Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 novembre 2015 sous le n° 15PA04170, la province Sud, représentée par Me Lazennec, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1400295 du 17 septembre 2015 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;
3°) de mettre à la charge de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
4°) de condamner la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué, qui se borne à indiquer que le dommage subi par la SARL l'Huîtrière de la Dumbéa était " anormal et spécial justifiant la condamnation de la province Sud à l'indemniser du préjudice subi ", sans préciser en quoi le préjudice serait anormal et spécial, est insuffisamment motivé ;
- si le tribunal administratif a constaté qu'une partie de l'exploitation ostréicole de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa était située sur une dépendance du domaine public qu'elle n'était pas autorisée à occuper, il n'en a pas tiré toutes les conséquences qui s'imposaient en calculant le montant du préjudice à partir d'un chiffre d'affaires global, prenant ainsi en compte la production réalisée tant sur la partie de l'exploitation autorisée que sur la partie de l'exploitation non autorisée ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre les travaux effectués dans le lit de la rivière Dumbéa par la province Sud et la surmortalité des huîtres ;
- la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa n'établit pas qu'elle aurait subi un quelconque dommage ;
- les prétentions indemnitaires de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa sont erronées.
Par un arrêt du 29 septembre 2016, la Cour a estimé d'une part que le jugement attaqué n'était pas entaché d'irrégularité, d'autre part que la province Sud était responsable du préjudice économique subi par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa du fait des travaux réalisés par la province Sud dans le lit de la Dumbéa au cours du mois de novembre 2009, et ordonné une expertise en vue d'être éclairée sur ce préjudice économique avant de statuer sur les conclusions de cette société tendant à ce que la province Sud soit condamnée à lui verser une indemnité.
Le rapport de l'expert a été enregistré le 10 octobre 2017 au greffe de la cour.
Par une ordonnance n° 15PA04170 du 14 mars 2018, le président de la Cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 27 157,76 euros.
Par un mémoire d'observation sur le rapport d'expertise et un mémoire récapitulatif, enregistrés tous deux le 14 février 2018, la province Sud, représentée par Me Lazennec, conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens que précédemment ; elle demande en outre que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et que la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa soit condamnée au paiement des frais des deux expertises successives.
Par un mémoire d'observation sur le rapport d'expertise, enregistré le 19 février 2018, et un nouveau mémoire enregistré le 26 avril 2018, la SARL l'Huîtrière de la Dumbéa, représentée par Me Faro, conclut dans le dernier état de ses écritures, d'une part au rejet de la requête, d'autre part à ce que la province Sud soit condamnée au paiement de la somme de 376 602 000 F CFP en indemnisation du préjudice qu'elle a subi, en outre à ce que la province Sud soit condamnée à payer les frais d'expertise de première instance et d'appel, et enfin à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la province Sud sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par deux mémoires, enregistrés les 23 avril 2018 et 27 avril 2018, la province Sud conclut aux mêmes fins que sa requête et ses autres mémoires par les mêmes moyens que précédemment.
Vu l'ordonnance en date du 14 mars 2018 du président de la Cour administrative d'appel taxant et liquidant les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 21 157,76 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999,
- la loi du pays n° 2001-017 du 11 janvier 2002 sur le domaine public maritime de la Nouvelle-Calédonie et des provinces,
- la délibération n° 238/CP du 18 novembre 1997 portant délégation des gestions des cours d'eau aux provinces Nord et Sud,
- l'arrêté n° 421/2004/PS du 18 mars 2004 autorisant l'occupation de dépendances du domaine public maritime de la province Sud sises communes de Dumbéa et de Païta, pour l'extension et l'exploitation d'une ferme ostréicole et mytilicole, au profit de la SARL l'Huîtrière de la Dumbéa,
- le code de l'environnement de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben, rapporteur,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- les observations de MeB..., substituant Me Lazennec, avocat de la province Sud,
- et les observations de Me Faro, avocat de la SARL l'Huîtrière de la Dumbéa.
Une note en délibéré a été présentée le 4 mai 2018 pour la province Sud par Me Lazennec.
Considérant ce qui suit :
En ce qui concerne le rapport d'expertise :
1. L'expert comptable désigné, au terme de son rapport, a estimé que les pertes subies par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa devaient être estimées soit à 263 685 000 francs CFP, soit à 141 098 659 francs CFP si l'on considérait que la société ne pouvait être indemnisée qu'à raison de la zone concédée, soit à zéro franc CFP si l'on considérait que la société n'était pas viable en l'absence d'exploitation sur la zone non concédée. L'expert comptable a pris en considération, pour établir les pertes de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa, le coût des naissains achetés de 2007 à 2009, le taux de perte moyen de 77,5%, la période moyenne de trois ans nécessaire pour qu'une huître, immergée dans les eaux de l'estuaire de la Dumbéa sous forme de naissain, parvienne à une taille commercialisable et le chiffre d'affaires réalisé de 2010 à 2012. Pour parvenir à ses estimations, l'expert comptable a déterminé un coefficient multiplicateur entre les ventes de l'année n et les achats de l'année n - 3 du 31 mars 2005 au 31 mars 2009 ; par affectation du coefficient multiplicateur (défini à la valeur de 13,1) à l'achat des naissains en année n, les productions vendues théoriques en année n + 3 ont été calculées ; de cette somme ont été soustraites les productions réellement vendues pour déterminer ainsi les pertes de ventes, soit un total, pour les exercices clos les 31 mars 2007, 2008, 2009 et 2010, de 263 685 000 F CFP (la surmortalité des naissains n'ayant pas été corrélativement une source d'économies pour la société). Si la province Sud comme la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa ont émis plusieurs réserves quant à la méthodologie adoptée par l'expert comptable, portant notamment sur le ratio utilisé auquel aurait dû être préféré le ratio Productions vendues en valeur / Achats de naissains en quantité, écartée par l'expert au motif que les deux termes du ratio n'étaient pas exprimés dans des valeurs comparables, et sur l'utilisation d'un calcul de la médiane, et non de la moyenne, pour déterminer le coefficient multiplicateur, justifiée par l'expert au motif que le recours à la médiane est préférable à la moyenne quand il s'agit de traiter peu de données présentant une dispersion certaine. Eu égard aux circonstances d'une part que les parcs ostréicoles en cause ont été affectés, dès 2012, par une nouvelle pollution dont les causes sont distinctes de celle du présent litige, ce qui n'a pas permis de procéder à la détermination d'une série statistique longue, d'autre part que la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa n'a pas produit les comptes de résultats pour chacun des parcs ostréicoles ainsi que les fiches d'inventaires y afférentes, au motif qu'elle a indiqué, au cours de la procédure d'expertise, ne pas établir les comptes précités et se borner à ne dresser que celui de l'ensemble de son activité, et qu'elle n'avait pas conservé les fiches d'inventaires, alors même qu'elles sont au nombre des documents comptables et pièces justificatives soumis à une obligation de conservation décennale en application de l'article L. 122-22 du code de commerce, et enfin que la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa n'a pas versé aux débats la totalité des factures de vente, les données retenues par l'expert comptable comme les modalités même de son calcul du préjudice subi, si elles ne répondent pas, pour les raisons qui viennent d'être exposées, à une parfaite rigueur comptable, sont néanmoins exempts de toute inexactitude et d'erreur de méthodologie, de sorte que les conclusions du rapport d'expertise ne sauraient être écartées du fait d'inexactitudes patentes ou d'une erreur de méthodologie.
Sur la détermination du préjudice subi par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa :
2. Il résulte de l'instruction que, d'une part, sur les 9,7 hectares exploités par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa pour lesquels elle demande une indemnisation, seule une superficie de 5,19 hectares lui avait été régulièrement concédée, soit le parc ostréicole dit " Rivière " (les parcs dits " Lagon 1 ", " Lagon 2 ", " Pousse " et " Australien " se situant hors de la zone concédée). Si la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa soutient qu'une autorisation tacite lui aurait été délivrée, elle ne l'établit pas, quand bien même l'administration aurait fait preuve, avant l'intervention du procès-verbal de constat du service topographique et foncier en date du 14 novembre 2014, d'un manque de vigilance quant au respect de la concession délivrée et à quant à l'occupation irrégulière de fait du domaine public maritime. D'autre part, si la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa a fait valoir, au cours de la procédure d'expertise, qu'elle transférait les naissains d'un parc ostréicole à l'autre en fonction de leur pousse, qu'ainsi le taux de remplissage des parcs n'était pas uniforme et que les cinq parcs exploités ne pouvaient être considérés comme des centres de profit autonomes, et que les fiches d'inventaire, comme il a été dit, n'ont pas été conservées, toutefois, non seulement il ressort de la note du cabinet d'experts-comptables PG et Associés du 30 novembre 2010, produite par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa elle-même au soutien de ses prétentions indemnitaires (antérieurement à la seconde expertise), qu'environ un cinquième seulement des huîtres élevées par la société se trouvaient dans le parc ostréicole dit " Rivière " en mars 2009 comme en mars 2010, mais encore, comme il ressort du propre courriel en date du 20 janvier 2010 du gérant de la SARL adressé à la direction du développement rural de la province Sud, que la surmortalité constatée des huîtres commercialisables était bien moindre dans le parc dit " Rivière " (" 10 % à 15 % pour les huîtres n° 4 et n° 3, les huîtres n° 2 et n° 1 ont beaucoup moins souffert (plus ou moins 5 à 10 %) " que dans les parcs dits " Lagon 1 ", " Lagon 2 ", " Pousse " et " Australien " se situant hors de la zone concédée, ce que confirme la note de l'IFREMER de 2010 constatant que l'hécatombe des huîtres était moins prononcée dans le parc dit " Rivière " en rive droite de la Dumbéa. Enfin, le contexte d'élevage d'une espèce (crassostrea gigas) provenant d'une zone tempérée en zone tropicale, qui induit une particulière fragilité des huîtres aux agressions extérieures, comme en l'espèce la pollution et/ou l'anoxie, est un élément qui doit être pris en considération dans la détermination de l'indemnisation du préjudice. Par suite, il sera fait une juste indemnisation du préjudice subi par la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa en condamnant la province Sud à lui verser la somme de 83 millions de francs CFP.
Sur les frais d'expertise :
3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant-dire-droit du 29 septembre 2016, liquidés et taxés à la somme de 27 157,76 euros, à la charge de la province Sud.
Sur les frais liés à l'instance :
4. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la province Sud doivent être rejetées.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la province Sud le paiement à la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Dans les circonstances de l'espèce et dès lors que la province Sud n'a pas manifesté une opposition à l'exécution du présent arrêt, il n'y pas lieu de faire droit aux conclusions susvisées de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa tendant à ce que l'arrêt de la Cour soit assorti d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de sa notification.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de soixante cinq millions de francs CFP que la province Sud a été condamnée à verser à la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa par le jugement n° 1400295 du 17 septembre 2015 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est portée à la somme de 83 millions de francs CFP.
Article 2 : Le jugement n° 1400295 du 17 septembre 2015 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La province Sud versera à la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 27 157,76 euros, sont mis à la charge de la province Sud.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SARL L'Huîtrière de la Dumbéa est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la province Sud et à la SARL L'huîtrière de la Dumbéa.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et à M. C..., expert.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- MmeA..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 24 mai 2018.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELa greffière,
C. POVSELa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA04170