relevés de comptes SG Antilles et Banco Pinto Satomayor obtenus par le service dans le cadre de son droit de communication , les copies de chèques émis par les époux A...au profit de tiers " et demandait également " tous autres éléments obtenus dans le cadre de votre droit de communication " ; que, dans les termes où elle était rédigée, cette demande avait, sans ambiguïté, une portée générale ; qu'il est constant que les copies de chèques portés au crédit des comptes des épouxA..., associés de la société, et les copies de chèques émis par ces mêmes époux au profit de tiers ont été communiqués à la société par le service le 25 février 2010 ; que, toutefois, l'administration n'a pas communiqué les relevés du compte bancaire n° 00035657301 détenu par la SARL OSPP auprès du
CIC Banque Scalbert Dupont ; que le ministre ne saurait à cet égard se prévaloir de ce que, s'agissant de relevés de son propre compte bancaire, la société en avait nécessairement connaissance, dès lors que cette circonstance ne dispensait pas l'administration de les communiquer, afin notamment de permettre au contribuable d'en discuter l'authenticité et la teneur ; que, dès lors, les impositions résultant de la remise en cause des charges de sous-traitance " SARL SHAS ", y compris les pénalités correspondantes incluses dans les montants contestés lors de la réclamation préalable puis devant le Tribunal administratif, ont été établies à l'issue d'une procédure irrégulière ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête dirigés contre le bien-fondé de ces impositions, que la SARL OSPP est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a rejeté sa demande de décharge desdites impositions, en droits et pénalités ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SARL OSPP de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions susvisées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La SARL OSPP est déchargée des contributions supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2006 et 2007 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre des années 2006 et 2007, relatifs aux charges de sous-traitance " SARL SHAS " ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête, relatives aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour l'année 2006 d'un montant de 4 179 euros, assortis des intérêts de retard, est rejeté.
Article 3 : Le jugement n° 1406514 du 27 mars 2015 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SARL OSPP la somme de 1 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Organisation Sécurité Protection Privée (SARL OSPP) et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 10 février 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Mosser, président-assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mars 2017.
Le président-rapporteur,
M. HEERS L'assesseur le plus ancien,
G. MOSSERLe greffier,
F. DUBUYLa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02169