Par une requête enregistrée le 4 juin 2018, la société Air France, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 avril 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision R/15-968 du 31 mai 2016 du ministre de l'intérieur ou de la décharger de l'obligation de payer l'amende mise à sa charge par cette décision ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'amende prononcée à son encontre à la somme de 500 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le passager a présenté un " laisser-passer tenant lieu de passeport " délivré par la République Centrafriquaine et bénéficiait d'un titre de séjour d'une durée de dix ans valable jusqu'en 2020 ; la compagnie Air France n'a aucun pouvoir de police ni autorité juridique pour s'opposer à son embarquement ;
- le ministre de l'intérieur a prononcé une amende à son montant maximum sans tenir compte de la gravité de la faute alors qu'elle ne peut être qualifiée d'une exceptionnelle gravité ; il n'y a eu ni usurpation d'identité, ni production d'un document falsifié ; cette sanction maximale automatiquement appliquée est contraire au principe pénal de proportionnalité reconnu par le juge administratif et aux principes fondamentaux du droit répressif rappelés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 24 novembre 2017 ;
Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la constitution ;
- la décision n° 2017 - 675 QPC du 24 novembre 2017 ;
- le règlement n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard,
- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 31 mai 2016, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 5 000 euros pour avoir, le 29 juillet 2015, débarqué sur le territoire français un ressortissant centrafricain en provenance de Bangui, titulaire d'un " laissez-passer tenant lieu de passeport " délivré par la République centrafricaine. La société Air France relève appel du jugement du 4 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la décharge de l'obligation de payer cette amende et demande en appel, à titre subsidiaire, la réduction de cette amende à la somme de 500 euros.
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. ". Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date des faits litigieux : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 5 000 euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un autre Etat, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. (...) ". Aux termes de l'article L. 625-5 du même code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 et
L. 625-4 ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. ".
3. Si ces dispositions font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides, elles n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique. Elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, à laquelle le transporteur est d'ailleurs tenu de procéder en vertu de l'article L. 6421-2 du code des transports, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) les étrangers titulaires d'un titre de séjour (...) sont admis sur le territoire au seul vu de ce titre et d'un document de voyage. ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 2 de l'arrêté du 10 mai 2010 : " Pour franchir les frontières du territoire européen de la France tout étranger doit être muni d'un document de voyage répondant aux critères définis à l'article 12 du règlement (CE) n° 810/2009 susvisé ". Selon l'article 12 du règlement 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas, le document de voyage doit contenir au moins deux feuillets vierges et avoir été délivré depuis moins de dix ans.
5. La société Air France soutient, en premier lieu, que le passager ayant présenté un " laissez-passer tenant lieu de passeport " délivré par la République Centrafriquaine et bénéficiant d'un titre de séjour français d'une durée de dix ans valable jusqu'en 2020, elle n'avait aucun pouvoir de police ni autorité juridique pour s'opposer à son embarquement. Toutefois si un tel document pouvait être valable pour un voyage vers le pays d'origine de l'intéressé ainsi que le précise la décision contestée, il résulte de l'instruction qu'il ne répondait pas aux conditions prévues par les dispositions précitées de l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France et n'était pas au nombre des documents de voyage reconnus par la France et permettant l'accès au territoire français et à l'espace Schengen. Par suite, le ministre était fondé à infliger à la société requérante l'amende prévue par les dispositions précitées de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. La société Air France soutient, en second lieu, que le ministre de l'intérieur a prononcé une amende à son montant maximum sans tenir compte de la gravité de la faute alors qu'elle ne peut être qualifiée d'une exceptionnelle gravité dès lors qu'il n'y a eu ni usurpation d'identité, ni production d'un document falsifié. Elle fait également valoir que cette sanction maximale automatiquement appliquée est contraire au principe pénal de proportionnalité reconnu par le juge administratif et aux principes fondamentaux du droit répressif rappelés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 24 novembre 2017. Toutefois, la décision litigieuse qui mentionne les éléments de faits sur lesquels elle se fonde et énonce que " l'administration ne relève dans cette affaire aucune circonstance atténuante qui puisse exonérer ou réduire la responsabilité de la compagnie ", ne peut être regardée comme procédant d'une application automatique de la sanction maximale encourue. En outre, l'absence d'usurpation d'identité ou de présentation d'un document falsifié ne suffit pas à justifier que ce montant soit réduit à 500 euros comme elle le demande à titre subsidiaire.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 juin 2019.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
M. HEERS
Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°°18PA01878 5