Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés respectivement les 27 juin 2018, 3 août 2018 et 24 juin 2019, Mme F..., représentée par Me D..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n°s 1600276 et 1600284 du 27 avril 2017 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de condamner, à titre principal, la Nouvelle-Calédonie, la province Sud ou la commune de Dumbéa, sur le fondement de la responsabilité sans faute, à lui verser la somme de 6 912 835 F CFP en réparation du préjudice subi du fait de la chute d'un arbre sur son habitation, et, à titre subsidiaire, de condamner la Nouvelle-Calédonie, la province Sud ou la commune de Dumbéa, sur le fondement de la responsabilité pour faute, à lui verser la somme de 300 000 F CFP en réparation de ce même préjudice ;
3°) d'enjoindre, d'une part, à la compagnie d'assurance Allianz, assureur de la commune de Dumbéa, de communiquer le rapport établi à la suite du sinistre, et, d'autre part, à la commune de Dumbéa de verser aux débats ce rapport d'expertise, ou à tout le moins de le communiquer à la Cour ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Dumbéa la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la requête n'est pas tardive, le jugement ne lui ayant pas été régulièrement notifié ;
- l'arbre à l'origine du dommage se situait à une distance de 2,4 mètres du lit de la rivière Nondoué, soit sur la bande des 4 mètres constituant l'emprise d'une servitude de marchepied appartenant au domaine public fluvial ;
- les travaux d'entretien du domaine public fluvial ont le caractère de travaux publics, tels que l'élagage ou la coupe des arbres implantés sur ce domaine, et l'arbre en lui-même a le caractère d'ouvrage public ;
- en tant que simple riveraine du domaine public, elle a la qualité de tiers par rapport aux travaux d'entretien du domaine public fluvial ;
- la responsabilité sans faute de la Nouvelle-Calédonie ou des collectivités délégataires est donc engagée du fait de l'effondrement de l'arbre à l'origine du dommage ;
- si la Nouvelle-Calédonie a délégué par convention la mission d'entretien du domaine public fluvial à la province Sud, cette circonstance ne lui permet toutefois pas d'échapper à sa responsabilité ;
- ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la commune de Dumbéa est chargée des travaux de petits entretiens sur la zone de servitude de marchepied de 4 mètres et, dans ce cadre, il lui appartient d'élaguer ou d'abattre les arbres et arbustes selon les nécessités de l'entretien ; sa responsabilité doit donc être confirmée par la Cour ;
- à supposer que la responsabilité sans faute de la Nouvelle-Calédonie ou des collectivités délégataires ne soit pas engagée, elle a droit à l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité pour faute, la chute de l'arbre à l'origine du dommage étant due à un défaut d'entretien normal des berges ;
- la Nouvelle-Calédonie a commis une faute en n'intervenant pas sur l'arbre pourtant atteint par des termites et situé à proximité de sa maison d'habitation ;
- ses préjudices matériels et moraux doivent être évalués à 6 912 835 F CFP.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2018, la province Sud, représentée par Me G..., conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre subsidiaire, à son rejet au fond et en tout état de cause, à ce que la somme de 356 682, 84 F CFP soit mise à la charge de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est tardive et comprend des conclusions nouvelles en appel à l'égard de la province Sud ;
- la province Sud n'est pas responsable des dommages causés par l'arbre ;
- Mme F... n'apporte pas la preuve que l'arbre se situait sur le domaine public fluvial et ne démontre pas que l'arbre était situé à 2,4 mètres du lit de la rivière Nondoué ;
- Mme F... ne rapporte pas la preuve que l'arbre à l'origine du dommage se trouve effectivement dans la zone de marchepied de 4 mètres ;
- l'arbre se situait sur la propriété de Mme F... ;
- l'entretien des berges sur le territoire de la commune de Dumbéa n'incombe pas à la province Sud, la charge des travaux, notamment de débroussaillage des berges, d'abattage sélectif d'arbres, de dégagement du lit mineur et d'enlèvement d'obstacles s'opposant à l'écoulement des eaux, ayant été transférée à la commune par convention du 3 octobre 2013 ;
- à supposer que la province Sud soit effectivement chargée de l'entretien des berges et du lit des cours d'eau situés sur le territoire de la commune de Dumbéa, la délibération n° 238/CP du 18 novembre 1997 du gouvernement de Nouvelle-Calédonie portant délégation des gestions des cours d'eaux aux provinces Nord et Sud n'a pas pour objet la protection des propriétés riveraines aux cours d'eau ;
- les conditions pour engager la responsabilité sans faute de la province Sud du fait de dommages de travaux publics causés aux tiers ne sont pas réunies dès lors que Mme F... présente la qualité d'usager ;
- Mme F... ne démontre aucune faute de nature à engager la responsabilité de la province Sud dès lors qu'elle n'apporte aucun élément permettant de conclure à un défaut d'entretien normal de l'arbre ;
- Mme F... n'apporte aucune justification quant aux montants sollicités pour la réparation de son préjudice.
Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés le 31 décembre 2018 et le 7 janvier 2019, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la SCP Meier-Bourdeau Lécuyer, conclut, à titre principal, à sa mise hors de cause, à titre subsidiaire, à l'irrecevabilité de la requête, à titre très subsidiaire, au rejet au fond de la requête et, en toute hypothèse, à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel de Mme F... n'est pas dirigée contre la Nouvelle-Calédonie et elle ne demande pas à ce que celle-ci soit condamnée à la réparation des préjudices qu'elle aurait subis ; la Nouvelle-Calédonie doit donc être mise hors de cause ;
- la requête est irrecevable pour tardiveté ;
- les conditions pour engager la responsabilité sans faute de la Nouvelle-Calédonie au titre des dommages causés par un ouvrage public ou des travaux publics à un tiers ne sont pas réunies ;
- la requérante ne démontre pas que l'arbre était situé sur le domaine public, et plus précisément elle ne démontre pas qu'il était situé à 2,4 mètres du lit de la rivière Nondoué, soit dans la zone de marchepied ;
- le plan des zones inondables de la direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales démontre que l'arbre était implanté à l'intérieur du terrain de Mme F..., au-delà de la zone de marchepied ;
- la requérante ne démontre pas que l'arbre à l'origine du dommage constitue un ouvrage public ;
- aucun travail public n'a pas été poursuivi à cet endroit pour le compte d'une personne publique et dans un but d'intérêt général ;
- la requérante ne peut se prévaloir d'un défaut d'entretien normal des berges et du cours d'eau alors qu'elle a la qualité de tiers à l'égard de ces derniers ;
- en toute hypothèse, aucune faute ne saurait être imputée à la puissance publique dès lors que l'obligation d'entretien des cours d'eau à sa charge est limitée au maintien du libre écoulement des eaux ; or la requérante ne démontre pas que l'insuffisance de cet entretien serait à l'origine de la chute de l'arbre ;
- par ailleurs, la rivière Nondoué a fait l'objet de plusieurs interventions d'entretien et d'aménagement, entre 2006 et 2016, réalisées par la province Sud et par la commune de Dumbéa, qui ont été recensées par la Nouvelle-Calédonie ;
- l'état apparent de l'arbre en cause était bon et sa souche ne présentait pas de galeries apparentes de termites ;
- la requérante ne justifie pas les montants sollicités pour la réparation de ses préjudices.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 19 septembre 2019, la commune de Dumbéa, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est irrecevable parce que tardive et que les moyens soulevés par Mme F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;
- la délibération n° 105 du 9 août 1968 réglementant le régime et la lutte contre la pollution des eaux en Nouvelle-Calédonie ;
- la délibération n° 238/CP du 18 novembre 1997 portant délégation des gestions des cours d'eau aux provinces Nord et Sud ;
- l'arrêté n° 2013-1199/GNC du 21 mai 2013 approuvant une convention relative aux travaux de petit entretien des cours d'eau et habilitant le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à la signer ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C... de la Selas Citylex Avocats, avocat de la province Sud.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... est propriétaire indivis d'un terrain et d'une maison d'habitation situés au 331 route de la Nondoué, à Dumbéa, en bordure de la rivière Nondoué. Le 24 février 2016, un arbre s'est abattu sur cette maison d'habitation. Mme F... relève appel du jugement du 27 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à être indemnisée de ses préjudices consécutifs à cet accident.
Sur la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie, de la province Sud ou de la commune de Dumbéa, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Nouvelle-Calédonie, la province Sud et la commune de Dumbéa :
2. Aux termes de l'article 1er de la délibération susvisée du 9 août 1968 : " Sont déclarés appartenir au domaine public territorial les eaux naturelles de toutes espèces, les lacs salés et les lacs d'eau douce, lagunes, étangs, cours d'eau, nappes souterraines et sources de toute nature. Les lits des cours d'eau font également partie du domaine public. ". Aux termes de l'article 8 de la même délibération : " Indépendamment des chemins de halage, les propriétés riveraines du cours d'eau sont grevées sur chaque rive d'une servitude de passage de quatre mètres dite servitude de marchepied destinée exclusivement à l'entretien ou à la surveillance du cours d'eau par la puissance publique. ". Enfin, aux termes de l'article 9 de la même délibération : " Les propriétaires riverains du cours d'eau ne peuvent se clore par haie ou autre moyen inamovible qu'à une distance de quatre mètres des berges. Dans cette zone de marchepied les arbres et arbustes pourront être élagués ou abattus selon les nécessités de l'entretien. ". Cette servitude de marchepied de quatre mètres de large le long de la rivière est, par ailleurs, mentionnée dans l'acte notarié établi le 29 septembre 1993 par lequel Mme F... est devenue propriétaire indivis, avec ses quatre filles, du terrain et de la maison d'habitation dont s'agit, qui cite les mentions d'un certificat d'urbanisme.
3. Si la requérante soutient que l'arbre qui s'est abattu sur sa maison d'habitation était implanté à 2,4 mètres du lit de la rivière Nondoué, soit à l'intérieur de la servitude de marchepied dont son terrain est grevé, aucune des pièces du dossier, et notamment les clichés photographiques ou le plan des zones inondables de la direction des affaires vétérinaires, alimentaires et rurales, ne permet de déterminer l'emplacement exact de l'arbre en cause. Toutefois, en tout état de cause, et à supposer même que l'arbre qui s'est abattu ait été implanté dans la servitude de marchepied, cette circonstance ne permettrait pas que Mme F... puisse être indemnisée des dommages causés à son habitation par la chute de l'arbre dès lors que, d'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de l'acte de propriété de la requérante, que le terrain grevé de cette servitude de marchepied appartient à Mme F... et à ses filles et que, d'autre part, il résulte de l'instruction que cette servitude n'a pas fait l'objet d'un aménagement particulier, pas plus, au demeurant, que la rivière Nondoué. Par conséquent, cette servitude ne peut être regardée comme un ouvrage public ou la dépendance d'un tel ouvrage susceptible, en cas de dommage, d'engager la responsabilité du gestionnaire du domaine public fluvial ou de la personne publique en charge de l'entretien de la rivière Nondoué à l'égard des tiers ou des usagers.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit utile de diligenter la mesure d'instruction sollicitée par la requérante, que Mme F... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 27 avril 2017, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
5. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par Mme F... doivent être rejetées.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la province Sud, de la Nouvelle-Calédonie et de la commune de Dumbéa les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la province Sud, la Nouvelle-Calédonie et la commune de Dumbéa au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F..., à la Nouvelle-Calédonie, à la province Sud et à la commune de Dumbéa.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
I. B...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA02180 6