Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 avril 2019, le 12 juin 2019 et le 10 mars 2020, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1713631/5-3 du 20 février 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision 30 juin 2017 du président du Centre des monuments nationaux ;
3°) d'enjoindre au Centre des monuments nationaux de retirer de son dossier administratif toute mention de cette décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice de l'union européenne la question préjudicielle suivante :
1) Aux fins de respect du principe d'équivalence entre travailleurs temporaires et permanents, y a-t-il lieu de considérer que la différence de traitement instaurée par la combinaison des articles 19 et 32 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires en matière de prescription de l'action disciplinaire entre les fonctionnaires et les agents publics non-titulaires constitue une différence de traitement entre travailleurs temporaires et permanents interdite par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999 '
2) En cas de réponse affirmative, y a-t-il lieu de considérer que les objectifs de politique sociale ayant légitimé la création d'un délai de prescription en matière disciplinaire pour les fonctionnaires justifient également la différence de traitement consistant en une imprescriptibilité des poursuites disciplinaires des agents publics non-titulaires '
3) En l'absence de justification raisonnable conforme à la clause 4 de l'accord-cadre annexé à la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, la différence de traitement entre travailleurs temporaires et travailleurs permanent dans l'application d'un délai de prescription en matière disciplinaire prévu par la règlementation française constitue-t-elle une discrimination interdite par l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'elle serait contraire aux principes d'égalité et de non-discrimination '
5°) de mettre à la charge du Centre des monuments nationaux le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier faute d'avoir visé et analysé le mémoire qu'il a produit le 8 juin 2018 ;
- il est insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée ;
- la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que la communication de documents utiles à sa défense lui a été refusée avant la prise de la décision ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 dès lors qu'elle est fondée sur des faits datant de plus de trois ans et que la prescription n'a pas été valablement interrompue ;
- ces dispositions doivent être appliquées aux agents non titulaires en vertu du principe de non discrimination entre fonctionnaires titulaires et agents contractuels consacré par la jurisprudence communautaire ;
- elle est fondée sur des faits qui ne sont pas établis et ne constituent pas des fautes disciplinaires ;
- la sanction prononcée est disproportionnée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 décembre 2019 et le 6 avril 2020, le Centre des monuments nationaux, représenté par la SCP Lyon-Caen Thiriez, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 22 juin 2020, le président-assesseur de la 7ème chambre de la Cour a refusé de faire droit à la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Stoltz - Valette, rapporteur public,
- les observations de Me Bourgeois, avocat de M. C...,
- et les observations de Me Brecq-Coutant, avocat du Centre des monuments nationaux.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été engagé par un contrat du 7 juin 2005 en qualité de chef du service des systèmes d'information du Centre des monuments nationaux (CMN), puis, par un avenant du
11 juin 2009, en qualité de chef du département informatique à la direction de la maîtrise d'ouvrage de ce même établissement. Il a fait l'objet, le 31 mars 2016, d'une sanction disciplinaire de licenciement sans préavis ni indemnité, annulée à raison de son illégalité externe par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 22 mars 2017. A la suite de sa réintégration, le président du CMN a de nouveau prononcé à son encontre, le 30 juin 2017, la même sanction disciplinaire de licenciement sans préavis ni indemnité. M. C... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient le requérant, les premiers juges ont visé et analysé le mémoire qu'il a produit et qui a été enregistré au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2018.
3. En second lieu, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de ce que la décision attaquée était insuffisamment motivée en relevant, dans les points 2, 3 et 4 du jugement attaqué, que cette décision, alors même qu'elle reprend les griefs énoncés dans le rapport de saisine de la commission consultative paritaire, comporte les visas des textes applicables et expose de façon suffisamment détaillée les faits et agissements reprochés à M. C..., et est ainsi suffisamment motivée tant au regard des dispositions du code des relations entre le public et l'administration que de l'article 43-2 précité du décret du 17 janvier 1986.
Sur le bien fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité externe de la décision :
4. En premier lieu, M. C... n'apportant, en appel, aucun élément de fait ou de droit nouveau au soutien du moyen tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
5. En second lieu, il est constant que M. C... a été mis à même de consulter son dossier, et a fait usage de cette possibilité le 24 avril 2017. Il est tout aussi constant qu'il a été convoqué le 15 mai 2017 à un entretien préalable puis devant la commission consultative paritaire du collège n° 4 compétente, qui a siégé dans une séance du 19 juin 2017 au cours de laquelle son avocat a pu présenter des observations écrites et orales après avoir reçu communication le 1er juin précédant du rapport de saisine de cette commission. Dans ces conditions M. C..., qui a disposé d'un délai suffisant ainsi que de l'ensemble des éléments d'information nécessaires pour préparer utilement sa défense, n'est pas fondé à soutenir que l'intégralité des pièces utiles pour sa défense ne lui aurait pas été communiquée. Par ailleurs la demande de pièces complémentaires concernant trois agents ayant témoigné à sa charge, qu'il a présentée à la fin de la séance du 19 juin 2017, était relative à une argumentation précédemment développée par son conseil, par écrit puis oralement lors de cette même séance, et ne portait pas sur des pièces qui ont servi de fondement à la décision attaquée. Par suite M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision :
6. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 : " (...) Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire (...). "
7. En premier lieu, lorsqu'une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de cette date[HP1]. Par suite, le délai de trois ans institué par les dispositions précitées de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, au demeurant pour les seuls fonctionnaires titulaires, ayant couru, en ce qui concerne les faits antérieurs au 22 avril 2016, date d'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016, à compter de cette date, M. C... n'est en tout état de cause pas fondé à soutenir que la sanction attaquée serait illégalement fondée sur des faits prescrits, en méconnaissance du principe d'égalité et de non-discrimination entre les agents publics contractuels et les fonctionnaires, de l'article 10 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des témoignages émanant tant de ses subordonnés que de sa hiérarchie, ainsi que de rapports établis par la médecine de prévention, par un cabinet d'audit extérieur en novembre 2012 et par la direction des ressources humaines en février 2016, que M. C... a adopté, depuis 2009, une pratique managériale inappropriée, notamment par le recours, à l'encontre de ses collaborateurs, à des brimades, des propos injurieux et des consignes contradictoires, par l'instauration d'un climat de suspicion généralisée à l'égard des autres services de l'établissement, mais également qu'il a, de manière récurrente et délibérée, refusé d'exécuter ou contrecarré les ordres et consignes de sa hiérarchie et, en particulier, de son supérieur hiérarchique direct depuis le 1er septembre 2015, et a également, à plusieurs reprises, dénigré la direction du Centre, tant auprès du personnel que de prestataires extérieurs, sans tenir compte des rappels à l'ordre et invitations de la part de sa hiérarchie à modifier son mode d'exercice de ses fonctions, qui portait atteinte au bon fonctionnement du service ainsi qu'à l'image de l'établissement. A cet égard, la circonstance que M. C..., dont les compétences techniques n'ont jamais été mises en cause, ait entretenu de bonnes relations avec des prestataires extérieurs, avec sa hiérarchie avant 2008 ou avec des agents du CMN n'étant pas affectés comme lui au siège parisien, n'est pas de nature à remettre en cause les témoignages concordants et circonstanciés qui établissent les faits lui étant reprochés. De même, la circonstance que des dysfonctionnements dans la gouvernance du CMN, relevés par un rapport de l'inspection générale des affaires culturelles en septembre 2011, ont eu une incidence négative sur le bon fonctionnement de l'ensemble des services n'est pas de nature à ôter aux faits commis par
M. C... leur caractère fautif, eu égard notamment au niveau des responsabilités qui lui étaient confiées.
9. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'erreur de fait et d'erreur de qualification juridique des faits. Eu égard à la gravité de ces faits et à leur cumul, il n'est pas plus fondé à soutenir que la sanction du licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement prise à son encontre serait disproportionnée.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer aux fins de saisir la Cour de justice de l'union européenne d'une question préjudicielle, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du Centre des monuments nationaux, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du Centre des musées nationaux présentées sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Centre des musées nationaux présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au Centre des musées nationaux.
Copie en sera transmise au ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme B..., président assesseur,
- M. Segretain, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
Le rapporteur,
P. B...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[HP1]CE n° 420148
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N° 19PA01396