Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1712857/8 du 12 août 2017 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a annulé ses deux arrêtés du 8 août 2017 dès lors qu'ils ne sont pas entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- ils sont suffisamment motivés ;
- il a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D...;
- compte tenu de ce que M. D...n'a pas fait valoir d'éléments particuliers concernant son état de santé au cours de son audition, il n'était pas obligé de recueillir l'avis du médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de sorte que le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas été méconnu ;
- le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnus ;
- la décision refusant le délai de départ volontaire est légale au regard du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que M. D...n'ayant pas déclaré sa résidence effective et ne disposant pas de documents d'identité en cours de validité, ne présente pas de garanties de représentations suffisantes ;
- l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire pendant trente-six mois n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée à M.D..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Stoltz-Valette a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.D..., de nationalité nicaraguayenne, né le 29 septembre 1984, est entré en France en 2007 ; que par deux arrêtés du 8 août 2017, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de trente six mois ; que le préfet de police relève appel du jugement du 12 août 2017 par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a annulé ces arrêtés au motif que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. D...a été interpellé le 7 août 2017 et placé en garde à vue, pour violences volontaires en état d'ivresse avec armes sans interruption temporaire de travail et recel de vol ; qu'il a fait l'objet de signalements pour outrages à des personnes dépositaires de l'autorité publique les 2 juillet 2012 et 9 novembre 2016, pour des violences conjugales le 19 juin 2014 et pour des menaces avec armes le 3 mars 2016 ; que par ailleurs, s'il soutient avoir une activité d'artiste-peintre, il est sans aucune ressource, n'a pas de domicile fixe et admet avoir quitté la France pour l'Espagne après l'expiration de son dernier titre de séjour le 9 avril 2016 et y être revenu au mois de novembre 2016 ; que divorcé depuis le mois de décembre 2015, il est célibataire et sans enfant ; que dans ces conditions, et même si M. D...a résidé régulièrement en France pendant plusieurs années, entre 2007 et 2016, comme étudiant puis comme conjoint d'une ressortissante française, le préfet de police, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur sa situation personnelle, contrairement à ce qu'a jugé le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris ;
3. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M.D..., devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et des éléments de fait propres à la situation de M. D...qui en constituent le fondement ; que dès lors, le moyen tiré de son insuffisante motivation ne peut qu'être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient M.D..., il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité préfectorale ne se serait pas livrée à un examen de sa situation personnelle avant de prendre la mesure d'éloignement contestée, alors surtout que le requérant, après son interpellation, a été entendu sur sa situation administrative, ainsi qu'il résulte du procès-verbal d'audition rédigé ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi (...) " ; que selon l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues aux trois premiers alinéas de l'article R. 313-22 " ;
7. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de son audition par les services de police, que M. D...aurait fait valoir que son état de santé était de nature à faire obstacle à son éloignement ; qu'il en ressort au contraire qu'informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français, le Dr B...A...médecin atteste que son état n'est pas incompatible avec sa garde à vue ; qu'il n'est donc pas établi que M. D...ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; que par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté ;
8. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que, pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit: (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ;
9. Considérant que M. D...fait valoir qu'il réside en France depuis 2007, qu'il a obtenu un diplôme des Beaux-Arts, qu'il exerce la profession d'artiste peintre et qu'il a été marié à une ressortissante française ; que, toutefois, M.D..., qui a divorcé en 2015, est célibataire et sans charge de famille en France, et n'est pas dépourvu d'attaches familiales au Nicaragua ; qu'il a d'ailleurs indiqué que des membres de sa famille vivant dans son pays d'origine subvenaient financièrement à ses besoins ; que, dans ces conditions, la décision litigieuse n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile;[a1]
Sur la légalité de la décision portant refus du délai de départ volontaire :
10. Considérant, en premier lieu, qu'il suit de ce qui a été dit ci-dessus que la décision portant obligation de quitter le territoire n'est pas illégale ; que le moyen tiré de son illégalité, invoquée par voie d'exception, doit être écartée ;
11. Considérant, en deuxième lieu, que la décision attaquée vise l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et énonce que M. D... constitue une menace pour l'ordre public, qu'il existe un risque de soustraction à l'obligation de quitter le territoire français, qu'il s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour sans en avoir demandé le renouvellement et qu'il ne présente pas de garantie suffisante dans la mesure où il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité et qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente ; qu'elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée ; que, dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté ;
12. Considérant, en troisième lieu, que si M. D...soutient que le préfet de police a commis une erreur d'appréciation de sa situation et a méconnu les dispositions de l'article L. 551-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort des pièces du dossier qu'il a déclaré lors de son audition par les services de police être sans domicile fixe et ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ; que le préfet a pris en considération les infractions pénales commises ainsi que ses liens familiaux ; qu'ainsi, le préfet de police n'a pas fait une inexacte appréciation de la situation de M. D...en estimant que l'intéressé ne présentait pas de garanties suffisantes de représentation ; que pour les mêmes motifs il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard des éléments dont il faisait état ; que, par suite, le préfet a pu légalement obliger M. D...à quitter sans délai le territoire français ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
13. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et des éléments de fait propres à la situation de M. D...qui en constituent le fondement ; que dès lors, le moyen tiré de son insuffisante motivation ne peut qu'être écarté ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen pris par M. D...d'une exception d'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français doit être écarté ;
15. Considérant, en troisième lieu, que si M. D...soutient que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes desquelles : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants ", il ne justifie en tout état de cause pas d'un état de santé d'une nature et d'une gravité telle que son éloignement du territoire français pourrait être regardé par lui-même comme équivalent à un traitement prohibé par ces stipulations ;
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
16. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté comporte l'énoncé des considérations de droit et des éléments de fait propres à la situation de M. D...qui en constituent le fondement ; que dès lors, le moyen tiré de son insuffisante motivation ne peut qu'être écarté ;
17. Considérant, en deuxième lieu qu'il résulte de ce qui a été dit-ci-dessus que l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écartée ;
18. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne ressort pas des circonstances invoquées par M. D...et de l'ensemble des circonstances de l'espèce, rappelées au point 9 ci-dessus, que le préfet aurait entaché sa décision d'interdiction de retour d'une durée de trente-six mois d'une erreur d'appréciation ;
19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a annulé ses arrêtés du 8 août 2017 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1712857/8 du 12 août 2017 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...D....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.
Le rapporteur,
A. STOLTZ-VALETTELe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[a1]A expressément abandonné ce moyen à l'audience devant le TA
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N° 17PA03110