Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2020 et le 9 mars 2021, la SAS Kesslord, représentée par la SELURL CL avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1809476/1-3 du 25 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les provisions pour dépréciation des stocks étaient justifiées pour l'intégralité de leur montant ;
- le service a réintégré dans le bénéfice imposable au titre des exercices 2013 et 2014 une partie de la provision pour dépréciation des stocks qu'elle avait constituée à la fin de chaque exercice en méconnaissance de la prise de position formelle, au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, exprimée à la suite d'un contrôle portant sur les exercices clos en 2009 et 2010.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Kesslord ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jurin,
- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Kesslord exerce une activité de vente en détail et en gros de maroquinerie et de chaussures. Elle a comptabilisé pour les exercices 2013 et 2014 des provisions pour dépréciation des stocks pour un montant respectif de 152 346 euros et 115 042 euros. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle l'administration a réintégré ces provisions à hauteur de 133 737,08 euros au titre de 2013 et de 62 618,60 euros au titre de 2014. Par un jugement du 25 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la SAS Kesslord tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'année 2013 et des pénalités correspondantes. Elle relève appel de ce jugement.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable aux sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes du 3 de l'article 38, également applicable aux sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) les stocks sont évalués au prix de revient ou au cours du jour de la clôture de l'exercice, si ce cours est inférieur au prix de revient (...) ". En vertu de l'article 38 decies de l'annexe 3 au code général des impôts : " Si le cours du jour à la date de l'inventaire des marchandises, matières premières, matières et fournitures consommables, produits intermédiaires, produits finis et emballages commerciaux perdus en stock au jour de l'inventaire est inférieur au coût de revient défini à l'article 38 nonies, l'entreprise doit constituer, à due concurrence, des provisions pour dépréciation ".
3. Lorsqu'une entreprise constate que l'ensemble des matières ou produits qu'elle possède en stock ou une catégorie déterminée d'entre eux a, à la date de clôture de l'exercice, une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient, elle est en droit de constituer, à concurrence de l'écart constaté, une provision pour dépréciation si elle est en mesure de justifier de la réalité de cet écart et d'en déterminer le montant avec une approximation suffisante.
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Kesslord a évalué le montant des provisions pour dépréciation de stocks pratiquées pour les années 2013 et 2014 en appliquant de manière forfaitaire sur une partie importante de son stock des taux variant de 20 à 50 % pratiqué par rapport au prix de revient. Pour justifier le montant de cette dépréciation, la société requérante se fonde sur l'expérience de la gérante du magasin et sur sa connaissance du marché et soutient en outre que son secteur d'activité est soumis à d'importantes baisses des prix à raison des changements de mode et des pratiques continues de soldes. Si à l'appui de ces allégations la société requérante se borne à produire deux factures au profit de grossistes établies le 30 août 2014 et le 16 septembre 2014 attestant de la pratique de remises importantes, les éléments produits ne suffisent pas à déterminer que la méthode utilisée, reposant essentiellement sur l'expérience de la gérante du magasin, permettait de déterminer dans son principe, avec une approximation suffisante et fondée sur des données qui lui sont propres, la dépréciation subie, selon elle, par son stock de marchandises à la clôture de l'exercice et comme justifiant les taux de décote, particulièrement élevés, qu'elle a pratiqués. Enfin, si la société soutient qu'elle intervient dans un secteur particulièrement sensible aux changements de mode et aux soldes, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer que les produits qu'elle vend sont particulièrement sensibles au marché de la mode et à la multiplication de collections.
5. Ainsi, dès lors que la société Kesslord ne justifie pas par des éléments précis et tirés de données propres à son exploitation les taux de décote appliqués pour calculer ses provisions, sa méthode d'évaluation ne permet pas de déterminer avec une approximation suffisante l'écart entre la valeur probable de réalisation des produits en stock à la clôture des exercices en litige et leur prix de revient. Elle ne peut, dès lors, être regardée comme justifiant les montants des provisions pour dépréciation de stocks passées en comptabilité au titre des exercices clos en 2013 et 2014. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a remis en cause ces provisions.
6. En deuxième lieu, la société requérante critique la méthode retenue par l'administration pour évaluer le montant des provisions déductibles. L'administration a, afin de déterminer le montant des dépréciations de stocks, retenu comme cours du jour le prix de vente minimal à la date de chaque inventaire et a notamment calculé la provision à partir d'un échantillon de 15 articles. La société requérante critique l'échantillon retenu au motif que les factures retenues sont celles pour lesquelles des remises moins importantes ont été pratiquées. Toutefois les deux factures produites en appel ne suffisent pas à établir que l'échantillon composé par l'administration n'était pas représentatif. En conséquence, la société n'est pas fondée à soutenir que les provisions admises par le service sont sous-évaluées.
Sur l'interprétation de la loi fiscale qui aurait été donnée par l'administration :
7. Aux termes de l'article 80 B du livre des procédures fiscales : " " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ".
8. La société Kesslord soutient qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices 2009 et 2010 à l'issue de laquelle après lui avoir adressé une proposition de rectification réintégrant une partie de ses provisions pour dépréciation de stocks, l'administration a abandonné ces rectifications après la saisine de la commission départementale des impôts directs et du chiffre d'affaires. La société en conclut que cet abandon constitue une prise de position formelle quant à sa méthode de calcul des provisions pour dépréciation des stocks.
9. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'administration a informé la société par un courrier du 6 septembre 2013 qu'elle abandonnait les rehaussements envisagés après l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Toutefois, il résulte de l'instruction que cet abandon est motivé par le faible montant des rectifications. Ainsi, il ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur l'appréciation de la situation de fait en litige. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales précitées pour demander la décharge de l'imposition litigieuse.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Kesslord n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Kesslord est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kesslord et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- Mme Jurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.
La rapporteure,
E. JURINLe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA04009