Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, enregistrée le 21 mars 2019, et des mémoires, enregistrés les
29 avril, 27 août et 15 novembre 2019, la société Traditab, représentée par la
SCP Coutard et C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n°1713015/2-2 du 21 janvier 2019 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 559 395 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 5 avril 2017, date de rejet de sa demande indemnitaire préalable, et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices que lui ont causés les fautes commises par l'Etat dans la procédure d'homologation des prix de ses produits et la rupture d'égalité devant les charges publiques à laquelle elle a été exposée dans le cadre de cette procédure d'homologation ;
3°) d'enjoindre au ministre chargé du budget de lui verser cette somme dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'a pas répondu de façon motivée au moyen tiré de ce que l'Etat a méconnu les principes de confiance légitime, de sécurité juridique et de la liberté d'entreprendre, et au moyen tiré de ce que la législation française - c'est à dire les dispositions législatives et réglementaires du code général des impôts - est contraire à ces principes, ainsi qu'à l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, à l'article 15 de la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011 ;
- l'administration a commis une faute en lançant la campagne d'homologation des prix au-delà du délai raisonnable de deux mois au regard de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, des mesures prévues par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale, et en ne rendant pas applicable la nouvelle nomenclature des prix concomitamment à cette entrée en vigueur ;
- le délai d'homologation de 71 jours, supérieur à la plupart des délais constatés entre l'entrée en vigueur de nouvelles charges et celle des changements de prix, est déraisonnable ;
- de plus, le point de départ du délai d'homologation qui doit être pris en compte est le mardi 22 novembre 2016 selon la procédure imposée illégalement par l'Etat conduisant à transmettre les données par l'intermédiaire obligatoire d'un fournisseur agréé, elle aussi constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'administration était tenue, afin d'assurer le respect du principe de liberté d'entreprise consacré par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe de libre détermination des prix consacré par l'article 15 de la directive 2011/64/UE du Conseil du
21 juin 2011 et du principe de confiance légitime qui découle du principe de sécurité juridique, de faire coïncider la campagne d'homologation avec le calendrier des mesures fiscales prévues par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 ;
- le pouvoir réglementaire était tenu de prévoir dans le décret d'application de l'article 572 du code général des impôts que les campagnes d'homologation des prix du tabac doivent coïncider avec le calendrier des mesures fiscales ou réglementaires susceptibles d'affecter le chiffre d'affaire ;
- le décret n°2016-757 du 7 juin 2016, en s'abstenant de définir un calendrier et un délai maximal dans lequel l'administration doit homologuer les prix, et par voie de conséquence l'article 284 de l'annexe 2 du code général des impôts, méconnaissent le principe de libre détermination des prix garanti par les articles 572 du code général des impôts et 15 de la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011 et l'interdiction d'homologuer un prix inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes prévu par les articles 572 du code général des impôts, la liberté d'entreprendre garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe de confiance légitime et de sécurité juridique ; cela constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- en s'abstenant de reporter l'entrée en vigueur des mesures fiscales prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, le pouvoir réglementaire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; l'Etat, qui a soumis la requérante à une procédure d'homologation imposant la transmission de sa demande via un fournisseur agréé, est responsable du délai de traitement d'homologation ayant couru de l'ouverture de la campagne d'homologation des prix, soit le 22 novembre 2016, jusqu'à l'entrée en vigueur des prix, soit le 20 février 2017 ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a subi un préjudice économique direct et certain ;
- l'entrée en vigueur au 1er janvier 2017 de trois mesures nouvelles, alors que ses prix n'ont été homologués que le 20 février 2017, lui a causé un préjudice grave et spécial, dès lors que les augmentations du minimum de perception et du taux proportionnel du 1er janvier 2017 ne concernaient que le tabac à rouler qui représente plus de 90 % de son activité en volume et en valeur ; ce préjudice doit être indemnisé sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- l'argument selon lequel elle n'est pas assujettie à la taxe " fabricant/fournisseur " dès lors qu'elle ne dispose " ni du statut de fabricant, ni du statut de fournisseur " est inexact, elle est bien un fabricant au regard de la réglementation européenne ;
- elle s'en rapporte à ses écritures devant le tribunal administratif dont elle entend reprendre l'ensemble des moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics, représenté par Me B..., conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident à la réformation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute engageant la responsabilité de l'Etat et à ce que soit mis à la charge de la société Traditab une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
2°) à titre subsidiaire, à ce que la Cour confirme le jugement en ce qu'il a constaté l'absence de préjudice économique de la société Traditab, de réformer le jugement en ce qu'il a condamné l'Etat à verser à la société Traditab la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par lettre en date du 24 février 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par la société requérante, dès lors que les dispositions de l'article L. 911-9 du code de justice administrative permettent à la partie gagnante d'obtenir le mandatement d'office de la somme que la partie perdante est condamnée à lui verser.
Par lettre en date du 24 février 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité du fait générateur de la responsabilité pour faute soulevé pour la première fois en appel lié à l'exception d'illégalité du décret n°2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés et de l'article 284 de l'annexe 2 du code général des impôts dès lors que la faute dont se prévaut ainsi la société requérante constitue un fait générateur différent de celui invoqué au soutien de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal et dans sa réclamation préalable.
Par lettre en date du 24 février 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité du fait générateur de la responsabilité pour faute soulevé pour la première fois en appel lié à l'absence de dépôt d'un amendement visant à reporter l'entrée en vigueur des mesures fiscales prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 dès lors que la faute dont se prévaut ainsi la société requérante constitue un fait générateur différent de celui invoqué au soutien de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal et dans sa réclamation préalable.
Par un mémoire enregistré le 28 février 2020, la société Traditab, représentée par la
SCP Coutard et C..., a fait valoir ses observations sur les moyens d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 ;
- la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 ;
- le code général des impôts ;
- le décret n°2016-757 du 7 juin 2016 ;
- le décret n° 2018-292 du 20 avril 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société Traditab.
La société Traditab, représentée par la SCP Coutard et C... a produit le
16 octobre 2020 une note en délibéré
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Traditab, qui exerce l'activité de conception, de fabrication à façon et de commercialisation de produits finis du tabac, a, le 29 novembre 2016, transmis les prix de détail de ses produits à la société Logista, fournisseur agréé de tabac qui commercialise les tabacs manufacturés de la requérante, qui les a communiqués à la direction générale des douanes et des droits indirects le 9 décembre 2016 en vue de leur homologation telle que prévue par l'article 572 du code général des impôts. Par arrêté du 1er février 2017 entré en vigueur le 20 février 2017, les ministres chargés de la santé et du budget ont homologué les nouveaux prix du tabac. Parallèlement, d'une part, par arrêté du 19 décembre 2016, le taux de la remise devant être accordée aux débitants de tabac par application du 3° du I de l'article 570 du code général des impôts a fait l'objet d'une augmentation au 1er janvier 2017 et, d'autre part, la loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a prévu, à compter du 1er janvier 2017, la création d'une contribution sociale à la charge des fournisseurs agréés de tabac de 5,6 % du chiffre d'affaires hors taxe sur la valeur ajoutée et déduction faite de la remise aux débitants de tabac ainsi que l'augmentation du droit de consommation sur les tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes, passant de 32 % à 37,7 % du prix de vente au public, ainsi que du minimum de perception de ce droit de consommation.
2. Par courrier du 3 avril 2017 reçu le 5 avril suivant, la société Traditab a saisi l'Etat d'une demande d'indemnisation de son préjudice ayant résulté, selon cette demande, de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de répercuter la charge financière sur les consommateurs de la hausse de prélèvements obligatoires précités au 1er janvier 2017, du fait des fautes commises selon elle par l'Etat du fait du délai d'homologation excessif des prix des produits du tabac et de l'absence de concordance de l'entrée en vigueur des augmentations de taxes et de l'homologation des nouveaux prix. Sa demande a été implicitement rejetée. La société requérante a demandé au tribunal administratif de Paris la condamnation de l'Etat, sur les fondements respectifs de la responsabilité pour faute et sans faute, à lui réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis à hauteur de la somme de 559 395 euros en raison de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, pour la période du
1er janvier au 20 février 2017, de répercuter les trois mesures ci-dessus mentionnées applicables dès le 1er janvier 2017, sur ses nouveaux prix de vente au public entrés en vigueur uniquement le 20 février 2017. Par jugement n°1713015/2-2 du 21 janvier 2019, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ayant résulté du retard pris par l'administration dans l'homologation de ses prix et à l'absence d'information sur le délai prévisible d'homologation, constitutifs selon le tribunal de fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat. La société Traditab relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'action et des comptes publics demande, à titre principal, la réformation du jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute engageant de la responsabilité de l'Etat et a condamné ce dernier à ce titre.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. La société Traditab soutient, d'une part, que le jugement attaqué n'a pas répondu de façon suffisamment motivée aux moyens tirés de ce que les dispositions législatives et réglementaires du code général des impôts applicables en l'espèce seraient contraire à la liberté d'entreprise consacré à l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, et au principe de libre détermination des prix garanti par l'article 15 de la directive 2011/64/UE du
21 juin 2011. Il ressort, toutefois, des termes du point 3 du jugement attaqué que le tribunal a suffisamment motivé son jugement en écartant ces moyens, au motif que les limitations à ces principes apportées par le principe de l'homologation des prix du tabac paraissent limitées et non disproportionnées au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi.
5. La société Traditab soutient, d'autre part, que le jugement attaqué n'a pas répondu de façon motivée aux moyens tirés de la méconnaissance, par l'Etat, du principe de confiance légitime et du principe de sécurité juridique. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'en première instance, en particulier dans son mémoire enregistré le 7 novembre 2017 p. 11, la requérante a développé l'argumentation selon laquelle ces deux principes imposent au pouvoir réglementaire d'agir dans un délai raisonnable lorsque son intervention est requise. Ainsi, le tribunal a suffisamment motivé son jugement en accueillant implicitement mais nécessairement ces moyens, au point 4 du jugement attaqué, aux motifs que l'entrée en vigueur des prix homologués après l'expiration d'un délai déraisonnable fixé à deux mois par le tribunal, et l'absence d'information sur le délai prévisible d'homologation, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
6. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.
Sur le bien-fondé des conclusions indemnitaires :
- S'agissant de la responsabilité pour faute de l'Etat :
Sur les fautes :
7. Aux termes de l'article 568 du code général des impôts : " Le monopole de vente au détail est confié à l'administration qui l'exerce (...) par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés (...) ". Selon l'article 570 du même code : " (...) tout fournisseur est soumis aux obligations suivantes : / 1° Livrer des tabacs aux seuls débitants désignés à l'article 568 (...) / 5° Livrer les tabacs commandés par tout débitant quelle que soit la localisation géographique du débit (...) ". Aux termes de l'article 572 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés applicable au litige : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes. / En cas de changement de prix de vente, et sur instruction expresse de l'administration, les débitants de tabac sont tenus de déclarer, dans les cinq jours qui suivent la date d'entrée en vigueur des nouveaux prix, les quantités en leur possession à cette date ".
8. En premier lieu, la société Traditab se prévaut de la faute commise par l'administration résultant de ce que le décret n°2016-757 du 7 juin 2016 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés en s'abstenant de définir un calendrier et un délai maximal dans lequel l'administration doit homologuer les prix et également, par voie de conséquence, l'article 284 de l'annexe 2 du code général des impôts, méconnaissent le principe de libre détermination des prix garanti par les articles 572 du code général des impôts et 15 de la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011.
9. Dès lors que l'article 572 du code général des impôts renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions dans lesquelles il est procédé à l'homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés, il incombait nécessairement au pouvoir réglementaire, aux fins d'assurer le respect du principe de libre détermination des prix, de préciser dans ce décret en Conseil d'Etat la fréquence à laquelle, au cours de l'année civile, l'administration sollicite, aux fins d'homologation, la communication des prix des produits du tabac et le délai maximal dans lequel elle homologue les prix ainsi communiqués, lequel doit être raisonnable au regard des impératifs économiques qui s'imposent aux fabricants et distributeurs. En ne fixant ni cette fréquence ni ce délai, le pouvoir réglementaire a ainsi, comme le soutient la société Traditab, méconnu les dispositions de l'article 572 du code général des impôts. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que l'absence d'information sur le délai prévisible d'homologation et donc de définition d'un calendrier et d'un délai maximal dans lequel l'administration doit homologuer les prix de vente au détail des tabacs manufacturés est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.
10. En deuxième lieu, le ministre de l'action et des comptes public, par la voie de l'appel incident, soutient qu'aucune faute n'a été commise par l'administration à raison de la durée effective du délai d'homologation des prix du tabac de la société Logista.
11. D'une part, il résulte de l'instruction que si la société requérante a transmis le
29 novembre 2016 les prix de détail de ses produits à la société Logista, fournisseur agréé de tabac qui commercialise les tabacs manufacturés de la requérante, cette dernière ne les a communiqués à la direction générale des douanes et des droits indirects en vue de leur homologation que le 9 décembre 2016. Dans ces conditions, et en l'absence de toute argumentation étayée de la requérante qui tendrait à démontrer l'illégalité qu'elle allègue de la procédure en vertu de laquelle les demandes d'homologation de prix doivent être transmises par les fournisseurs agréés de tabac, il y a lieu de retenir le 9 décembre 2016 comme point de départ du délai d'homologation devant être pris en compte pour apprécier le caractère raisonnable du délai d'homologation de ses prix qui a été imposé à la requérante.
12. D'autre part, l'arrêté du 1er février 2017 par lequel les ministres chargés de la santé et du budget ont homologué les nouveaux prix du tabac est, il est vrai, entré en vigueur seulement le
20 février 2017. Ainsi, il s'est écoulé un délai de 73 jours entre la date de réception des prix en question par la direction générale des douanes et droits indirects, soit le 9 décembre 2016, et la date à laquelle l'arrêté d'homologation de ces prix est entré en vigueur, soit le 20 février 2017. Cependant, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, la requérante ne démontre pas que ce délai de 73 jours devrait être regardé comme non raisonnable et à ce titre constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard en se prévalant des termes de son propre courrier adressé le 6 janvier 2017 au secrétaire d'Etat du budget et des comptes publics après la réception d'un courrier du ministère des affaires sociales et de la santé, daté du 20 décembre 2016, mentionnant le risque d'une prolongation de la période d'homologation des prix du tabac en conséquence des nécessités liées à la transposition de l'article 13 de la directive 2014/40/UE relatif à l'interdiction des éléments et dispositifs, dont les marques et dénominations commerciales, contribuant à la promotion des produits du tabac ou incitant à leur consommation en donnant une impression erronée quant à leurs effets sur la santé, ou du courrier en date du 10 janvier 2017 par lequel cinq parlementaires ont demandé que les nouveaux prix du tabac soient applicables au
16 janvier 2017. Au demeurant, la société Traditab ne formule aucune critique à l'encontre du délai de trois mois mentionné par le décret n° 2018-292 du 20 avril 2018 relatif à la procédure d'homologation du prix de vente au détail des tabacs manufacturés, adopté après la décision du Conseil d'Etat du 7 février 2018 Société British American Tobacco France Fédération des fabricants de cigares qu'elle invoque à l'appui de ses conclusions indemnitaires, qui fixe un calendrier annuel comportant six campagnes d'homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés, selon des intervalles qui ne peuvent dépasser trois mois.
13. Enfin, le délai de moins de deux mois écoulé entre la date de l'entrée en vigueur, le
1er janvier 2017, des mesures prévues par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, et celle du 20 février 2017 de l'entrée en vigueur des nouveaux prix homologués, ne peut être regardé comme déraisonnable.
14. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la société Traditab, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire, ni des principes de liberté d'entreprise consacré par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de libre détermination des prix consacré par l'article 15 de la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011, de confiance légitime et de sécurité juridique, que l'administration aurait été tenue de faire coïncider la campagne d'homologation litigieuse avec le calendrier des mesures fiscales prévues par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 ou que le pouvoir réglementaire était tenu de prévoir dans le décret d'application de l'article 572 du code général des impôts que les campagnes d'homologation des prix du tabac doivent coïncider avec le calendrier des mesures fiscales ou réglementaires susceptibles d'affecter le chiffre d'affaire. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'aucune faute ne pouvait être retenue à ce titre.
15. Il suit de là que seule l'absence d'information sur le délai prévisible d'homologation et donc de définition d'un calendrier et d'un délai maximal dans lequel l'administration doit homologuer les prix de vente au détail des tabacs manufacturés est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.
Sur les préjudices subis par la société Traditab en raison de la faute commise :
16. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'action et des comptes publics, les incertitudes liées à la procédure d'homologation sont bien à l'origine, dans les circonstances de l'espèce, d'un préjudice moral dont les premiers juges ont fait une juste évaluation en allouant à la société requérante la somme de 5 000 euros tous intérêts confondus.
- S'agissant de la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques :
17. La société Traditab soutient que l'entrée en vigueur au 1er janvier 2017 de trois mesures nouvelles énoncées au point 1 du présent arrêt, alors que ses prix homologués ne sont entrés en vigueur que le 20 février 2017, lui a causé un préjudice grave et spécial, dès lors que les augmentations du minimum de perception et du taux proportionnel du 1er janvier 2017 ne concernaient que le tabac à rouler qui représente plus de 90 % de son activité en volume et en valeur, et demande l'indemnisation de ce préjudice sur le fondement de la responsabilité de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques. Toutefois, par ces seules allégations, et par les documents qu'elle produit, la société requérante ne met pas la Cour en mesure de vérifier l'existence et l'ampleur d'une diminution de son résultat brut d'exploitation ou de ses bénéfices, en 2017, qui serait imputable au décalage constaté entre la date de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2017 des mesures mentionnées au point 1 et l'entrée en vigueur au 20 février 2017 des nouveaux prix homologués. Ainsi, elle n'établit pas avoir subi un préjudice anormalement grave et spécial de nature à permettre l'engagement de la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques.
18. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la société Traditab n'est pas fondée à demander la réformation du jugement contesté en tant que le tribunal administratif de Paris a seulement partiellement accueilli sa demande. D'autre part, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas davantage fondé à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la société Traditab de la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral ayant résulté de la faute ayant consisté en l'absence d'information sur le délai prévisible de l'homologation des prix du tabac.
Sur les frais de l'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Traditab le versement à l'Etat d'une somme sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Traditab est rejetée.
Article 2 : L'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) Traditab et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction générale des douanes et des droits indirects.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- Mme A..., premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le rapporteur,
A. A...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01098