Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2014 et des mémoires enregistrés les 9 septembre 2014 et 3 mars 2015, M. A..., représenté par la SCP Monod-Colin-Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300525 du 8 avril 2014 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) d'annuler la décision implicite du directeur général de l'Office des Postes et Télécommunications rejetant sa demande d'indemnisation, et de condamner l'office à lui payer les sommes de :
- 80 000 000 F CFP à titre de réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral dont il a été victime ;
- 23 327 901 F CFP correspondant à quatre ans de salaires, en réparation de son préjudice professionnel ;
- 6 000 000 F CFP en réparation de son préjudice financier ;
3°) de majorer lesdites condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable ;
4°) d'assortir ces condamnations, en cas de non versement, d'une astreinte de 600 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Office des Postes et Télécommunications la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce qu'il se trouvait seul dans son bureau depuis près de six ans et qu'il n'avait aucun travail à effectuer ; que de même ils n'ont pas répondu à sa contestation par laquelle il indiquait qu'aucune pièce du dossier ne permettait d'établir qu'il n'avait pas atteint ses objectifs et que le chef de centre M. C... ne l'appréciait pas en raison de son ancienneté et de sa grande expérience ;
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de fait en estimant qu'il avait refusé les postes qui lui avaient été proposés alors qu'il avait accepté le seul poste proposé de " responsable SAV grand public " qui ne lui a finalement pas été attribué ;
- le retrait de sa voiture de fonctions et de son téléphone portable est assimilable à une sanction ;
- de nombreuses décisions irrégulières ont été prises à son encontre ; lors de son entretien d'objectif du 30 janvier 2007, il a été informé de ce qu'il n'exerçait plus les fonctions de " responsable exploitation et production ", suite à une décision prise le 1er janvier 2007 par le conseil d'établissement ; cette décision ne lui a jamais été communiquée malgré ses nombreuses demandes en ce sens ; elle a été réitérée le 29 avril 2010 ; ses fiches de paye mentionnent néanmoins qu'il est " responsable exploitation et production " ;
- le directeur de centre a interdit à l'ensemble des collaborateurs de travailler avec lui et l'a exclu de son rôle de responsable ; cette consigne ne lui a jamais été communiquée ;
- à compter de janvier 2007, il a été laissé à l'isolement dans son bureau sans qu'aucun travail ne lui soit confié par son employeur pendant sept années ;
- le 26 mai 2010, M. C...l'a convoqué et lui a présenté un contrat d'objectif complètement fictif à remplir au titre de l'année 2010 ; la quasi-totalité des travaux avaient déjà été réalisés par un bureau d'étude en concertation avec la cellule " vérification qualité assistance " ; aucun poste ni aucun travail effectif ne lui ont été proposés pendant plus de trois ans après la prétendue suppression du poste qu'il occupait ;
- il n'a fait l'objet d'aucun entretien et d'aucune évaluation à compter du 31 janvier 2007 ;
- M. C...a fait preuve d'une animosité personnelle à son encontre ; il ne l'a jamais apprécié en raison de son ancienneté et de sa maîtrise opérationnelle acquise au cours de ses trente années d'expérience au sein de l'Office des Postes et Télécommunications ; M. C...est devenu responsable de centre après quatre années d'exercice au sein du centre de construction des lignes téléphoniques alors qu'il disposait d'une ancienneté plus importante ; il n'avait aucune expérience en matière de gestion des agents et n'a pas apprécié son savoir-faire acquis au cours de ses précédentes années d'expériences ; il s'est immiscé dans son travail, conduisant ainsi à une moins bonne organisation du service et compromettant son fonctionnement ;
- en trente années de carrière au sein de l'Office des Postes et Télécommunications, aucun reproche ne lui a été adressé ; ses compétences ont été unanimement reconnues et lui ont permis d'occuper un poste de responsable ;
- il a écrit en vain au président du conseil d'administration pour faire état de sa situation professionnelle ; il a été reçu le 7 avril 2008 par le nouveau directeur des ressources humaines qui lui a proposé un poste de " responsable SAV grand public " pour répondre à sa demande et ne plus rester dans l'inaction et l'isolement ; le directeur général a cependant refusé cette nomination ;
- en l'absence de toute concertation, il a été affecté en septembre 2013 au sein du département commercial et marketing alors qu'il possède une formation et une expérience professionnelle technique ;
- il est atteint d'une profonde dépression depuis 2007 ; au titre de la période 2009-2012 il a totalisé 223 jours d'arrêts maladie ; son épouse a engagé une procédure de divorce dès le début de l'année 2008 ;
- il a subi un préjudice moral, un préjudice financier et un préjudice professionnel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2014, l'Office des Postes et Télécommunications, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 300 000 F CFP soit mise à la charge de M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 4 mars 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 juin 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 modifiée portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Stoltz-Valette,
- les conclusions de M. Blanc, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., substituant Me Monod, avocat de M.A....
1. Considérant que M. A...a été embauché au centre de construction des lignes téléphoniques de l'Office des Postes et Télécommunications par contrat à durée indéterminée le 1er décembre 1981 en tant qu'agent de lignes ; qu'à la suite de sa réussite au concours de recrutement, il a été nommé le 31 décembre 1985 agent de maîtrise du corps de l'Etat pour l'administration de la Polynésie française ; qu'à compter du 30 mai 1994, il a intégré un corps d'encadrement en tant que responsable d'exploitation ; que le 30 août 2005 il s'est vu confier les fonctions de responsable d'exploitation et de production ; qu'à partir de 2007, M. A...s'est vu retirer lesdites fonctions à la suite de tensions avec son chef de centre, M.C... ; qu'il a par la suite constaté que son poste n'existait plus, et qu'il se retrouvait sans travail à accomplir, du fait de nouvelles fonctions qu'il qualifie d'inexistantes ; qu'après avoir vainement réclamé auprès de son employeur la réparation des préjudices qui résulteraient du harcèlement moral dont il estime être victime, M. A...a porté le litige devant le Tribunal administratif de la Polynésie française qui, par un jugement du 8 avril 2014, a rejeté sa demande d'indemnisation ; que M. A...demande l'annulation de ce jugement, l'annulation de la décision implicite du directeur général de l'Office des Postes et Télécommunications rejetant sa demande d'indemnisation, l'indemnisation de ses préjudices moral, financier et professionnel ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2013, date de sa demande préalable ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés./ Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
5. Considérant que M. A... soutient avoir été victime de harcèlement moral résultant de la suppression de ses fonctions de responsable d'exploitation et de production, du retrait de sa voiture de service et du téléphone portable, de la circonstance qu'il ne se voyait confier aucune mission ou tâche et qu'il était seul dans son bureau depuis près de six ans ; que ces éléments, dont la réalité est établie par les pièces du dossier, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre ; que cependant le comportement des supérieurs de M. A...ne peut être apprécié sans tenir compte de l'attitude de ce dernier ; qu'il résulte de l'instruction que lors de sa prise de fonctions de responsable d'exploitation et de production en 2005, M. A...a refusé d'assumer ses responsabilités tant que sa nomination ne lui avait pas été notifiée et qu'il a fait preuve d'une animosité envers son supérieur hiérarchique direct ; que les pièces versées au dossier démontrent qu'il ne s'est pas impliqué dans ses fonctions ; que son manque de motivation lui a été constamment rappelé lors de ses évaluations annuelles, qu'il n'a jamais contestées, et que les objectifs qui lui étaient assignés n'étaient pas atteints, malgré les rappels figurant dans les notifications annuelles de la prime individuelle modulable, et les incitations de son chef de centre ; que, pour remédier à son incapacité à assumer ses responsabilités et aux disfonctionnements constatés par ses supérieurs hiérarchiques, il a été décidé de confier ses fonctions de responsable d'exploitation à son supérieur hiérarchique ; que, dans ces conditions, la circonstance qu'il ne soit plus envoyé en mission sur des chantiers extérieurs, qu'il ne perçoive plus les indemnités correspondantes, et que ses supérieurs directs ne lui confient plus de travail ne saurait être assimilée à des faits de harcèlement, mais doit être regardée comme une réponse au manque d'implication de M. A...dans ses fonctions ; que, par ailleurs, s'il a accepté une proposition de changement de poste à laquelle sa hiérarchie n'a finalement pas donné suite, il résulte de l'instruction qu'il a décliné trois offres de changement de poste équivalent ; que s'il a alerté sa hiérarchie sur ses conditions de travail en 2007, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait informé sa hiérarchie de ses difficultés au cours de la période 2008-2013 et qu'il aurait manifesté un intérêt pour un changement d'affectation ; qu'en avril 2013, sa hiérarchie l'a affecté d'office au sein de la direction des communications sur un poste de rang équivalent et l'a fait bénéficier d'une formation adéquate ; que si M. A...soutient que son état dépressif est lié à ses conditions de travail et qu'il a divorcé en 2008, les certificats médicaux et les témoignages produits ne permettent pas d'établir ses allégations ; qu'au demeurant il a été déclaré apte par le médecin du travail à l'exercice de ses fonctions ; que les éléments produits au dossier ne permettent pas d'établir que les difficultés familiales du requérant résulteraient de ses problèmes professionnels ni qu'il serait l'objet de moqueries de la part des autres salariés ; que l'absence de notation et d'évaluation de M. A...au titre des années 2008 à 2012 trouve son origine dans la situation conflictuelle l'opposant à son supérieur hiérarchique direct et n'a pas eu d'effet sur l'évolution de sa carrière, qui s'est déroulée normalement ; qu'il a continué à percevoir le traitement afférent à son grade ; qu'en outre, la manière de servir d'un fonctionnaire peut être prise en compte pour déterminer le montant des primes qui lui sont allouées ; qu'au cours de la période 2007-2012 M. A...n'a jamais contesté la modulation négative de sa prime d'efficience justifiée par son manque d'implication dans son travail ; qu'ainsi, les agissements dont se prévaut M. A...ne peuvent être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et ne présentent pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française, qui a répondu à tous les moyens dont il était saisi, a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'Office des Postes et Télécommunications présentées sur le même fondement ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Office des Postes et Télécommunications tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et à l'Office des Postes et Télécommunications.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Dalle, président,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 1er décembre 2016.
Le rapporteur,
A. STOLTZ-VALETTELe président,
D. DALLE
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA03079