Par un jugement n° 1115468/6-3 du 16 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser, d'une part, à M. A...I...et Mme E...I..., en leur qualité d'ayants droit de leur fils B...Ehongo Dima-Musso la somme de 6 440 euros, à verser à M. A...I...et à Mme E...I..., en leur nom propre, une somme de 700 euros chacun, à M. A...I...et Mme E... I..., en leur qualité d'ayants droit de M. D...J...et de Mme F...J..., une somme totale de 1 000 euros et a réservé la fixation de l'indemnité définitive due au jeune B...I..., d'autre part, a condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 1 554 euros. La caisse a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 8 août 2014, ainsi que la somme de 1 037 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et à la mutuelle complémentaire de la ville de Paris une somme de 64 euros, et, enfin, a mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 4 956 euros, comprenant l'allocation provisionnelle de 2 500 euros versée par les consortsI....
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 16 juin et 23 septembre 2015 et le 19 février 2016, M. A...I..., Mme E...I..., et M. B...J..., Mme G...J...et M. D...J..., pris en la personne de leurs représentants légaux, M. A...I...et Mme E...I..., représentés par Me Gouget, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1115468/6-3 du 16 avril 2015 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il partiellement rejeté leurs demandes indemnitaires ;
2°) à titre principal, d'ordonner une expertise avec la même mission que devant les premiers juges à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et de mettre les frais d'expertise déjà exposés à la charge de cette dernière ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser, d'une part, à B...Ehongo Dima les sommes de 267 euros au titre de ses dépenses de santé actuelles, 120 600 euros au titre de son préjudice lié aux frais de soutien scolaire, 76 000,87 euros au titre de son préjudice lié aux frais d'aide par une tierce personne temporaire, 32 850 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 175 500 euros au titre de son préjudice lié aux souffrances endurées et de réserver les postes de préjudices patrimoniaux permanents et extrapatrimoniaux permanents jusqu'à la fixation définitive de la date de consolidation, d'autre part, à Mme E... I... la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et d'affection, 30 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence et 20 000 euros au titre de son préjudice professionnel, à M. A... I...la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et d'affection, 30 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence et 30 000 euros au titre de son préjudice professionnel et à Mme F...I...et M. D... I... chacun la somme de 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral et d'affection ;
4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les contradictions, insuffisances et inexactitudes du rapport d'expertise relatives au retard fautif de diagnostic, à l'évolutivité de la surdité deB..., à l'organisation et au fonctionnement du service de maternité et à la fixation du taux de déficit fonctionnel ainsi que la partialité de l'expert, ancien chef de clinique de la maternité de l'hôpital Necker, sont de nature à vicier le jugement attaqué et à justifier une contre-expertise ;
- l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne réalisant aucun test, pourtant obligatoire, de stimuli sonores à la naissance de B...alors qu'il est né prématurément et qu'il présentait des facteurs de risques de surdité congénitale ; le retard fautif à diagnostiquer sa surdité est de 22 mois et non de 8 mois et demi, ainsi que l'a jugé à tort le tribunal administratif, dès lors que la surdité aurait pu être diagnostiquée dès le 22 janvier 2007, date à laquelle a été posé un diagnostic erroné d'otite séreuse, et que les médecins ont persisté, à tort, dans le traitement erroné des symptômes sans jamais prescrire d'examens complémentaires après l'audiogramme réalisé le 25 mai 2007, B...présentant déjà une perte auditive de 40 décibels ;
- ces fautes, qui ont provoqué un retard de diagnostic et de prise en charge de la surdité deB..., ont entraîné une perte de chance, que le tribunal administratif a, à tort, fixé à 10 %, de ne pas subir un retard dans le processus d'apprentissage et de développement psycho-intellectuel ;
- ces fautes sont à l'origine pour B...de préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires fixés à la somme de 405 217,87 euros, les préjudices extra-patrimoniaux permanents étant réservés, soit les sommes de 267 euros au titre des dépenses de santé actuelles, 12 182,05 euros au titre des frais de transport, 120 600 euros au titre des frais de soutien scolaire soit 36 500 euros du mois de septembre 2009 au mois d'août 2014 et 84 100 euros du 2 septembre 2014 au 11 mars 2026, date estimée de la consolidation, 76 000,87 euros au titre des frais de tierce personne soit 13 218,87 euros pour la période 2012-2013 et 62 782 euros pour la période 2014-2022, 32 850 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire soit 12 300 euros du mois de janvier 2007 au mois d'août 2014 et 20 550 euros du mois de septembre 2014 au mois de mars 2026, 175 500 euros au titre des souffrances endurées évaluées à 4/7 ;
- ces fautes sont à l'origine pour les parents de B...d'un préjudice moral et d'affection évalué à la somme de 30 000 euros chacun, de troubles dans les conditions d'existence fixés à la somme de 30 000 euros chacun et de pertes de revenus et incidences professionnelles chiffrées à 20 000 euros pour sa mère et à 30 000 euros pour son père et pour ses frère et soeur d'un préjudice moral fixé à la somme de 15 000 euros chacun.
Par un mémoire, enregistré le 28 décembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, représentée par MeH..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1115468/6-3 du 16 avril 2015 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 1 554 euros ;
2°) de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 15 534, 59 euros assortis des intérêts à taux légal à compter du mémoire notifié le 5 août 2014 et de réserver ses droits quant aux prestations non connues à ce jour et qui sont susceptibles d'être versées ultérieurement ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a versé diverses prestations dans l'intérêt de B...consécutivement à l'accident dont il a été victime à concurrence de la somme de 15 534, 59 euros ;
- ces prestations sont directement imputables aux manquements de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2016, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, représentée par Me Tsouderos, conclut, à titre principal, au rejet de la requête des consortsI..., des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et de la mutuelle complémentaire de la ville de Paris et, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation soit ramenée à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués par les consorts I...ne sont pas fondés ;
- l'indemnisation des préjudices doit être ramenée à de plus justes proportions.
La requête a été communiquée à la Mutuelle complémentaire de la ville de Paris, de l'assistance publique et des administrations annexes qui a produit un mémoire, enregistré le 14 mars 2016.
La requête a été communiquée le 14 octobre 2015 à la Maison départementale des personnes handicapées de Paris et à la Mutuelle nationale des hospitaliers qui n'ont pas produit d'observations.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office.
Un mémoire, présenté par les consorts I...en réponse à cette communication, a été enregistré le 12 mai 2017.
Par un arrêt avant dire droit n° 15PA02379 du 29 mai 2017, la Cour a, d'une part, écarté les moyens tiré de l'irrégularité de l'expertise de première instance et a déclaré irrecevable, faute d'avoir été présenté par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative en méconnaissance des dispositions de l'article R. 811-7 du même code, le mémoire de la Mutuelle complémentaire de la ville de Paris, de l'assistance publique et des administrations annexe enregistré le 14 mars 2016 par lequel elle demandait la condamnation de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 633,96 euros et, d'autre part, a décidé d'ordonner une expertise médicale complémentaire avant de statuer sur la requête présentée par les consortsI....
Le rapport d'expertise du docteurC..., médecin oto-rhino-laryngologiste, a été enregistré au greffe de la Cour le 3 décembre 2018 et a été communiqué aux parties.
Les honoraires de l'expert ont été liquidés et taxés à la somme de 2 000 euros par une ordonnance du vice-président de la cour administrative d'appel de Paris du 11 décembre 2018.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 12 avril 2019, M. A...I..., Mme E...I..., et M. B...J..., Mme G...J...et M. D... J..., pris en la personne de leurs représentants légaux, M. A...I...et Mme E...I..., concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens que précédemment ; ils demandent en outre à la Cour de mettre les frais de la nouvelle expertise à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations présentées par Me Gouget, avocat des consortsI...,
- et les observations présentées par Me Tsouderos, avocat de l'Assistance publique -hôpitaux de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, le 11 mars 2006, B...Ehongo Dima-Musso est né prématurément à 36 semaines et 2 jours d'aménorrhée au centre hospitalier universitaire Necker à Paris. A la fin de l'année 2006, ses parents ont constaté des troubles de l'audition chez leur enfant. Le 22 janvier 2007, lors d'une consultation au service d'oto-rhino-laryngologie de l'hôpital Necker, une otite séro-muqueuse bilatérale a été diagnostiquée, qui était toujours présente lors des consultations des 8 mars, 23 avril et 2 mai 2007. L'audiogramme réalisé le 25 mai 2007 a révélé une perte auditive de 40 décibels. Lors de la consultation du 21 septembre 2007, alors que les oto-émissions acoustique étaient absentes, le médecin a suspecté le diagnostic de surdité profonde. Le 5 octobre 2007, l'étude des potentiels auditifs du tronc cérébral n'enregistrant aucune onde à 100 décibels pour les deux oreilles, le diagnostic d'une surdité de perception profonde bilatérale a été posé. Le 10 octobre 2007, un appareillage auditif bilatéral a été prescrit avant une éventuelle indication d'implantation cochléaire, laquelle aura lieu, à gauche, le 21 mars 2008. La prise en charge de B...Ehongo Dima-Musso a, par ailleurs, donné lieu à un suivi orthophonique et des séances de psychomotricité. Par un jugement du 16 avril 2015, dont les consorts I...relèvent appel, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, d'une part, à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de leur fils B...Ehongo Dima-Musso, la somme de 6 440 euros, en leur nom propre, une somme de 700 euros à chacun et, en leur qualité d'ayants droit de M. D...J...et Mme F...J..., une somme totale de 1 000 euros et, d'autre part, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 1 554 euros et une somme de 1 037 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et à la Mutuelle complémentaire de la ville de Paris une somme de 64 euros.
2. Par la voie de l'appel principal, les consorts I...demandent à la Cour, à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise et, à titre subsidiaire, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à réparer les préjudices subis dans les conditions précédemment rappelées. La caisse primaire d'assurance maladie de Paris, quant à elle, conclut à la réformation de ce jugement en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande et à ce que la somme mise à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris soit portée à 15 534 euros. Par la voie de l'appel incident, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris demande à la Cour que les sommes mises à sa charge soient ramenées à de plus justes proportions. Par un arrêt avant-dire-droit du 29 mai 2017, la Cour a écarté les moyens tirés de l'irrégularité de l'expertise diligentée par les premiers juges et a sursis à statuer sur les autres conclusions dans l'attente d'une nouvelle expertise, qu'elle a diligentée. L'expert désigné a déposé son rapport le 3 décembre 2018.
Sur la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :
En ce qui concerne la faute :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que le jeune B...J...est atteint d'une surdité congénitale ayant pour origine une infection materno-foetale au cytomégalovirus. Il n'est pas établi, ni même allégué, que l'absence de détection de ce virus pendant la grossesse ou à la naissance serait constitutive d'une faute.
5. Les consorts I...font valoir que l'absence d'examen auditif réalisé à la naissance de B...par la maternité du centre hospitalier Necker aurait retardé le diagnostic de la surdité profonde et de surcroît sa prise en charge. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que lors de la naissance du jeuneB..., la réalisation systématique d'examens auditifs était imposée au centre hospitalier universitaire Necker. Si les requérants se prévalent d'un rapport de la Haute autorité de la santé rédigé en janvier 2007 qui évoque l'existence d'un programme de dépistage à la naissance dans certains hôpitaux parisiens depuis 2005, il ne ressort pas de l'instruction que l'hôpital Necker aurait pris part à ce programme réalisé dans le cadre d'une initiative locale et dépourvu de caractère obligatoire. En outre, si les requérants soutiennent que le caractère prématuré de la naissance de B...ainsi que la présence d'un kyste rétro-cérébraux aurait nécessité la réalisation d'un examen auditif à sa naissance, il résulte des rapports d'expertise diligentés par le tribunal administratif et la Cour que l'état de santé de B...à sa naissance ne justifiait pas la réalisation de tels examens. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que l'audition du jeune B...a fait l'objet d'un examen qui s'est révélé normal en juin 2006, à quatre mois, et que les parents du jeune B...ont indiqué au premier expert qu'en novembre 2006, à huit mois, celui-ci redoublait les syllabes et s'orientait vers la source sonore. Par suite, la circonstance que son audition n'aurait pas été examinée avant sa sortie de la maternité n'a pu provoquer le retard de diagnostic fautif allégué dès lors qu'il résulte de l'instruction, et en particulier des rapports d'expertise, que la surdité congénitale dont souffre B...s'est développée à la fin de l'année 2006.
6. Il résulte également de l'instruction qu'à la suite de la perte d'audition observée chez le jeune B...à la fin de l'année 2006, ses parents ont consulté le service d'oto-rhino-laryngologie de l'hôpital Necker le 22 janvier 2007 pour ce motif. Lors de cette consultation, un oto-rhino-laryngologiste a attribué cette perte d'audition à une otite séreuse dont le diagnostic a été confirmé le 8 mars 2007 par le pédiatre qui suivait l'enfant, puis le 23 mars suivant par un autre oto-rhino-laryngologiste. Il n'est pas établi qu'à cette date le diagnostic d'otite séreuse indiqué dans le carnet de santé et dont les symptômes sont décrits, par ailleurs fréquent chez un enfant de cet âge, ait été erroné. Le 25 mai suivant, l'audiogramme a révélé que l'audition n'a toujours pas été recouvrée. Le 25 septembre 2007, l'oto-rhino-laryngologiste n'a plus constaté d'otite et a suspecté une surdité congénitale dès lors que l'audition ne s'était toujours pas améliorée. Le 5 octobre suivant, le diagnostic de surdité congénitale était définitivement acquis. L'Assistance publique - hôpitaux de Paris fait valoir que rien ne permettait de suspecter qu'il existait une seconde pathologie, indépendante de l'otite séreuse, affectant l'oreille interne et à l'origine d'une surdité. Toutefois, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise diligenté par les premiers juges, que " même s'il existait une otite séro-muqueuse pouvant altérer la qualité de l'audition, le CHU Necker a manqué à son obligation de moyens en ne suspectant et en ne confirmant pas dès le 22 janvier 2007 le diagnostic de surdité profonde ". Le rapport d'expertise diligenté par la Cour mentionne également que si " l'otite séreuse a été traitée de manière routinière, c'est la remarque d'un trouble de l'audition qui aurait dû faire agir différemment ". Dans ces conditions, eu égard aux risques de surdité liées à la naissance prématurée de l'enfant ainsi qu'aux inquiétudes dont ont fait part les parents sur le statut auditif de leur fils, les médecins ont commis une faute en s'abstenant d'effectuer des examens complémentaires et de rechercher les autres causes, plus vraisemblables qu'une otite séreuse, de la perte d'audition du jeuneB.... Par suite, il y a lieu de retenir, ainsi que l'ont fait les premiers juges, un retard de diagnostic fautif de huit mois et demi de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
En ce qui concerne la perte de chance :
7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. Comme il a été dit au point 4, la surdité du jeuneB..., qui a pour origine une infection materno-foetale au cytomégalovirus, est congénitale. Par suite, les troubles du langage dont souffre le jeuneB..., inhérents à sa surdité, sont imputables à cette seule infection materno-foetale au cytomégalovirus. Toutefois, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expertise diligentée par les premiers juges, que plus la surdité est diagnostiquée tardivement, plus le développement de l'enfant peut être problématique, du fait du retard à l'appareillage par des implants permettant de recouvrer l'audition ; l'expert médical et le sapiteur oto-rhino-laryngologiste indiquent ainsi qu'un diagnostic tardif majore les troubles de la communication et que la prise en charge doit être précoce en termes d'acquisition du langage et du développement des capacités de communication. Ainsi, le retard fautif de diagnostic, qui a privé le jeune B...d'audition pendant huit mois et demi et a retardé d'autant la prise en charge de cette surdité par l'appareillage de l'enfant, a constitué une perte de chance pour le jeune B...d'atténuer les séquelles liées à sa surdité, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évaluer, ainsi que l'ont fait les premiers juges, à un pourcentage de 10 %.
Sur l'évaluation des préjudices subis :
En ce qui concerne les droits du jeuneB... :
9. Il résulte de l'instruction, en particulier des rapports d'expertise, que la consolidation définitive de l'état du jeune B...n'interviendra pas avant qu'il atteigne l'âge de 18 - 20 ans. Par suite, le préjudice n'étant pas consolidé à la date de l'arrêt, une indemnité définitive ne peut être allouée. Il y a donc lieu de réserver la fixation de l'indemnité définitive à laquelle le jeune B...pourra prétendre.
10. Néanmoins, le jeune B...est d'ores et déjà en droit d'obtenir réparation des préjudices certains qu'il a subis en raison du retard de diagnostic fautif commis par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris pour la période allant du 22 janvier 2017 jusqu'au jour du présent arrêt.
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
Quant aux dépenses de santé :
11. Les consorts I...soutiennent avoir pris à leur charge la somme totale de 267 euros. Toutefois, il résulte de l'instruction que les pièces produites constituées de " souches de compte " et de relevés de prestations servies par la Mutuelle complémentaire de la ville de Paris ne permettent pas d'établir le montant précité. Par suite, il y a lieu de rejeter cette demande indemnitaire par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
Quant aux frais divers :
12. Le retard fautif dans le traitement de la surdité dont est atteint le jeune B...peut avoir entraîné un retard dans son développement, notamment une perte d'élocution. Toutefois, si les consorts I...font valoir avoir pris à leur charge une somme totale de 11 233 euros au titre des frais liés à la rééducation au langage, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir la réalité de ces frais, à l'exception des frais correspondant à dix séances de rééducation psychomotricité pour un montant de 450 euros, qui sont établis par les pièces produites. Il y a lieu, par suite et compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 8 ci-dessus, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser la somme de 45 euros.
13. Les consorts I...sollicitent également l'indemnisation de " frais de soutien scolaire " et de l'aide par des tierces personnes dont aurait bénéficié le jeuneB.... A l'appui de ces demandes, ils produisent une attestation de prestations de garde d'enfants et font valoir que le jeune B...a bénéficié d'une heure de soutien scolaire par jour, prodigué par des membres de sa famille. Toutefois, il n'est pas établi par les pièces produites que ces frais seraient en lien direct avec le retard de diagnostic imputable à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ni même qu'ils concerneraient le jeuneB.... En outre, les deux rapports d'expertise ont conclu à l'absence de préjudice scolaire. Par suite, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les préjudices allégués ne sont pas établis, et le jugement attaqué doit être réformé sur ce point.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
14. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que l'incapacité temporaire partielle du jeune B...liée aux difficultés d'élocution et de langage a été évaluée à 10 %. Dans ces conditions, compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 8 ci-dessus, il sera ainsi fait une juste indemnisation de ce préjudice en ramenant à 720 euros la somme de 2 940 euros que les premiers juges avaient condamné 1'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à ce titre.
Quant aux souffrances endurées et au préjudice moral :
15. Il résulte de l'instruction que la souffrance endurée par le jeune B...en raison de son appareillage n'a pas de lien de causalité avec le retard de diagnostic fautif commis par le service public hospitalier dès lors qu'elle est inhérente à sa surdité. En revanche, d'une part le jeune B...a souffert d'un préjudice moral lié à ses difficultés d'élocution et de langage qui peut être imputable au retard dans le traitement de sa surdité, et qu'il convient d'indemniser compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 8 ci-dessus. D'autre part, le retard fautif de diagnostic de la surdité du jeune B...a été pour lui directement à l'origine de souffrances pendant cette période de huit mois et demi, dès lors qu'il a cessé d'entendre les sons qui l'entouraient, et particulièrement la voix de ses parents. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en portant à la somme de 7 000 euros la somme de 500 euros que les premiers juges avaient allouée au titre des souffrances endurées.
En ce qui concerne les droits des victimes indirectes :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
16. Il résulte de l'instruction que, d'une part, Mme I...ne justifie pas avoir modifié ses horaires de travail du fait de la maladie de son fils. D'autre part, quand bien même M. I... aurait été contraint de quitter son activité professionnelle à l'étranger, il n'est pas établi que ce renoncement serait en lien direct avec le retard de diagnostic fautif imputable au service public hospitalier de 1'Assistance publique - hôpitaux de Paris. Par suite, les préjudices patrimoniaux allégués ne sont pas établis.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
17. Eu égard à la nature de la faute de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris qui a consisté, comme il a été dit, en un retard de diagnostic malgré les demandes insistantes des parents du jeune B...pour que des examens complémentaires soient réalisés, et qui a eu pour conséquence des difficultés de communication pour le jeune B...et dans l'organisation de la vie familiale, les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'indemnisation de M. et Mme I... due au titre de leur préjudice moral et des troubles qu'ils ont subis dans leurs conditions d'existence, compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 8 ci-dessus, en l'évaluant à la somme de 700 euros chacun.
18. Il résulte de l'instruction que Nelson Ehongo Dima, né le 13 mai 2004, et Sybille Ehongo Dima, née le 25 décembre 2010, frère et soeur deB..., ont subi un préjudice moral en raison des difficultés d'élocution de leur frère. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice, compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 8 ci-dessus, en l'évaluant à la somme de 500 euros chacun.
Sur les frais de l'expertise ordonnée en appel :
19. Les frais de l'expertise du docteur C...ordonnée par la Cour ont été taxés et liquidés à la somme de 2 000 euros par une ordonnance du 11 décembre 2018 du vice-président de la Cour administrative d'appel de Paris. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le paiement de ces frais.
Sur l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :
20. Il résulte des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le montant de l'indemnité forfaitaire qu'elles instituent est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un plafond dont le montant est révisé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté susvisé du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale : " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1 080 et à 107 au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2019. ".
21. Il résulte des dispositions susmentionnées que la somme de 1 037 euros que le jugement attaqué a condamné l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris doit être portée à la somme de 1 080 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
22. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le versement aux consorts I...d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 6 440 (six mille quatre cent quarante) euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à M. A...I...et à Mme E...I..., en leur qualité d'ayants droit de leur fils B...Ehongo Dima-Musso est portée à la somme de 7 765 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1115468/6-3 du 16 avril 2015 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts I...est rejeté.
Article 4 : La somme de 1 037 euros que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale est portée à la somme de 1 080 euros.
Article 5 : Les frais de l'expertises, liquidés et taxés à la somme de 2 000 (deux mille) euros, sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.
Article 6 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera aux consorts I...une somme totale de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 7 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...I..., à Mme E...I..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, à la Mutuelle nationale des hospitaliers et à la Mutuelle complémentaire de la Ville de Paris, de l'assistance publique et des administrations annexes.
Copie en sera adressée au docteurC..., expert.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 mai 2019.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
C. POVSE
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02379