Par une requête, enregistrée le 4 juin 2021, Mme A..., représentée par Me David, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2003527 du 5 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 17 octobre 2019 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel elle est susceptible d'être renvoyée, et lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- en se fondant sur des éléments non versés au dossier, s'agissant du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité ;
- le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté a été pris par une autorité incompétente, M. B... ne pouvant se prévaloir de la délégation de signature qui lui avait été donnée par l'ancien préfet dès lors qu'à la date de l'arrêté attaqué un nouveau préfet avait été nommé depuis le 10 avril 2019 ;
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en ne prenant pas en considération son activité professionnelle d'artiste musicienne et interprète, le préfet a entaché les décisions attaquées de défaut d'examen et d'erreur de fait ;
- elles méconnaissent les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Boizot a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante camerounaise née le 24 juillet 1982, a formulé le 18 mars 2019 une demande de titre de séjour. Par un arrêté en date du 17 octobre 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme A... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin de se prononer sur les autres moyens :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article
L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est arrivée en France depuis le 15 mars 2010 et qu'elle a intégré dès 2011 le groupe de musique " 10LEC6 " en qualité de chanteuse. Le 31 décembre 2016, les membres du groupe ont signé un contrat d'enregistrement exclusif avec la société Headbangers Entertainement pour l'enregistrement d'un album. Lors de sa publication en 2018, cet album a été reconnu tant par le public que les acteurs du monde musical grâce à une couverture médiatique importante par des radios musicales telles FIP, Radio Nova, RFI, et des revues spécialisées comme les Inrocks ou Trax Magazine, qui a notamment conduit à la diffusion de leur concert au festival parisien " We Love Green " sur la chaîne de télévision Arte. Il apparaît également que le groupe a été programmé à de nombreuses reprises au cours des années 2017 et 2018 dans des festivals ou des salles de concert situées en France. Au cours de l'année 2019, il ressort des attestations des responsables du label Eb Banger et de la société de production Pipole, producteur et organisateur de concert, en date des 27 et 28 mai 2021 que, depuis la sortie de son dernier album en 2018, le groupe " 10LEC6 " a été sollicité à de nombreuses reprises pour participer à de nombreux festivals de renommée internationale tel que le festival Tomorrowland en Belgique ou encore ceux de Lolapalooza, le SXSW et le Pitchfork Music Festival aux Etats-Unis ainsi que celui de Paleo en Suisse mais qu'il n'a pu honorer lesdits engagements en raison de la situation administrative de Mme A.... Il est également précisé qu'un nouvel album est en cours de production. Mme A... a, par ailleurs, signé le 30 mars 2017 plusieurs contrats de préférence éditoriale avec les sociétés Because Editions, Headbangers publishing ainsi que Zarma, ces contrats attestent de la réelle volonté de plusieurs éditeurs de soutenir le travail artistique de la requérante et d'exploiter commercialement ses œuvres en France et à l'export. Enfin, le groupe est aussi soutenu dans ses activités par la mairie de Paris depuis le mois d'avril 2018 par l'intermédiaire d'une convention d'accompagnement séquence signée avec le centre FGO Barbara Goutte d'Or qui apporte au groupe un soutien financier mais également une aide logistique en mettant à sa disposition différents espaces de travail dans le cadre des projets de création voire une aide juridique ou stratégique. Ces différents éléments permettent de démontrer une réelle insertion professionnelle de Mme A..., notamment sous couvert de plusieurs contrats avec des sociétés de production qui la rémunèrent au cachet, en France depuis plusieurs années et de caractériser ainsi des motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard notamment de la durée de sa vie professionnelle et artistique en France.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que Mme A... est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montreuil ainsi que celle de l'arrêté du 17 octobre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé son admission au séjour, l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Eu égard à ces motifs, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer un titre de séjour " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me David, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me David de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2003527 du 5 février 2021 du tribunal administratif de Montreuil et l'arrêté du 17 octobre 2019 du préfet de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à Mme C... A... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me David, conseil de Mme A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me David renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 7 février 2022 , à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président de chambre,
- Mme Fullana, première conseillère,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 11 mars 2022.
La rapporteure,
S. BOIZOTLe président,
S. CARRERE
La greffière,
E. LUCE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21PA03036 2