Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2019 et le 11 février 2020, Mme L... et M. M..., représentés par Me C..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1718847/1-1 du 10 juillet 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement du Tribunal est entaché d'irrégularité dès lors qu'il a omis de statuer sur un argument développé dans leurs écritures ;
- la SARL Cassagnon était en droit d'exercer l'option prévue par l'article 239 bis AA du code général des impôts dès lors qu'elle était constituée dès sa création entre parents en ligne directe et frères et soeurs ;
- la SCI Sorm ne saurait être regardée comme une associée de la société Cassagnon ;
- l'administration fiscale a ajouté une condition à la loi fiscale en s'appuyant sur la doctrine ;
- la société devait bénéficier de la mesure de tempérament instaurée par la réponse ministérielle Tailhades (Sénat 23 juin 1982 p. 3070 n°3696), mentionnée par l'instruction du 15 février 1983 (4 H-1-83 n° 31 et 32) ;
- l'instruction du 15 février 1983 (4 H-1-83 n° 8 et D. adm. 4 H-1221 n° 20, 1er mars 1995) reprise par le bulletin officiel (BOI-IS-CHAMP-20-20-10 n° 50), prévoit que le régime de l'article 239 bis AA est applicable s'il existe des liens de parenté directe ou collatérale jusqu'au deuxième degré, ce qui est le cas en l'espèce ;
- dès lors que la condition du lien de parenté était remplie, le régime des distributions des résultats des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ne pouvait pas s'appliquer et aucun redressement ne pouvait être effectué dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;
- les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la société Cassagnon ont été déchargées par un jugement du 24 novembre 2017 du Tribunal administratif de Pau, de sorte que ses associés ne peuvent être assujettis à des impositions supplémentaires en matière de revenus de capitaux mobiliers ;
- l'inscription des sommes en cause sur le compte courant d'associée de Mme L... procède d'une erreur comptable ;
- les sommes en cause ne pouvaient être imposées sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, ainsi que le confirme l'instruction BOI-RPPM-RCM-10-20-20-50.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme L... et M. M... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. H...,
- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me C..., avocat de Mme L... et de M. M....
Considérant ce qui suit :
1. Mme L... détenait 16,655 % du capital de la société à responsabilité limitée (SARL) Cassagnon, qui exerce une activité de lotisseur et qui a, la 10 octobre 2003, opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes sur le fondement de l'article 239 bis AA du code général des impôts. À l'issue de la vérification de comptabilité de cette société, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de cette option et a soumis à l'impôt sur les sociétés les bénéfices réalisés par la société Cassagnon au titre des exercices clos en 2010 et 2011. Elle a également estimé que ces bénéfices devaient être regardés comme des revenus distribués entre les mains des associés, parmi lesquels Mme L..., laquelle a été imposée à l'impôt sur le revenu au titre des années 2010 et 2011, sur le fondement du 1° du 1. de l'article 109 du code général des impôts, à raison de sa quote-part dans le capital de la société. Au cours de l'instruction de la réclamation préalable de Mme L... et de son époux, M. M..., le service a dégrevé les impositions mises à leur charge au titre de l'année 2010. S'agissant de l'année 2011, il a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, opéré une compensation entre les impositions initialement notifiées sur le fondement du 1° du 1. de l'article 109 du code général des impôts et celles désormais mises à leur charge sur le fondement du 2° du 1. de l'article 109 du même code, à raison de la somme de 42 688 euros inscrite au crédit du compte courant de Mme L... ouvert dans les écritures de la société Cassagnon. Mme L... et M. M... relèvent appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2011.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés à l'appui de ce moyen, ont suffisamment répondu au point 10 du jugement contesté, au moyen par lequel les requérants soutenaient que la société Cassagnon remplissait les conditions pour bénéficier de l'option prévue par l'article 239 bis AA du code général des impôts pour le régime des sociétés de personnes. Le Tribunal a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, se borner, pour écarter ce moyen, à examiner si cette condition était remplie à compter de 2008, et donc, a fortiori, au titre des années d'imposition, dès lors que, compte tenu de ce motif, il n'était pas nécessaire de statuer sur la composition initiale du capital social de la société Cassagnon. Par suite, le moyen doit être écarté.
Sur le bénéfice de l'option pour le régime fiscal des sociétés de personnes :
Sur l'application de la loi fiscale :
4. En premier lieu, en vertu du 1 de l'article 206 du code général des impôts, les sociétés à responsabilité limitée sont passibles de l'impôt sur les sociétés sauf si elles ont opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes. Aux termes de l'article 239 bis AA du code général des impôts : " Les sociétés à responsabilité limitée exerçant une activité industrielle, commerciale artisanale ou agricole, et formées uniquement entre personnes parentes en ligne directe ou entre frères et soeurs, ainsi que les conjoints et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité défini à l'article 515-1 du code civil, peuvent opter pour le régime fiscal des sociétés de personnes mentionné à l'article 8. L'option ne peut être exercée qu'avec l'accord de tous les associés. Elle cesse de produire ses effets dès que des personnes autres que celles prévues dans le présent article deviennent associées ". Il résulte de ces dispositions que l'option pour le régime des sociétés de personnes est soumise à deux conditions, tenant à la nature de l'activité exercée et à l'existence de liens familiaux entre les associés. Ces deux conditions doivent être satisfaites non seulement au moment de la notification de l'option mais aussi pendant toutes les années au titre desquelles la société prétend au bénéfice de ce régime.
5. Il résulte de l'instruction que la société à responsabilité limitée Cassagnon a été constituée le 16 septembre 2003 entre M. B... E..., ses enfants Mme A... E... et M. K... E..., son petit-fils M. F... L..., fils de Mme I... E..., venant en représentation de sa mère décédée, et sa petite-fille Mme J... L..., fille de Mme I... E... venant en représentation de sa mère décédée. Les premiers juges doivent être regardés comme ayant estimé que la condition tenant à l'existence de liens familiaux directs entre les associés, prévue par l'article 239 bis AA du code général des impôts, n'était en l'espèce pas remplie dès lors que figurait parmi les associés de la société Cassagnon M. F... L..., associé de la SCI Sorm. Dès lors que la société Cassagnon comptait parmi ses associés M. F... L..., mais aussi Mme J... L..., respectivement neveu et nièce de Mme A... E... et de M. K... E..., elle ne pouvait être considérée comme étant composée uniquement, dès la notification, le 10 octobre 2003, de l'option pour le régime des sociétés de personnes, de personnes parentes en ligne directe ou de frères et soeurs. Ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner si la SCI Sorm était devenue associée de la société Cassagnon, c'est à bon droit que l'administration fiscale, qui n'a pas ajouté de condition à la loi fiscale, a remis en cause l'option exercée par la société Cassagnon pour le régime des sociétés de personnes sur le fondement de l'article 239 bis AA du code général des impôts.
Sur l'interprétation de la loi fiscale :
6. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente [...] ".
7. En premier lieu, la doctrine administrative invoquée par les requérants, figurant dans l'instruction du 15 février 1983 (4 H-1-83 n° 8 et D. adm. 4 H-1221 n° 20, 1er mars 1995) reprise par le bulletin officiel (BOI-IS-CHAMP-20-20-10 n° 50), ne contient pas une interprétation différente de la loi fiscale dont il est, en l'espèce, fait application dès lors qu'elle n'admet les liens de parenté collatérale que jusqu'au deuxième degré, alors que, en application de l'article 743 du code civil, Mme J... L... et son frère M. F... L... sont, à l'égard de leur oncle M. K... E... et de leur tante Mme A... E..., au troisième degré.
8. En second lieu, si les requérants font valoir que Mme J... L..., et son frère, M. F... L..., sont les enfants de Mme I... E..., décédée, et que la société Cassagnon pouvait donc bénéficier de la mesure de tempérament prévue par la réponse ministérielle Tailhades (Sénat, 23 juin 1982, p. 3070, n° 3693), et mentionnée par l'instruction du 15 février 1983 (4 H-1-83 n° 31 et 32), reprise par le bulletin officiel (BOI-IS-CHAMP-20-20-40 n° 20) selon laquelle " il est admis que dans le cas où un associé décède et que ses enfants ou son conjoint entrent dans la société, l'application du régime des sociétés de personnes ne soit pas remise en cause quels que soient les liens de parenté unissant les nouveaux associés avec les autres ", ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que Mme I... E..., mère de Mme J... L... et de M. F... L..., n'a jamais été associée de la société Cassagnon. Par ailleurs, les requérants ne sauraient soutenir que l'application de la doctrine ne peut conduire à une situation discriminatoire, et faire dépendre le bénéfice de la mesure de tolérance qu'elle instaure de la date du décès, dès lors que la société Cassagnon n'entre pas, ainsi qu'il a été dit, dans les prévisions de cette doctrine, laquelle est d'interprétation stricte.
9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Cassagnon ne remplissait pas les conditions pour pouvoir bénéficier du régime fiscal des sociétés de personnes. L'administration était, par suite, fondée à soumettre ses bénéfices à l'impôt sur les sociétés.
Sur les revenus distribués :
10. En premier lieu, la décision prise par la juridiction administrative dans un litige relatif à l'imposition d'une société à l'impôt sur les sociétés est, par elle-même, sans influence sur l'imposition du dirigeant ou de l'associé de cette société à l'impôt sur le revenu, alors même qu'il s'agirait d'un excédent de distribution révélé par un redressement des bases de l'impôt sur les sociétés que l'administration entend imposer à l'impôt sur le revenu entre les mains du bénéficiaire.
11. En l'espèce, la circonstance que, par un jugement du 23 novembre 2017, le Tribunal administratif de Pau a, pour un motif tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition, déchargé la société Cassagnon des cotisations d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 2010 et 2011 ne fait pas obstacle à l'imposition personnelle mise à la charge de Mme L... et de M. M.... Par suite, le moyen doit être écarté.
12. En second lieu, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : [...] / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices [...] ". Les sommes inscrites au crédit du compte courant d'associé d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés sont, sauf preuve contraire, à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Pour que l'associé échappe à cette imposition, il lui incombe de démontrer, le cas échéant, qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes ou que ces sommes ne correspondent pas à la mise à disposition d'un revenu.
13. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le résultat de la société Cassagnon au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 a été affecté au poste " report à nouveau ". L'administration fiscale a imposé, en dernier lieu sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, les sommes créditées au 1er janvier 2011 au crédit du compte courant d'associée de Mme L.... Faute pour les requérants d'apporter la preuve qu'elle n'a pu avoir la disposition de ces sommes, c'est à bon droit que l'administration fiscale, qui avait valablement, ainsi qu'il été dit au point 5, remis en cause l'option pour le régime des sociétés de personnes, a regardé les sommes inscrites, au 1er janvier 2011, au crédit du compte courant d'associée de Mme L... dans les écritures de la société Cassagnon, comme des revenus distribués et les a imposées sur le fondement du 2° du 1. de l'article 109 du code général des impôts. La circonstance que l'inscription des sommes sur le compte courant d'associée de Mme L... procèderait d'une erreur comptable involontaire est à cet égard sans incidence. Par ailleurs, les requérants ne sauraient utilement soutenir, en se prévalant notamment d'une instruction référencée BOI-RPPM-RCM-10-20-20-50, que les sommes en cause ne pouvaient être imposées sur le fondement du 1° du 1. de l'article 109 du code général des impôts, dès lors que l'administration fiscale ne s'est pas fondée, en dernier lieu, sur ces dispositions.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme L... et M. M... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme L... et M. M... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... L... et M. G... M... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Segretain, premier conseiller,
- M. H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 janvier 2021.
Le rapporteur,
K. H...
Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA02954 2