Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 février 2016, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par MmeA....
Le préfet de police soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision fixant le pays de destination au motif qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que Mme A...n'établit pas la réalité et l'actualité des risques qu'elle allègue encourir en cas de retour en Arménie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2016, Mme A...épouseC..., représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 20 janvier 2016 en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du 29 mai 2015 par lesquelles le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français et d'annuler ces décisions du 29 mai 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour, et, à défaut, dans le même délai et sous la même astreinte, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article le 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A...soutient que :
- la décision lui refusant le droit de séjourner en France est insuffisamment motivée, méconnaît le 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en outre, est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une insuffisance de motivation dès lors que l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est contraire aux articles 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision de refus de séjour et méconnaît en outre
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée, est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant les décisions de refus de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire et, en outre, méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du
27 mai 2016.
Par une lettre du 7 février 2017, les parties ont été informées de ce que, en application de l'article L. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boissy, rapporteur,
- et les conclusions de M. Rousset, rapporteur public.
1. Considérant que MmeA..., de nationalité arménienne, entrée en France le 18 décembre 2013 selon ses déclarations, a présenté, sur le fondement des articles L. 313-13 et du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 2 mai 2014, une demande tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugiée ; qu'en application du 2° de l'article L. 741-4 du même code, le préfet de police a refusé de l'admettre provisoirement à séjourner en France ; que, par une décision du 19 septembre 2015, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a rejeté la demande de
Mme A...; que, par une décision du 30 mars 2015, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a ensuite rejeté le recours exercé par l'intéressée contre la décision de l'OFPRA ; que, par un arrêté du 29 mai 2015, le préfet de police a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A...et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel elle sera éloignée ; que, par un jugement du 20 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris, d'une part, a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe l'Arménie comme pays de renvoi et enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de Mme A...et, d'autre part, a rejeté le surplus de la demande de l'intéressée tendant à l'annulation des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire ; que le préfet de police, par la voie de l'appel principal, et MmeA..., par la voie de l'appel incident, relèvent appel de ce jugement en tant qu'il leur est défavorable ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la partie du jugement statuant sur la décision de refus de séjour :
2. Considérant que les conclusions incidentes par lesquelles Mme A...demande à la Cour d'annuler la partie du jugement statuant sur la légalité de la décision par laquelle le préfet de police lui a refusé le droit de séjourner en France présentent à juger à un litige distinct de celui présenté, par la voie de l'appel principal, par le préfet de police ; qu'elles ne sont dès lors pas recevables et doivent par suite être rejetées ;
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la partie du jugement statuant sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article
L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / 4° Si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s'est maintenu sur le territoire français à l'expiration de ce titre ; / 5° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé. / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I (...) " ;
4. Considérant que dans le cas prévu au 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour, lequel doit être motivé en application de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ; qu'ainsi, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions législatives, dès lors qu'elles ne visent que des étrangers, institueraient une discrimination non justifiée par l'intérêt général ni par l'objet du service public, contraire au principe d'égalité de traitement et au principe de non discrimination dans l'exercice du droit à un recours effectif garantis notamment par les articles 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeA..., qui vit seule avec son fils en France, n'établit pas être dépourvue d'attaches familiales en Arménie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 43 ans au moins ; qu'elle n'établit pas davantage la réalité et l'intensité des relations qu'elle entretiendrait avec son frère et sa belle-soeur, qui résident en France en qualité de réfugiés ; que si, à la date de la décision litigieuse, son fils était scolarisé sur le territoire français en classe de seconde, l'intéressée n'établit ni même n'allègue l'impossibilité de reconstituer la cellule familiale à l'étranger ; que, dès lors, et compte tenu également du caractère récent et de ses conditions de séjour en France, la décision faisant obligation à Mme A...de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'elle n'a dès lors pas méconnu les stipulations précitées ;
7. Considérant, en dernier lieu, que la décision par laquelle le préfet police a refusé à Mme A...le droit de séjourner en France n'étant pas entachée d'illégalité, ainsi que l'ont décidé les premiers juges dans le jugement attaqué qui est, sur ce point, devenu définitif, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire serait entachée d'illégalité par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision de refus de séjour ;
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la partie du jugement statuant sur la décision fixant le pays de destination :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
9. Considérant que MmeA..., dont la demande d'asile a par ailleurs été rejetée par l'OFPRA puis la CNDA, soutient qu'en mai 2008, elle a adhéré au parti Azatutium, que son mari a été arrêté à deux reprises après avoir refusé de vendre son bureau de change au frère du président de la République ; qu'elle fait également valoir qu'après avoir été battue par des membres du KGB en raison des activités de son frère, ancien membre des services secrets, elle a porté plainte le 14 avril 2010 et que, le 9 avril 2013, elle a été arrêtée alors qu'elle participait à une manifestation puis détenue quelques heures et, enfin, qu'elle a été menacée de mort tant par les membres du KGB et les autorités que par le locataire qui a repris le bureau de change ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les déclarations de l'intéressée concernant son arrestation ont varié au cours du temps ; que le récit circonstancié, seulement produit devant le tribunal administratif, qui a été établi le 8 août 2015 par son fils, né le 10 février 1997 à Erevan, et qui relate une série d'évènements dont les plus anciens remontent à 2004 et 2009, alors qu'il n'était âgé que de 7 et 12 ans, apparaît également, compte tenu des termes dans lesquels il a été rédigé, dénué de valeur probante ; que l'attestation établie par le parti Azatutium le
21 mars 2014, après son départ de l'Arménie, ne suffit pas, en raison de son caractère stéréotypé, à établir la réalité de l'engagement politique militant de MmeA... ; que, dans ces conditions, l'intéressée n'a pas produit un récit corroboré par des documents qui permettraient d'établir la vraisemblance des menaces encourues ; que, dès lors, il n'apparaît pas que sa vie ou sa liberté, au sens des dispositions et des stipulations précitées, serait actuellement menacée en cas de retour dans son pays d'origine ; que, par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la partie de son arrêté fixant l'Arménie comme pays de renvoi au motif qu'il avait méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
10. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...devant le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d'appel de Paris ;
11. Considérant, en premier lieu, qu'en mentionnant que MmeA..., de nationalité arménienne, pourra être reconduite d'office à la frontière à destination du pays dont elle a la nationalité ou de tout pays pour lequel elle établit être également admissible et en précisant que l'intéressée n'établissait pas être exposée, en cas de retour dans son pays d'origine ou dans son pays de résidence habituelle où elle est effectivement admissible, à des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le préfet de police a en l'espèce suffisamment motivé la décision en litige ;
12. Considérant, en second lieu, que les décisions par lesquelles le préfet de police a refusé à Mme A...le droit de séjourner en France et l'a obligée à quitter le territoire français n'étant pas entachées d'illégalité, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le moyen invoqué par la voie de l'exception à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi, tiré de l'illégalité de ces décisions, doit être écarté ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 13 que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 29 mai 2015 en tant qu'il a fixé l'Arménie comme pays de renvoi, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de Mme A...et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de l'intéressée en application des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; qu'il est donc fondé à demander l'annulation de cette partie du jugement et le rejet de la demande de MmeA... ; que cette dernière n'est en revanche pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 2015 lui faisant obligation de quitter le territoire ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
14. Considérant que le présent arrêt, qui rejette dans son ensemble la demande de
Mme A...tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 mai 2015, n'appelle, par lui-même, aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par l'intéressée doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à l'avocat de Mme A...une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement n° 1517138/5-3 du tribunal administratif de Paris en date du 20 janvier 2016 sont annulés.
Article 2 : La demande et les conclusions d'appel de Mme A...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A...épouse C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 3 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mars 2017.
Le rapporteur,
L. BOISSY
Le président,
M. HEERSLe greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°16PA00734 2