Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2019, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802874/6-2 du 14 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, de constater qu'un accord est intervenu entre les parties et de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à exécuter l'accord proposé et à lui verser la somme convenue de 23 401,89 euros, se décomposant comme suit : 10 162,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. E..., 5 000 euros au titre des souffrances endurées par M. E..., 2 000 euros au titre du préjudice d'affection subi par Mme E..., 5 270,73 euros au titre du remboursement des frais d'obsèques, 268,66 euros au titre du remboursement des frais d'hôtellerie et de taxis et 700 euros au titre du remboursement des frais d'assistance par un avocat, ces sommes devant porter intérêts au taux légal de la date à laquelle la demande préalable d'indemnisation a été adressée à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, et ces intérêts devant être capitalisés à chaque date anniversaire ;
3°) à titre subsidiaire, de mettre en place une médiation dans le respect des dispositions des articles L. 213-1 et suivants du code de justice administrative, de désigner tel médiateur qu'il lui plaira, avec la mission de réunir les parties en vue de parvenir à une solution amiable, mutuellement satisfaisante, et de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à régler une amende dont le montant sera laissé à la sagacité de la Cour en cas de refus de médier ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour souhaiterait régler le litige au fond, de constater que le retard de diagnostic de plus de cinq mois, depuis la radiographie pulmonaire du 21 février 2011 qui a mis en évidence une opacité lombaire décrite par l'équipe médicale de l'hôpital Bichat mais non explorée, a favorisé l'évolution d'une forme localisée de tumeur neuroendocrine à une forme diffuse métastasique et se trouve à l'origine d'une perte de chance majeure pour M. A... E... d'échapper à une issue fatale ; la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris étant engagée sur le fondement d'un retard de diagnostic à l'origine d'une prise en charge inadaptée, elle doit être condamnée à indemniser les préjudices subis par M. E... et ses ayants droit à hauteur de 25 % correspondant au taux de perte de chance retenu par l'expert médical, soit 20 000 euros au titre des souffrances endurées par M. E... et 7 227,75 au titre du déficit fonctionnel temporaire subi par M. E..., correspondant à une indemnité de 6 806,94 euros après application du taux de perte de chance de 25 %, et 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme E..., 8 000 euros au titre du préjudice d'affection subi par Mme E... et 13 202,20 euros au titre du remboursement des frais divers exposés, cette somme totale de 31 202,20 euros ne devant pas être affectée du taux de perte de chance de 25 %, les préjudices étant exclusivement liés aux manquements commis, et ces sommes devant porter intérêts au taux légal à la date à laquelle la demande préalable d'indemnisation a été adressée à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, et ces intérêts devant être capitalisés à chaque date anniversaire ;
5°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les parties ont conclu un accord que la Cour est en droit d'homologuer ; en effet, bien qu'aucun procès-verbal transactionnel n'ait été signé par les deux parties, la transaction ne relève d'aucun formalisme particulier mais doit marquer l'accord des parties, et le règlement amiable des litiges doit être privilégié en toute circonstance ; par analogie avec l'article 2044 du code civil, cette transaction a constitué un contrat par lequel les parties ont terminé une contestation née ou prévenu une contestation à naître, et par analogie avec l'article 2052 du code civil, cette transaction a acquis l'autorité de la chose jugée entre les parties ;
- il convient de mettre en oeuvre une médiation, bien que celle-ci ait été refusée en première instance par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ;
- la responsabilité de l'hôpital Bichat, relevant de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, doit être retenue du fait d'un retard fautif de diagnostic du cancer dont souffrait M. A... E....
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2019, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 1 500 euros soit mis à la charge de Mme E... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions tendant à ce qu'une médiation soit mise en place et que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que M. A... E..., né le 18 décembre 1949 à Paris, qui souffrait de troubles psychiatriques et d'une broncho-pneumopathie chronique obstructive post-tabagique, a été adressé par SOS Médecins, le 15 février 2011, au centre chirurgical de la clinique Ambroise Paré pour une dyspnée de décubitus et des douleurs des membres inférieurs. Des examens ont alors été réalisés, qui n'ont rien révélé d'anormal. M. E... est sorti de cette clinique le 16 février 2011. Le 21 février 2011, à la suite d'une nouvelle consultation auprès de SOS Médecins, M. E... a été adressé au service des urgences de l'hôpital Bichat - Claude Bernard pour une asthénie, une dyspnée et une douleur au niveau de l'omoplate. Des examens médicaux ont été réalisés, dont une radiographie pulmonaire, et M. E... a été autorisé à regagner son domicile le lendemain. Par la suite, M. E... a été pris en charge au sein du service des urgences de l'hôpital Saint-Joseph, à la clinique Villa Montsouris et à l'hôpital américain de Neuilly où a été diagnostiqué, le 19 juillet 2011, un cancer bronchique à petites cellules compliqué de métastases. M. E... a alors été hospitalisé pendant plusieurs mois à l'hôpital américain de Neuilly et a également reçu des soins à la clinique Hartmann. Il est toutefois décédé des suites de ce cancer bronchique, le 11 janvier 2013. Estimant qu'un manquement avait été commis lors de la prise en charge de M. E... par le service des urgences de l'hôpital Bichat - Claude Bernard, occasionnant un retard de diagnostic, Mme C... E..., soeur et ayant droit de M. E..., a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'expertise. Par une ordonnance du 5 décembre 2014, le juge des référés a fait droit à sa demande. L'expert désigné a remis son rapport le 21 décembre 2015. Par un courrier du 6 novembre 2017, Mme E... a saisi l'Assistance publique - hôpitaux de Paris d'une demande indemnitaire préalable. Par le jugement du 14 mai 2019 dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins de médiation :
2. Aux termes de l'article L. 213-7 du code de justice administrative : " Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel est saisi d'un litige, le président de la formation de jugement peut, après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci. ".
3. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Paris, en cours d'instance, d'ordonner, sur le fondement des dispositions précitées, la mise en oeuvre d'une médiation avec l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ; celle-ci s'est toutefois opposée, par un courrier du 28 février 2019, à ce qu'une procédure de médiation soit engagée, et a réitéré son refus en cause d'appel dans son mémoire d'intimée enregistré le 1er octobre 2019 au greffe de la Cour. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins de médiation présentées par la requérante.
Sur les conclusions tendant à ce que la Cour constate qu'un accord est intervenu entre Mme E... et l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et condamne celle-ci à verser à Mme E... la somme de 23 401,89 euros, montant de l'indemnité qui avait fait l'objet de l'offre de transaction proposée par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :
4. Il appartient au juge administratif, qui se prononce en tant que juge de l'homologation, de vérifier que les parties consentent effectivement à la transaction, que l'objet de celle-ci est licite, qu'elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique une libéralité, qu'elle ne porte pas atteinte à des droits dont les parties n'ont pas la libre disposition et ne méconnaît pas d'autres règles d'ordre public.
5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la demande indemnitaire préalable présentée par Mme E... par un courrier du 6 novembre 2017, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a proposé à la requérante, par un courrier du 5 avril 2018, une offre transactionnelle d'un montant total de 23 401,89 euros, en lui demandant de répondre à cette offre et, dans l'hypothèse où elle l'accepterait, de lui communiquer l'acte de dévolution successorale de M. A... E.... Par un courrier du 7 juin 2018, le conseil de Mme E... a répondu à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris que sa cliente avait donné son accord sur les termes de l'offre à hauteur de 23 401,89 euros, mais qu'elle souhaiterait qu'une indemnité forfaitaire de 1 000 euros lui soit accordée au titre des frais d'avocat, et sollicitait ainsi la majoration de l'offre de 1 000 euros, ce qui l'aurait portée à la somme de 24 401,89 euros. Ultérieurement, le conseil de Mme E... a fait parvenir l'acte de notoriété relatif à la succession de M. E... à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris puis, devant le silence de celle-ci, lui a adressé des courriers de relance.
6. L'Assistance publique - hôpitaux de Paris n'ayant pas répondu à la nouvelle demande indemnitaire présentée par le conseil de Mme E..., celle-ci doit être regardée comme ayant été implicitement rejetée. Mme E... n'est fondée à soutenir ni qu'il y aurait eu un accord des parties sur " les contours de la responsabilité encourue par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et sur le montant des sommes compensatrices du préjudice subi, à savoir 23 401,89 euros " et que " seule l'opportunité du versement d'une indemnité au titre des frais d'avocat (1000 euros réclamés par Madame E...) n'a pas donné lieu à un échange d'accord entre les parties ", dès lors que l'accord des parties ne peut porter que sur une offre transactionnelle globale et non sur chacun des chefs de préjudice, ni que l'offre de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ne comportait qu'une condition suspensive, l'envoi de l'acte concernant la dévolution successorale de M. E..., qui a été effectué le 9 juillet 2018, la conclusion de l'offre transactionnelle étant subordonnée à l'accord des deux parties sur son montant global, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les deux parties ne pouvaient être regardées comme ayant consenti effectivement à la transaction et que les conclusions aux fins d'homologation de la transaction indemnitaire ne pouvaient être que rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires dirigées contre l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :
7. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
8. Il résulte de l'instruction que cinq radiographies des poumons de M. E... ont été réalisées entre février et juillet 2011 : le 15 février 2011 au sein de la clinique Ambroise Paré, le 21 février 2011 au sein du service des urgences de l'hôpital Bichat - Claude Bernard, le 23 mars 2011 au sein du service des urgences de l'hôpital Saint-Joseph, le 23 juin 2011 dans le cadre de son hospitalisation psychiatrique à la clinique Villa Montsouris et le 19 juillet 2011 au sein de l'hôpital américain de Neuilly où a également été réalisée, le 26 juillet 2011, une biopsie d'une métastase qui a permis de poser le diagnostic de cancer bronchique à petites cellules compliqué de métastases secondaire au tabagisme.
9. D'une part, le compte-rendu de la radiographie pulmonaire réalisée le 21 février 2011 établi par un médecin de l'hôpital Bichat - Claude Bernard fait état d'une " micro opacité apicale gauche se projetant en regard de l'espace intercostal C3-C4 ", la présence d'un petit nodule pulmonaire ayant ainsi été repérée malgré la qualité insatisfaisante du cliché, ce qui n'a pas été le cas pour les autres radiographies pulmonaires réalisées au centre chirurgical Ambroise Paré, à l'hôpital Saint-Joseph et à la clinique Montsouris, comme le souligne le docteur Bouillet, qui a procédé le 7 mars 2017 à une évaluation oncologique de M. E..., effectuée sur pièces à la demande de Mme E.... Le compte-rendu de cette radiographie pulmonaire réalisée le 21 février 2011 précise également : " On demande au patient de consulter son médecin traitant pour la poursuite des explorations ", conformément aux dispositions de l'article R. 6123-22 du code de la santé publique, qui disposent qu'" A la sortie du patient de la structure des urgences, l'établissement propose qu'une prise en charge sanitaire et sociale adaptée soit organisée immédiatement, ou de manière différée si le patient le souhaite ou si son état le nécessite. ", la finalité des services hospitaliers des urgences étant de traiter les pathologies urgentes, et non d'assurer le suivi ultérieur des patients.
10. D'autre part, si, en l'espèce, l'anomalie radiologique ainsi repérée aurait justifié que soit effectuée une radiographie de meilleure qualité, éventuellement complétée, dans l'hypothèse où cette anomalie aurait été confirmée, par une tomodensitométrie pulmonaire, le retard de diagnostic ne peut être imputé à une faute du service public hospitalier dès lors que, comme il a été dit, il a expressément été demandé au patient, le 21 ou le 22 février 2011, de consulter son médecin traitant pour la poursuite des explorations, mais que M. E..., qui n'avait pas de médecin traitant, s'est borné à avoir un échange téléphonique avec son psychiatre traitant le 14 mars 2011, sans que la pathologie psychiatrique dont il souffrait, qui n'altérait pas ses fonctions cognitives, puisse expliquer qu'il n'ait pas suivi les recommandations médicales qui lui avaient été faites.
11. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'aucune faute médicale ne pouvait être reprochée l'hôpital Bichat - Claude Bernard dans le diagnostic du cancer dont souffrait M. E... et ont rejeté les conclusions indemnitaires présentées par Mme E....
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
13. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par Mme E... doivent être rejetées.
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
I. B...Le président,
J. LAPOUZADELe greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
N° 19PA01967