Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 27 mars 2019 et le 10 novembre 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901774/3-1 du 27 février 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 10 janvier 2019 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités allemandes responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à défaut d'accorder à Me D... le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que le préfet de police ne justifie pas avoir adressé aux autorités allemandes une requête aux fins de reprise en charge dans le délai de deux mois prévu par ces dispositions ;
- il n'a pas été précédé d'un examen complet de sa situation personnelle et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa demande d'asile a été définitivement rejetée par les autorités allemandes qui ont pris à son encontre une mesure d'éloignement et d'interdiction de séjour sur le territoire ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa demande d'asile a fait l'objet d'un rejet définitif par les autorités allemandes, qui risquent de le renvoyer en Afghanistan où il sera exposé à des traitements inhumains et dégradants ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet de police s'est abstenu de faire usage du pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- dès lors que la déclaration de fuite prise à son encontre n'est pas caractérisée, il y a lieu de constater que la France est désormais responsable de sa demande de protection internationale, sur le fondement de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et que le délai d'exécution de la décision de transfert en litige a été porté à dix-huit mois, soit jusqu'au 27 août 2020, en raison de la fuite de M. A....
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 29 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me D..., avocat M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant afghan, né le 5 mai 1994, est entré irrégulièrement en France où il a sollicité le bénéfice de l'asile le 16 novembre 2018 au guichet unique de la préfecture de police. Le relevé de ses empreintes digitales et la consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait également présenté une demande d'asile en Allemagne le 18 janvier 2017, le préfet de police a saisi les autorités allemandes, le 18 décembre 2018, d'une demande de reprise en charge à laquelle elles ont répondu favorablement le 20 décembre 2018. Par un arrêté du 10 janvier 2019, le préfet de police a ordonné le transfert de M. A... aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 27 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant à ce qu'un non-lieu à statuer soit prononcé et que la France soit déclarée responsable de la demande de protection internationale de M. A... sur le fondement de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 :
2. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) susvisé n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été convoqué à la préfecture de police les 1er et 8 août 2019 afin que l'arrêté de transfert dont il faisait l'objet soit exécuté ; toutefois, M. A... ne s'est pas rendu à ces convocations. Si le requérant fait valoir que son avocat a adressé au préfet de police une lettre recommandée avec avis de réception datée du 30 août 2019 et reçue le 2 septembre 2019 dans laquelle était indiqué que M. A... n'avait pu se rendre à ces convocations en raison de problèmes de santé rencontrés au début du mois d'août 2019 et sollicitant qu'il soit à nouveau convoqué en vue de l'exécution éventuelle de l'arrêté de transfert afin qu'il ne soit pas déclaré en fuite, le certificat médical du 8 août 2019, en pièce jointe de ce courrier, émanant d'un médecin généraliste allergologue dont le nom n'est pas identifiable, qui se borne à indiquer que " pour des troubles psychosomatiques, consulte chez un psychiatre ", sans que soit produit un certificat médical de ce psychiatre, n'est pas de nature à établir que M. A... n'aurait pu se rendre aux convocations à la préfecture de police des 1er et 8 août 2019. Par suite, le préfet de police a pu, le 13 août 2019, sans entacher sa décision d'erreurs de fait ou de droit, estimer que le comportement constaté de M. A... présentait les caractéristiques d'une situation de fuite au sens des dispositions précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 et, par suite, porter à dix-huit mois le délai dans lequel le transfert de M. A... pouvait être effectué, ce dont les autorités allemandes ont été informées le jour même. Ainsi, ce délai, qui a recommencé à courir intégralement à compter de la date de notification, le 27 février 2019, du jugement du tribunal administratif auprès des services de la préfecture de police, devant arriver à son terme le 27 août 2020, il y a lieu de statuer sur la requête.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale " et aux termes de l'article 25 de ce même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est présenté le 16 novembre 2018 auprès du guichet unique de la préfecture de police afin d'y solliciter l'asile. Informé de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait introduit une demande d'asile en Allemagne le 18 janvier 2017, le préfet de police a saisi les autorités allemandes, le 18 décembre 2018, d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions de l'article 18-1 b) du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, soit dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac prévu par les dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 23 du règlement n° 604/2013, comme en atteste l'accusé de réception Dublinet versé au dossier pour la première fois en appel. Il ressort également des pièces du dossier, que par un courriel du 20 décembre 2018, les autorités allemandes ont répondu favorablement à cette demande de reprise en charge dans le délai de deux semaines mentionné au paragraphe 1 de l'article 25 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ces éléments suffisent à tenir pour établie la saisine des autorités allemandes par les autorités françaises. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert aurait été pris en méconnaissance de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en l'absence de preuve de la saisine des autorités allemandes dans le délai de deux mois et de l'absence de réponse par les autorités allemandes à la demande de reprise en charge du préfet, doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le requérant soutient que l'arrêté de transfert n'a pas été précédé d'un examen complet de sa situation personnelle dès lors que le préfet de police n'a pas tenu compte de la circonstance que sa demande d'asile formée auprès des autorités allemandes a été définitivement rejetée et qu'une mesure d'éloignement ainsi qu'une interdiction de séjour sur le territoire ont été prises à son encontre par ces mêmes autorités. Toutefois, les éléments versés au dossier par le requérant ne permettent pas d'établir la réalité de telles allégations. En particulier, le requérant ne saurait se prévaloir d'un document établi par l'Office fédéral des migrations et des réfugiés qui ne porte pas sur sa situation mais celle d'un autre demandeur d'asile de nationalité afghane. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé ne disposerait pas de voie de recours effective contre de telles mesures. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté n'aurait pas été précédé d'un examen complet de sa situation personnelle et que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. M. A... soutient qu'en cas de transfert vers l'Allemagne et dès lors que les autorités de ce pays ont rejeté sa demande d'asile, il risque d'être renvoyé vers l'Afghanistan et qu'il encourt des risques pour sa vie en cas de retour dans son pays. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne et non en Afghanistan. Par ailleurs, M. A... ne fait état d'aucune circonstance précise de nature à établir que sa remise aux autorités allemandes ne permettrait pas de s'assurer des garanties offertes en ce qui concerne la possibilité d'un réexamen de sa demande d'asile ainsi que les conditions de ce dernier, et qu'elle serait donc, par elle-même, contraire à l'article 3 de cette convention, en ce que les autorités allemandes procéderaient immanquablement à son éloignement vers l'Afghanistan. L'Allemagne étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit, en effet, être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces conventions. Par suite, les moyens tirés de ce que le préfet de police aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application des dispositions dérogatoires dites " clauses discrétionnaires " mentionnées à l'article 17 du règlement cité au point 5 et celui tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
I. C...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01170