Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées le 13 août 2019, les 24 et 27 mars 2020, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1822828/2-1 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 juillet 2018 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera éloignée ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen, sous mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les décisions attaquées de refus de titre de séjour, d'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination méconnaissent les dispositions du 11° de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne pourra bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine et particulièrement en Tchétchénie, compte tenu de la défaillance structurelle de l'offre russe en matière de traitements et de suivis médicaux ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'en l'absence d'un traitement approprié, en l'absence de ressources et de liens personnels et familiaux dans son pays d'origine, elle sera nécessairement exposée à une situation de grande vulnérabilité et à une dégradation rapide et irréversible de son état de santé ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle réside de manière continue en France depuis plus de six ans, qu'elle ne dispose d'aucun lien avec les membres de sa famille résidant en Russie et qu'au demeurant, elle entretient une relation avec un ressortissant russe résidant en France ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle compte tenu de son état de santé, de l'absence de traitement approprié en Russie et de la fixation de ses attaches personnelles en France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une décision du 18 juin 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a admis Mme F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., ressortissante russe, née le 13 juillet 1985, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 juillet 2018, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel elle sera éloignée. Mme F... relève appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ".
3. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à Mme F..., atteinte du virus de l'immunodéficience humaine, le préfet de police s'est notamment fondé sur l'avis du 4 avril 2018 du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui précisait que si son état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressée peut bénéficier effectivement, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Russie, d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Pour contester la disponibilité et l'accessibilité du traitement en Russie, et plus particulièrement en Tchétchénie, Mme F... produit cinq certificats médicaux établis par le docteur Daneluzzi, praticien au service des maladies infectieuses de l'hôpital Max Fourestier de Nanterre, en date du 2 décembre 2015, du 17 mai 2016, du 18 août 2016, du 24 novembre 2016 et du 8 novembre 2018 indiquant, pour les plus récents, que " Mme F... (...) présente une infection par le VIH-1 actuellement traitée par Trudava + Prezista + Norvir (...) ", que " l'état de santé de la patiente nécessite une prise en charge médicale immédiate dont le défaut entrainerait des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le traitement médical et le suivi de la patiente sont prévus à vie dans l'état actuel de nos connaissances et la prise en charge ne serait pas possible de la même façon dans son pays d'origine, où elle ne pourra pas bénéficier du traitement optimal ". Toutefois, ces certificats médicaux sont rédigés en des termes trop peu circonstanciés et ne sauraient ainsi suffire à infirmer le sens de l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration concernant l'accessibilité à un traitement approprié en Russie. En outre, les articles de presse de l'année 2016 dont elle se prévaut, mentionnant une augmentation du nombre des personnes atteintes du virus de l'immunodéficience humaine en Russie, ou la citation d'un rapport établi en 2015 par l'organisation suisse des réfugiés sur le système de santé en Tchétchénie, au demeurant non versé au dossier, qui ferait état d'une pénurie de médicaments antirétroviraux et d'une disponibilité des médecins largement en dessous de la moyenne nationale russe, ne permettent pas d'établir que Mme F... ne pourrait pas personnellement bénéficier des soins médicaux requis par son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, Mme F... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police, en prenant l'arrêté attaqué aurait méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
5. D'une part, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la décision refusant un titre de séjour et obligeant Mme F... à quitter le territoire français, à raison des risques qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine est inopérant, une telle décision n'entraînant pas, par elle-même, renvoi dans le pays d'origine.
6. D'autre part, Mme F... soutient, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination attaquée, qu'elle sera exposée à un état de grande vulnérabilité ainsi qu'à une dégradation rapide et irréversible de son état de santé compte tenu de son absence de ressources, de son absence de liens personnels et familiaux en Russie et donc de l'impossibilité pour elle de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Toutefois, ainsi qu'il a été exposé au point 3 du présent arrêté et alors que Mme F... dispose de liens familiaux en Russie et qu'elle indique elle-même que les patients séropositifs bénéficient en Tchétchénie de la gratuité des médicaments, l'intéressée ne produit aucun élément tendant à établir qu'elle ne pourra bénéficier de manière effective des soins médicaux nécessaires à son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine.
7. Enfin, l'intéressée soutient que sa pathologie étant considérée comme un signe d'immoralité en Tchétchénie, elle fera nécessairement l'objet de stigmatisations en cas de retour dans son pays d'origine. Toutefois, Mme F..., qui n'explique pas dans quelles circonstances elle serait confrontée à une levée non consentie du secret médical, se borne à citer un rapport de février 2015 établi par Asylos, au demeurant non versé au dossier, et à produire une attestation établie le 30 novembre 2018 par le Dr Lapenko, psychologue clinicienne au sein de l'association prenant en charge l'intéressée et dont les termes, rédigés de manière peu circonstanciée, ne permettent pas de considérer que l'intéressée serait exposée à un risque sérieux et réel de persécutions dans son pays d'origine en raison de sa pathologie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la décision fixant le pays de destination sera écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
9. Mme F... soutient qu'elle réside en France depuis septembre 2013, qu'elle entretient une relation avec un homme résidant sur le territoire français et qu'elle n'a aucun contact avec les membres de sa famille résidant en Russie. S'il n'est pas contesté que Mme F... justifie d'une présence sur le territoire français depuis novembre 2013 et que ses parents et sa fratrie résident en Russie, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée, qui déclare entretenir une relation avec M. B..., dénommé M. D... depuis le 3 décembre 2015 et dont la réalité de la relation était attestée par le compte-rendu médical du Dr Rouyer en date du 11 avril 2014, a toutefois indiqué au Dr Daneluzzi à l'occasion d'une consultation médicale en date du 22 septembre 2015 que son mari résidait en Russie et qu'il faisait l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français. De même, si Mme F... justifie aujourd'hui de l'absence de communauté de vie avec M. B... par la circonstance que ceux-ci bénéficient chacun d'un appartement thérapeutique, M. B... étant également atteint de la même pathologie, aucun élément au dossier ne permet d'établir la réalité de cette allégation, ni même qu'elle entretiendrait encore une relation avec ce dernier. Dans ces conditions, Mme F..., qui n'établit pas avoir fixé le centre de ses attaches personnelles en France alors qu'il est constant que ses parents et sa fratrie résident en Russie, n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué du 24 juillet 2018 méconnaît les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En quatrième lieu, et pour les motifs exposés aux points 3, 6, 7 et 9 du présent arrêt, Mme F... n'est pas davantage fondée à soutenir que le préfet de police, en lui refusant la délivrance du titre de séjour sollicité, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle. Par suite, le moyen doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°19PA02705