Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement n° 2014504/8 du 8 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 28 août 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- l'arrêt contesté pouvait légalement porter transfert de M. A... aux autorités allemandes ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- la directive n° 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant pakistanais né selon ses déclarations le 30 décembre 1983, est entré irrégulièrement en France, et a sollicité le 16 juillet 2020 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile auprès des autorités grecques le 13 janvier 2012 et des autorités allemandes les 10 août 2016 et 28 novembre 2019. Le 17 juillet 2020, le préfet de police a adressé aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de M. A... en application des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités allemandes ont acceptée par un accord du 24 juillet 2020. Le préfet de police a décidé la remise de M. A... aux autorités allemandes par un arrêté du 28 août 2020, qui a été annulé par un jugement du 8 octobre 2020 dont le préfet de police relève appel.
Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :
2. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, intégré dans le chapitre II de ce règlement intitulé " Principes généraux et garanties " : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen (...) ". Le chapitre III de ce règlement est intitulé " Critères de détermination de l'Etat responsable ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 18 du même règlement, intégré dans le chapitre V du règlement, intitulé " Obligations de l'Etat membre responsable " : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ".
4. L'arrêté du 28 août 2020 du préfet de police, qui fonde la remise de M. A... aux autorités allemandes sur les dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 relatives à la reprise en charge d'un demandeur d'asile par un Etat membre de l'Union Européenne, expose notamment que celui-ci a présenté une demande de protection internationale en Allemagne avant de solliciter l'asile auprès des autorités nationales, et porte l'appréciation selon laquelle les critères mentionnés au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 ne sont pas applicables à sa situation. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour annuler cet arrêté, le premier juge a déduit de ces circonstances et du fait que l'arrêté contesté ne mentionne pas la demande d'asile déposée auprès des autorités grecques que les dispositions du 1 de l'article 18 de ce règlement devaient être combinées avec celles de l'article 3, et a estimé qu'en application de la combinaison de ces dispositions l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A... était non pas l'Allemagne mais le premier État membre auprès duquel il avait introduit sa demande de protection internationale, c'est-à-dire la Grèce.
5. Cependant, selon l'avis n° 420900 du 7 décembre 2018 du Conseil d'Etat, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile sur le territoire d'un autre Etat membre, elle peut être transférée vers cet Etat, à qui il incombe de la reprendre en charge, sur le fondement des b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V et du paragraphe 5 de l'article 20 du chapitre VI du règlement (UE) n° 604/2013. Cet avis expose en outre qu'est suffisamment motivée, au sens des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. L'avis précise à titre d'exemple que, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
6. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt n° C-582/217 et C-583/17 du 2 avril 2019, au point 52, que les b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 ne trouvent à s'appliquer que si l'Etat membre dans lequel une demande a été antérieurement introduite a achevé la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile en admettant sa responsabilité pour examiner cette demande et en a commencé l'examen, au point 58, que la procédure de reprise en charge est régie par des dispositions présentant des différences substantielles avec celles qui gouvernent la procédure de prise en charge et, aux points 65 à 72, que malgré le libellé " Obligations de l'Etat membre responsable " du chapitre V, l'interprétation selon laquelle une requête aux fins de reprise en charge ne pourrait être formulée que si l'Etat membre requis peut être désigné comme l'Etat responsable en application des critères de responsabilité énoncés au chapitre III du règlement est contredite par l'économie générale de ce règlement.
7. Il ressort de ces jurisprudences que les critères du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne sont susceptibles de fonder une décision de transfert que s'il s'agit d'un transfert en vue d'une première prise en charge, et non en vue d'une reprise en charge. Il en ressort également que les dispositions du b) à d) du 1 de l'article 18 de ce règlement doivent être regardées comme figurant au nombre des critères énumérés dans le règlement, au sens du 2 de l'article 3 du règlement. Par suite, lorsqu'une personne a antérieurement présenté une demande d'asile auprès d'un ou de plusieurs Etats membres, avant d'entrer sur le territoire d'un autre Etat membre pour y solliciter de nouveau l'asile dans des conditions permettant à cet Etat de demander sa reprise en charge sur le fondement des dispositions du b), c) ou d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sa situation ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement, qui concernent le cas dans lequel aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement.
8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les recherches effectuées par les services du ministère de l'intérieur dans le fichier " Eurodac " à partir des relevés décadactylaires de M. A..., comme le compte-rendu de l'entretien individuel de l'intéressé, ont permis d'établir qu'il a sollicité l'asile auprès des autorités grecques le 13 janvier 2012, et qu'il est ultérieurement entré en Allemagne où il a présenté les 10 août 2016 et 28 novembre 2019 deux demandes d'asile qui ont été rejetées. En décidant d'examiner ainsi la demande d'asile de M. A... en 2016 et 2019 alors qu'il avait antérieurement sollicité l'asile en Grèce en 2012, les autorités allemandes ont reconnu leur responsabilité pour examiner cette demande, mettant ainsi fin au processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande prévu par le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces autorités ont de plus explicitement accepté, le 24 juillet 2020, de reprendre en charge M. A... sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 de ce règlement.
9. Par suite, en vertu de la règle énoncée au point 7, la situation de M. A... ne relève pas des dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 en application desquelles, lorsqu'aucun Etat membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans ce règlement, le premier Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen de cette demande.
10. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a annulé son arrêté du 28 août 2020 au motif que les dispositions du premier alinéa du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 devraient être combinées avec celles du d) du 1 de l'article 18 de ce règlement, de sorte que la Grèce, et non l'Allemagne, serait responsable de l'examen de la demande d'asile de M. A....
11. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés en première instance par M. A... :
12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, le 16 juillet 2020, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police. Le préfet de police a produit, en annexe de ses écritures en défense de première instance, un résumé de son entretien individuel contenant les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Par ailleurs, cet entretien a eu lieu en ourdou, langue comprise par l'intéressé qui a d'ailleurs déclaré " avoir compris l'ensemble des termes de cet entretien ", par le biais d'un interprète qualifié de l'agence ISM interprétariat dont le nom, le prénom et l'adresse sont indiqués. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le compte-rendu de l'entretien serait incomplet en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
13. En second et dernier lieu, si M. A... soutient qu'existent des défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure de demande d'asile, il ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de telles défaillances en Allemagne dans la procédure d'asile ou que sa demande d'asile ne sera pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, l'Allemagne étant un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 28 août 2020 et lui a enjoint d'enregistrer en procédure normale la demande d'asile de M. A.... Il est dès lors fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de ce jugement et le rejet des conclusions de la demande auxquelles ce jugement a fait droit, à l'exception de celles tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2014504/8 du 8 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles les articles 2 et 3 de ce jugement n° 2014504/8 ont fait droit sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, président,
- M. B..., premier conseiller,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2021.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20PA03224