Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 juin et 14 octobre 2016, Mme B... demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 8 décembre 2015 de la commission départementale d'aide sociale de la Moselle ;
2°) d'annuler la décision du 25 juin 2015 du conseil départemental de la Moselle lui demandant de s'engager à verser la somme mensuelle de 95 euros au titre des frais d'hébergement de Mme C... ;
3°) de diminuer le montant de sa participation financière aux frais d'hébergement de sa mère, Mme C..., admise à l'aide sociale.
Elle soutient que le montant de sa contribution financière aux frais d'hébergement de sa mère, Mme C..., évalué à 95 euros par mois par le président du conseil départemental est trop élevé au regard de ses ressources et de ses charges, et qu'elle doit être déchargée de cette somme dès lors que Mme C... a gravement manqué à ses obligations envers elle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2019, le président du conseil départemental de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que Mme C... est dans une situation de besoin ayant justifié l'octroi de l'aide sociale, qu'il appartient au département d'évaluer le montant de la participation laissée à la charge des débiteurs d'aliments du bénéficiaire, qu'il a fait une juste appréciation des possibilités contributives de Mme B..., et qu'il n'appartient qu'au juge judiciaire de décharger un débiteur d'aliments de ses obligations en raison des manquements du parent créancier à ses propres obligations.
Les parties ont été informées le 6 novembre 2020, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que le président du conseil départemental de la Moselle a méconnu le champ de sa compétence en assignant à Mme D... B... une participation financière aux frais d'hébergement de sa mère de 95 euros par mois à compter du 23 septembre 2014.
Un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, présenté par le président du conseil départemental de la Moselle, a été enregistré le 9 novembre 2020. Le président du conseil départemental de la Moselle conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire. Il soutient en outre qu'il n'a pas méconnu le champ de sa compétence.
Par un arrêt en date du 18 février 2020, la chambre sociale de la Cour d'appel de Metz a transmis le jugement de la requête de Mme B... à la Cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née en 1948, a été accueillie le 18 septembre 2014 au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence de la Plaine à Thénezay. Par une décision du 25 juin 2015, le président du conseil départemental de la Moselle a accordé à Mme C... l'aide sociale pour une prise en charge partielle de ses frais d'hébergement pour la période du 23 septembre 2014 au 30 septembre 2019 et a fixé le montant de la participation mensuelle laissée à la charge de l'ensemble de ses obligés alimentaires à 95 euros à compter du 23 septembre 2014. Le président du conseil départemental de la Moselle a adressé à Mme B..., un des trois enfants de Mme C..., la copie de cette décision à laquelle était jointe un " coupon-réponse " qu'il lui a enjoint de lui renvoyer signé avant le 20 août 2015, et dont les mentions pré-remplies ouvraient à la requérante trois options, soit celle de s'engager à verser une participation financière aux frais d'hébergement de sa mère fixée à 95 euros par mois pour la période comprise entre le 23 septembre 2014 et le 30 septembre 2019, soit de s'engager conjointement avec les autres obligés alimentaires à payer ensemble la somme de 95 euros fixée par le département, soit de saisir la commission départementale d'aide sociale. Mme B... a refusé de verser la participation financière de 95 euros demandée par le conseil départemental et a choisi la troisième option ouverte par le département en saisissant ainsi la commission départementale d'aide sociale de la Moselle. Par une décision du 8 décembre 2015, la commission départementale d'aide sociale de la Moselle a rejeté son recours. Mme B... relève appel de cette décision du 8 décembre 2015 de la commission départementale d'aide sociale de la Moselle.
2. Compte tenu des circonstances particulières rappelées au point 1, la requérante doit être regardée comme demandant l'annulation de la décision du 25 juin 2015, révélée par le " coupon-réponse " joint à la décision du même jour admettant partiellement Mme C... à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées, par laquelle le département de la Moselle lui a enjoint de lui renvoyer signé ce " coupon-réponse " lui ouvrant pour seules options, soit de s'engager à verser la somme de 95 euros au titre des frais d'hébergement de sa mère chaque mois du 23 septembre 2014 au 30 septembre 2019, soit de s'engager conjointement avec les autres obligés alimentaires à payer ensemble la somme de 95 euros fixée par le département, sauf à saisir la commission départementale d'aide sociale pour contester cette injonction.
Sur la régularité de la décision de la commission départementale d'aide sociale de la Moselle :
3. Aux termes de l'article 205 du code civil : " Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ". Aux termes de l'article 207 du même code : " (...) Néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire ". L'article 208 du même code précise que : " Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ". Aux termes de l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) / (...) / La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l'aide sociale d'une décision judiciaire rejetant sa demande d'aliments ou limitant l'obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l'organisme d'admission. La décision fait également l'objet d'une révision lorsque les débiteurs d'aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu'elle avait prévus. ". Aux termes de l'article L. 132-7 du même code : " En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil général peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part d'aide sociale ".
4. En application de ces dispositions, il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire d'assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses, ou de dispenser un obligé alimentaire de toute participation sur le fondement de l'article 207 du code civil.
5. Par suite, s'il appartenait au conseil départemental de la Moselle de fixer le montant de la contribution des obligés alimentaires de Mme C... pour vérifier si leur participation, ajoutée aux ressources propres de l'intéressée, permettait de couvrir ses frais d'hébergement, il ne pouvait en revanche, sans méconnaître le champ de sa compétence, assigner à Mme B... une participation financière aux frais d'hébergement de sa mère à hauteur de 95 euros par mois à compter de la date de l'admission de cette dernière à l'aide sociale, sauf à ce qu'elle s'engage conjointement avec les autres obligés alimentaires à payer ensemble la somme de 95 euros à compter de la même date. Il s'ensuit que la commission départementale d'aide sociale de la Moselle qui, dans sa décision du 8 décembre 2015, s'est bornée à confirmer la décision du président du conseil départemental de la Moselle ayant accordé à Mme C... l'aide sociale pour une prise en charge partielle de ses frais d'hébergement pour la période du 23 septembre 2014 au 30 septembre 2019 en fixant le montant de la participation mensuelle laissée à la charge de l'ensemble de ses obligés alimentaires à 95 euros à compter du 23 septembre 2014, a méconnu le champ de sa compétence. Par suite, il y a lieu d'annuler la décision de la commission départementale d'aide sociale de la Moselle du 8 décembre 2015 et d'évoquer la demande.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 25 juin 2015 du conseil départemental de la Moselle exigeant de Mme B... le versement de la somme de 95 euros au titre de sa participation en sa qualité d'obligée alimentaire aux frais d'hébergement de sa mère :
6. Il résulte des dispositions précitées, ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, que le département de la Moselle ne pouvait, sans méconnaitre le champ de sa compétence, estimer que la participation de Mme B... aux frais d'hébergement de Mme C... prenait effet à la même date que l'admission de cette dernière à l'aide sociale.
7. Il suit de là que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision du 25 juin 2015, révélée par le " coupon-réponse " joint à la décision du même jour admettant partiellement Mme C... à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées et évaluant à la somme globale de 95 euros la participation mensuelle laissée à la charge de l'ensemble des obligés alimentaires de Mme C..., par laquelle le conseil départemental de la Moselle a enjoint à la requérante de s'engager à verser chaque mois la somme de 95 euros au titre de sa participation en sa qualité d'obligée alimentaire aux frais d'hébergement de sa mère à compter de la date d'admission de cette dernière à l'aide sociale, sauf à s'engager conjointement avec les autres obligés alimentaires à contribuer ensemble à ces frais à hauteur de 95 euros par mois.
Sur l'admission de Mme C... à l'aide sociale et l'évaluation de la somme globale laissée à la charge des obligés alimentaires :
8. D'une part, il résulte des dispositions précitées qu'il appartient au département de fixer la contribution globale des obligés alimentaires aux frais d'hébergement de Mme C... pour vérifier si leur participation, ajoutée aux ressources propres de cette dernière, permet de couvrir ses frais d'hébergement.
9. D'autre part, il résulte de ces mêmes dispositions que si le juge de l'aide sociale, pour se prononcer sur le montant de l'aide que doit apporter la collectivité publique, est appelé à apprécier la contribution globale que peuvent apporter les obligés alimentaires, sans qu'il soit en son pouvoir de fixer la charge individuelle assignée à chacun, ce que seul peut faire le juge judiciaire, il lui revient néanmoins d'évaluer la pertinence de l'évaluation des capacités individuelles à laquelle a procédé le département. En revanche, il n'a plus à le faire si la question a été tranchée par le juge judiciaire, dont la décision s'impose à lui.
10. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction que l'autorité judiciaire aurait assigné aux obligés alimentaires de Mme C... le montant et la date d'exigibilité de leur participation aux frais d'hébergement de l'intéressée, ni même qu'elle aurait été saisie à cette fin. Il résulte de l'instruction que les frais d'hébergement de Mme C... s'élevaient à 1688,12 euros mensuels, qu'après évaluation des ressources de Mme C... et déduction de la quote-part de 10% laissée à sa disposition en vertu de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles, il existait un différentiel de 569, 87 euros. A la suite de l'enquête engagée par les services du département de la Moselle auprès des obligés alimentaires de Mme C..., leurs ressources cumulées s'élevaient à 6493, 60 euros. Dès lors, en fixant à 95 euros le montant de la contribution globale due par les obligés alimentaires, le président du conseil départemental n'a pas fait une appréciation erronée de la capacité contributive des enfants de Mme C....
11. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est fondée à soutenir que le président du conseil départemental de la Moselle aurait fait une inexacte appréciation des capacités contributives des obligés alimentaires de Mme C... en fixant leur participation globale mensuelle aux frais d'hébergement de cette dernière à 95 euros. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme B... tendant à la diminution de la somme globale laissée à la charge des obligés alimentaires de Mme C... pour la prise en charge de ses frais d'hébergement.
Sur les conclusions tendant à ce que la Cour décharge Mme B... du montant qui lui a été assigné pour la prise en charge des frais d'hébergement de Mme C... en raison des manquements de sa mère à ses obligations :
12. En vertu du principe rappelé au point 4, il appartient au seul juge aux affaires familiales qui se trouverait saisi, le cas échéant, par Mme B..., de décharger cette dernière de la somme mise à sa charge au titre de son obligation alimentaire en raison des manquements de Mme C... à ses obligations envers elle. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 8 décembre 2015 de la commission départementale d'aide sociale de la Moselle, ainsi que la décision du 25 juin 2015 par laquelle le conseil départemental de la Moselle a enjoint à Mme B... de s'engager à verser chaque mois la somme de 95 euros au titre des frais d'hébergement de sa mère à compter de la date d'admission de cette dernière à l'aide sociale, sauf à s'engager conjointement avec les autres obligés alimentaires à contribuer ensemble à ces frais à hauteur de 95 euros par mois, sont annulées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au département de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. A..., rapporteur, président de la formation de jugement,
- Mme Collet, premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2020.
Le rapporteur, président de la formation de jugement,
I. A...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA01055
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