Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 avril 2017, Mme B..., représentée par la SELAFA Cabinet Cassel, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1510734/6-2 du 28 février 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle l'AP-HP a refusé la reprise de la délivrance de ce traitement dans les conditions antérieures ainsi que la décision révélée de suspendre la délivrance de ce traitement ;
3°) d'enjoindre à l'AP-HP de lui délivrer son traitement afin qu'elle puisse en bénéficier à domicile dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B...soutient que :
- la décision initiale lui refusant la délivrance de son traitement et les décisions implicites refusant de retirer cette décision sont entachées d'insuffisance de motivation, en méconnaissance des exigences de la loi du 11 juillet 1979 ; les décisions en litige constituent des décisions individuelles refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir dès lors qu'elle bénéficiait de son traitement depuis deux ans, qu'elle disposait d'une couverture santé et que la pathologie dont elle est atteinte constitue une affection de longue durée ouvrant droit à exonération de frais, conformément aux articles L. 322-3 et D. 322-1 du code de la sécurité sociale ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'erreur de fait dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que l'AP-HP s'est fondée sur les difficultés de paiement de son traitement pour en refuser la délivrance à l'avenir et non sur la rupture de la convention " tiers payant " avec l'assureur Cigna ;
- les décisions en litige méconnaissent l'article R. 4235-9 du code de la santé publique et le jugement entrepris est en outre entaché d'une contradiction de motifs en tant qu'il juge que les décisions en litige ont été prises au motif des difficultés générales rencontrées par l'AP-HP avec l'assureur Cigna puis juge que ces décisions sont relatives à la seule situation de la patiente pour écarter le moyen tiré de ce qu'elles compromettent le bon fonctionnement de l'organisme en cause ;
- les décisions en litige méconnaissent les articles L. 322-6 et D. 322-1 du code de la sécurité sociale dès lors que la pathologie dont elle souffre est une affection de longue durée dispensant les patients d'avancer les frais de traitement ;
- les décisions en litige méconnaissent l'article D. 4235-61 du code de la santé publique dès lors que le refus de délivrance de son traitement n'est pas fondé sur un motif tiré de l'atteinte portée à sa santé ;
- les décisions en litige portent atteinte aux exigences de solidarité nationale et de protection de la santé édictées par le préambule de la Constitution de 1946.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2018, l'AP-HP représentée par Me Tsouderos, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
l'AP-HP soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté l'absence de décision implicite de rejet d'un recours gracieux dès lors que les courriers des 5 février et 5 mars 2015 ne constituaient pas une demande susceptible de faire naître une décision ;
- c'est à tort que les premiers juges ont en revanche considéré qu'une décision de suspension de la délivrance du traitement de Mme B...était intervenue dès lors qu'il n'est nullement établi que l'ordonnance du 8 octobre 2014 aurait été présentée à la pharmacie de l'hôpital Saint-Louis ; en outre, l'AP-HP a seulement pris la décision de résilier la convention conclue avec la société Cigna en vertu de laquelle Mme B...bénéficiait du système du tiers-payant ;
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté, la décision en litige ne relevant pas des décisions individuelles énumérées à l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;
- le moyen tiré d'une erreur de fait quant aux difficultés de paiement du traitement antérieurement délivré est inopérant dès lors que la décision contestée est exclusivement fondée sur la situation générale des paiements de la société Cigna et la carence de cet organisme à mettre en place le système de prépaiement prévu à l'article R. 6145-4 du code de la santé publique ;
- Mme B...n'étant pas affiliée à un régime de sécurité sociale, elle ne peut utilement invoquer les articles L. 322-3 et D. 322-1 du code de la sécurité sociale ;
- la décision en litige ne compromet pas le bon fonctionnement du régime de sécurité sociale ni ne porte atteinte aux exigences de solidarité nationale et de protection de la santé puisqu'elle a pour seule conséquence d'imposer un prépaiement, soit par les patients, soit par les assureurs.
Par un courrier en date du 10 août 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire au rôle d'une audience qui pourrait avoir lieu au dernier trimestre 2018 et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance de clôture ou un avis d'audience sans qu'elles en soient préalablement informées à compter du 17 septembre 2018.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 27 septembre 2018.
La requête a été communiquée à la société Cigna, qui n'a pas présenté de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-la Constitution,
- le code de la santé publique,
- le code de la sécurité sociale,
- la loi du 11 juillet 1979,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guilloteau,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant Me Tsouderos, avocat de l'AP-HP.
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., qui est atteinte d'une neuropathie multifocale à bloc de conduction, s'est vu prescrire l'administration d'une solution injectable d'immunoglobulines, dispensée uniquement par les pharmacies à usage intérieur d'établissements de santé. A compter de décembre 2013, elle a fait appel à la société Bastide, se fournissant auprès de la pharmacie à usage intérieur de l'hôpital Saint-Louis et lui administrant ce traitement à domicile. La patiente a alors bénéficié du mécanisme du tiers payant en vertu d'une convention conclue entre l'AP-HP et la société Vanbreda International, qui gérait alors le régime de sécurité sociale de l'Unesco auquel Mme B... est affiliée. A compter de la fin de l'année 2014, ce traitement ne lui a plus été fourni dans les mêmes conditions. Mme B...a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle l'AP-HP a suspendu la délivrance de son traitement médical dans les conditions antérieures ainsi que de la décision implicite par laquelle l'AP-HP aurait rejeté son recours administratif formé contre cette décision. Par jugement du 28 février 2017, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, considéré que l'AP-HP n'avait pas été saisie d'un recours administratif susceptible de faire naître une décision implicite de rejet, a, d'autre part, rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de délivrance du traitement dans les conditions antérieures et a rejeté, par voie de conséquent, les conclusions en injonction. Par la présente requête, Mme B... demande l'annulation de ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, applicable à la date des décisions attaquées : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; -infligent une sanction ; -subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; -retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; -opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; -refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; -refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public ; -rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article 5 de la même loi dispose en outre que : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
3. Les décisions attaquées, consistant en un refus de continuer à délivrer un traitement en l'absence de paiement préalable, ne sont pas au nombre de celles énumérées par les dispositions précitées. En particulier, elles ne peuvent être regardées comme refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, MmeB..., qui n'est pas affiliée à un régime de sécurité sociale relevant du code de la sécurité sociale, ne pouvant se prévaloir des dispositions alors en vigueur des articles L. 322-3 et D. 322-1 du code de la sécurité sociale, fixant la liste des affections susceptibles d'ouvrir droit à la suppression de la participation des assurés sociaux aux tarifs. Au surplus, il est constant que Mme B...n'a pas demandé communication des motifs des décisions implicite ou révélée qu'elle entend contester.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment d'un message électronique du 7 août 2014, que l'AP-HP a décidé à compter de cette date de refuser les prises en charge par la société Vanbreda, qui gérait alors le régime de sécurité sociale des personnels de l'Unesco auquel Mme B... est affiliée, en raison d'impayés et d'exiger désormais le versement préalable d'un acompte ou le règlement immédiat pour les soins et produits délivrés à des patients affiliés à cet organisme, mettant fin à la convention de tiers payant dont ils bénéficiaient auparavant. Cette décision a été portée à la connaissance de la société Bastide par la pharmacie de l'hôpital Saint-Louis dans un message électronique du 10 septembre 2014, se rapportant explicitement à la situation de MmeB.... Ainsi, si la requérante soutient que l'AP-HP aurait commis une erreur de fait en estimant que les factures correspondant à la délivrance antérieure de son traitement n'auraient pas été réglées, les décisions contestées ne sont pas fondées sur ce motif, de sorte que cette circonstance est sans incidence sur leur légalité.
5. En troisième lieu, l'article R. 4235-61 du code de la santé publique dispose que : " Lorsque l'intérêt de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l'ordonnance. ". L'article R.4235-9 du même code dispose que : " Dans l'intérêt du public, le pharmacien doit veiller à ne pas compromettre le bon fonctionnement des institutions et régimes de protection sociale. Il se conforme, dans l'exercice de son activité professionnelle, aux règles qui régissent ces institutions et régimes. ".
6. Ainsi qu'il vient d'être dit, le refus de délivrer pour Mme B...la solution injectable d'immunoglobulines qui lui a été prescrite en l'absence de paiement préalable ou immédiat ne repose pas sur un motif tiré par le pharmacien de l'intérêt de la santé de la patiente mais sur la décision générale de l'AP-HP de mettre fin au système du tiers payant dont bénéficiaient auparavant les personnes adhérentes du régime de sécurité sociale de l'Unesco géré par la société Vanbreda. Il suit de là que la requérante ne peut utilement invoquer à l'encontre de cette décision la règle déontologique s'imposant à l'exercice de la profession de pharmacien fixée par l'article R. 4235-61 du code de la santé publique. Pour les mêmes motifs, la requérante ne peut utilement invoquer à l'encontre de la décision de l'établissement public de santé la règle déontologique s'imposant à l'exercice de la profession fixée par l'article R. 4235-9 du même code. Au surplus, il ne ressort nullement des pièces du dossier que cette décision serait de nature à compromettre le bon fonctionnement d'une institution ou d'un régime de protection sociale.
7. En quatrième lieu, l'article L. 322-3 du code de la sécurité sociale alors en vigueur dispose que : " La participation de l'assuré mentionnée au premier alinéa de l'article L. 322-2 peut être limitée ou supprimée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) dans les cas suivants : (...) 3° Lorsque le bénéficiaire a été reconnu atteint d'une des affections, comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, inscrites sur une liste établie par décret après avis de la Haute Autorité mentionnée à l'article L. 161-37 (...) ". L'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, fixe la liste de ces affections, au nombre desquelles figurent " les formes graves des affectations neurologiques et musculaires (dont myopathie) ".
8. Si Mme B...fait valoir que l'ordonnance lui prescrivant son traitement indique que la pathologie dont elle souffre est une affection de longue durée ouvrant droit à exonération d'avance de frais en vertu des dispositions précitées du code de la sécurité sociale, la requérante n'était, ainsi qu'il a été dit, pas affiliée à un régime de sécurité sociale relevant du code de la sécurité sociale. Elle ne peut par suite être regardée comme assurée au sens des articles L. 322-3 et D. 322-1 du code de la sécurité sociale, de sorte qu'elle ne peut utilement se prévaloir de leurs dispositions à l'encontre des décisions contestées.
9. Enfin, les décisions en litige, qui se bornent à refuser la délivrance d'un traitement médicamenteux, ne relevant pas d'une situation d'urgence médicale, sans paiement préalable ou immédiat par la patiente, son assureur ou le prestataire de service, ne portent par elles-mêmes pas d'atteinte aux dispositions du onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, selon lesquelles la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme B...doit être rejetée, y compris les conclusions aux fins d'injonction et les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet d'un recours gracieux. Dans les circonstances de l'espèce, il y a par ailleurs lieu de mettre à la charge de Mme B...la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour le litige par l'AP-HP.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Mme B...versera à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et à la Société Cigna International Health.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 novembre 2018.
Le rapporteur,
L. GUILLOTEAULe président,
I. LUBEN
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01404