Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2019, et un nouveau mémoire, enregistré le 24 juin 2019, le ministre de l'intérieur, représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1905907/8 du 30 mars 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris contre sa décision du 25 mars 2019.
Il soutient que :
- sa décision du 25 mars 2019 par laquelle il considère que la demande d'asile de Mme E... est manifestement infondée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les éléments dont fait part Mme E... pour justifier de sa demande d'asile sont fluctuants et non circonstanciés ;
- les autres moyens soulevés en première instance par Mme E... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme E... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me D... de la Selarl B... et Associés, avocat du ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante angolaise arrivée en France le 23 mars 2019 à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle par un vol en provenance de Luanda, a sollicité le même jour son admission au séjour au titre de l'asile et a été placée en zone d'attente. Par une décision du 25 mars 2019, prise après avis de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du même jour, le ministre de l'intérieur a estimé que sa demande au titre de l'asile était manifestement infondée et a décidé en conséquence de lui refuser l'entrée sur le territoire français et a prescrit son réacheminement vers l'Angola ou vers tout autre pays où elle serait légalement admissible. Le ministre de l'intérieur fait appel du jugement du 30 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 25 mars 2019.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu dans une zone d'attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement, ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ et, s'il est demandeur d'asile, à un examen tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise par le ministre chargé de l'immigration que si : (...) 3°) (...) la demande d'asile est manifestement infondée. Constitue une demande manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves. ".
4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 213-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le ministre de l'intérieur peut rejeter la demande d'asile présentée par un étranger se présentant aux frontières du territoire national lorsque ses déclarations et les documents qu'il produit à leur appui, du fait notamment de leur caractère incohérent, inconsistant ou trop général, sont manifestement dépourvus de crédibilité et font apparaître comme manifestement dénuées de fondement les menaces de persécutions alléguées par l'intéressé au titre de l'article 1er A. (2) de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés.
5. Pour annuler la décision du ministre de l'intérieur refusant l'entrée sur le territoire de Mme E..., le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ses déclarations consignées dans le compte-rendu d'entretien avec le représentant de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et complétées à l'audience, par lesquelles Mme E... affirmait qu'elle avait été violée par des individus cherchant à s'emparer d'une pierre précieuse que son mari aurait caché à leur domicile, que ces individus la menaçaient encore au moment où elle a décidé de quitter son pays et qu'elle n'a pu trouver protection auprès des autorités de son pays, demeurées inactives malgré sa plainte. Le tribunal a estimé que compte tenu de ces éléments et de la cohérence d'ensemble du récit, le ministre de l'intérieur, en refusant son admission sur le territoire national et en estimant que sa demande devait être regardée comme manifestement infondée, avait commis une erreur manifeste d'appréciation.
6. Cependant, il ressort des pièces du dossier que le récit de Mme E... présente des lacunes dès lors qu'elle n'est pas en mesure de dater les évènements évoqués ainsi que des incohérences dès lors que, d'une part, bien que mariée depuis sept ans, elle ignore tout de l'activité professionnelle de son conjoint et, d'autre part, son récit concernant son acheminement à l'hôpital a été substantiellement modifié depuis son entretien avec l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. De même, si Mme E... indique avoir été violée et agressée au visage à coups de couteau, et alors qu'elle aurait été hospitalisée à la suite de cette agression, l'intéressée n'apporte aucun certificat médical permettant d'attester de la réalité des blessures qu'elles invoquent. Par suite, le ministre de l'intérieur, en estimant que la demande formulée par Mme E... apparaissait comme dénuée de toute crédibilité et devait être considérée comme manifestement infondée au sens des articles L. 221-1 et L. 213-8-1 précités, n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation.
7. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par Mme E... :
Sur la décision rejetant la demande d'admission :
8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 213-2 du même code : " Lorsque l'étranger qui se présente à la frontière demande à bénéficier du droit d'asile, , il est informé sans délai, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de la procédure de demande d'asile et de son déroulement, de ses droits et obligations au cours de cette procédure, des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités et des moyens dont il dispose pour l'aider à présenter sa demande. (...) ".
9. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 213-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ont assuré la transposition de l'article 12 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, que l'étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile doit être informé du déroulement de la procédure dont il fait l'objet et des moyens dont il dispose pour satisfaire à son obligation de justifier du bien-fondé de sa demande. Ces dispositions impliquent notamment que l'étranger soit informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, de la possibilité non seulement d'entrer en contact et de se faire assister d'un représentant d'une association ou de tout autre organisation qui fournit des conseils juridiques ou d'autres orientations aux demandeurs mais aussi de communiquer avec un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
10. Il ressort du procès-verbal du 23 mars 2019 transcrivant l'entretien de notification des droits et obligations du demandeur d'asile que Mme E..., qui s'exprime en français, a été informée de ses obligations et des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations, notamment celle de coopérer avec les autorités et des moyens à disposition pour l'aider à présenter sa demande. Au nombre desdites informations figurait, notamment, la possibilité de se faire assister au cours de la procédure d'asile par un avocat ou une association humanitaire habilitée à assister juridiquement les étrangers en zone d'attente et de la possibilité de communiquer avec un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Par suite, le moyen tiré du défaut d'information sur ses droits et obligations dans le cadre de la procédure d'examen de sa demande d'asile manque en fait et doit être écarté.
11. En deuxième lieu, si la confidentialité des éléments d'information détenus par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, ce principe ne fait pas obstacle à ce que les agents habilités à mettre en oeuvre le droit d'asile aient accès à ces informations. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la procédure suivie a porté atteinte au principe de confidentialité des éléments d'information ressortant de la demande d'asile, dès lors que ces éléments n'ont été connus, transmis et étudiés que par les agents des autorités habilitées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à traiter leurs demandes, à savoir les agents de police, de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur, tous astreints au secret professionnel. Enfin la circonstance que la décision serait transmise par télécopie ou courrier électronique n'est pas davantage de nature à méconnaître ce principe, ni à porter atteinte au droit d'asile. En conséquence, ce moyen doit être également écarté.
12. En troisième lieu, si Mme E... soutient qu'elle n'a pu exercer son droit à être assistée par une association habilitée par le directeur général de l'OFPRA faute de connexion Internet au sein de la zone d'attente, il est constant qu'il existe un affichage en aéroport de la liste des associations intervenantes et que l'information donnée par cet affichage avait été précisée dans la convocation adressée à Mme E.... Par suite, le moyen doit être écarté.
13. En quatrième lieu, si Mme E... soutient que les conditions matérielles de l'entretien avec l'agent de l'OFPRA ne lui ont pas permis d'être bien comprise dès lors qu'elle n'a pu bénéficier que de l'assistance d'un interprète en langue portugaise par téléphone, il ressort des pièces du dossier qu'elle a pu apporter des réponses intelligibles et substantielles au cours de cet entretien et que celui-ci n'a été perturbé par aucun incident de nature à avoir privé l'intéressée de la possibilité de fournir les précisions utiles à l'examen de sa situation. Au surplus, Mme E... comprend la langue française. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de la procédure doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de réacheminement :
14. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " et aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " 1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. ".
15. Les déclarations de Mme E... n'étant manifestement par crédibles pour les raisons exposées au point 6 du présent arrêt, et les éléments apportés au soutien de ce moyen reposant uniquement sur l'état général des violences faites aux femmes en Angola, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée, en ce qu'elle prescrit son réacheminement vers l'Angola, méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision portant refus d'entrée sur le territoire français.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905907/8 du 30 mars 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
I. A...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01457