Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 juillet 2017 et le 15 mars 2018, la société Euro Power Technology, représentée par Me Oliel, avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602298/1-2 du 6 juin 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'ordonner une expertise afin d'établir l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des travaux qu'elle a réalisés et qui sont décrits dans le dossier technique remis le 29 avril 2015 à l'administration fiscale ;
3°) de prononcer la décharge des cotisations et droits en litige et des pénalités correspondantes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification du 26 juillet 2011 est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne mentionne pas le texte en vertu duquel le taux de TVA de 19,6 % a été appliqué et que le redressement par lequel l'administration remet en cause l'avoir, tacitement fondé sur la caractérisation d'un passif injustifié, n'est pas motivé ;
- elle a transmis le 29 avril 2015 à l'administration fiscale un dossier technique concernant le crédit d'impôt recherche ; l'administration n'a pas tenu compte de ce rapport et ne l'a pas transmis au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- le tribunal n'a pas ordonné d'expertise ;
- les travaux qu'elle a réalisés et qui sont décrits dans ce dossier technique sont éligibles au crédit d'impôt recherche ;
- elle a recalculé les montants des crédits d'impôt recherche, qu'elle avait surévalués ; elle justifie du bien-fondé des nouveaux montants dont elle demande la restitution ;
- elle justifie par les pièces qu'elle produit devant la Cour du bien-fondé de l'inscription de l'avoir de 2 294 000 euros au bénéfice du client Oxenbridge Biogaz.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requérante n'est fondé.
Par une ordonnance du 22 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2018 à 12 heures.
Un mémoire a été déposé par le ministre de l'action et des comptes publics le 9 avril 2018 à 14 h 46 après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de M. Platillero, rapporteur public,
- et les observations de Me Oliel, avocat de la société Euro Power Technology.
1. Considérant que la société Euro Power Technology a pour activité la fourniture, l'installation et la maintenance de moteurs destinés à la production électrique ; qu'elle a fait l'objet en 2011 d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2008 et 2009 et sur le crédit d'impôt recherche des années 2006, 2007 et 2008, à l'issue de laquelle diverses impositions supplémentaires ont été mises à sa charge, en particulier des compléments d'impôt sur les sociétés et un rappel de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle relève appel du jugement en date du 6 juin 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) " ; que l'administration n'est pas tenue en toute circonstance, sous peine d'irrégularité, de mentionner dans la notification de redressements les articles du code général des impôts dont il est fait application ;
3. Considérant que la proposition de rectification du 26 juillet 2011 mentionne clairement pour chacun des redressements envisagés le montant en base des rectifications, les périodes d'imposition, la nature des rectifications opérées, les motifs de droit et de fait ainsi que les conséquences financières ; que s'agissant du rappel de TVA collectée, l'administration a imposé au taux de droit commun de 19,6 % l'insuffisance de chiffre d'affaires déclaré, ressortant de la comparaison entre les relevés du compte bancaire de la société Euro Power Technology et les déclarations CA3 ; que la circonstance que le service n'ait pas mentionné le texte fixant le taux de 19,6 %, compte tenu de la nature des rectifications notifiées, n'a pas d'incidence sur la régularité de la motivation de la proposition de rectification ; que le redressement concernant l'avoir de 2 743 624 euros constitué au bénéfice du client Oxenbridge Biogaz est également suffisamment motivé dès lors qu'après avoir relevé qu'une charge doit être appuyée de justifications suffisantes, la proposition de rectification mentionne que la société Euro Power Technology s'est bornée à adresser au service un courriel faisant état de l'" annulation du contrat entre Euro Power Technology et Oxenbridge, d'où l'émission de l'avoir sur les factures émises ", sans fournir aucun document justificatif relatif à une éventuelle créance ; que le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification doit dès lors être écarté ;
Sur la remise en cause des crédits d'impôt recherche :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...). II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations (...) c) Les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel mentionnées à la première phrase du b ; Ce pourcentage est fixé à : (...) 200 % des dépenses de personnel qui se rapportent aux personnes titulaires d'un doctorat ou d'un diplôme équivalent pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur premier recrutement à la condition que le contrat de travail de ces personnes soit à durée indéterminée et que l'effectif salarié de l'entreprise ne soit pas inférieur à celui de l'année précédente (...) d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche, ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions (...) " ;
5. Considérant que l'administration fiscale a repris des crédits d'impôt recherche qu'elle avait accordés le 31 décembre 2009 à la société Euro Power Technology pour des montants de 847 478 euros, 596 667 euros et 576 101 euros, respectivement au titre des années 2006, 2007 et 2008 ; que la société Euro Power Technology avait obtenu le bénéfice du crédit d'impôt recherche à raison de dépenses de personnel, de fonctionnement et de sous-traitance qu'elle disait avoir exposées pour mettre au point des unités de production d'électricité à partir de biogaz provenant de centres de stockage de déchets ; que l'administration a repris ces crédits d'impôt recherche au motif qu'il ressortait d'un rapport établi le 22 juin 2010 par un expert mandaté par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche que les travaux conduits par la société Euro Power Technology, seulement destinés à remédier à des difficultés de mise au point, étaient inéligibles au crédit d'impôt recherche et que le rapport de présentation commun aux trois années comportait de nombreuses insuffisances, ne donnait aucune information sur les travaux de sous-traitance, que les CV ou les diplômes n'étaient fournis que pour quelques personnes, qu'une part importante des salariés n'avait pas les qualifications minimales requises ou occupait des fonctions ne correspondant pas à des activités de recherche développement et qu'aucune feuille de temps n'a été fournie ; que le ministre de l'action et des comptes publics relève également, s'agissant des dépenses de fonctionnement et de sous-traitance, qu'aucun document comptable ni pièce justificative ne vient confirmer les chiffres mentionnés dans les formulaires de demande de crédit d'impôt recherche et, s'agissant des dépenses de personnel, qu'elles représentent la quasi-totalité de la masse salariale de la société pour les années considérées, ce qui n'est pas vraisemblable dès lors que la société Euro Power Technology est une entreprise et non un organisme de recherche ; qu'en outre, pour 2008, certains des personnels mentionnés comme affectés à la recherche n'étaient pas salariés de l'entreprise mais de simples apporteurs d'affaires ou des conseils indépendants ;
6. Considérant que la société Euro Power Technology a produit un nouveau " dossier technique " en date du 29 avril 2015, destiné à justifier de l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des travaux qu'elle a réalisés ; que, par ailleurs, dans son mémoire en réplique déposé le 15 mars 2018 devant la Cour, elle soutient avoir recalculé les crédits d'impôt recherche dont elle serait en droit de bénéficier, en déduisant les dépenses de sous-traitance qu'elle avait initialement prises en compte, en réduisant le montant des cotisations sociales " initialement surestimé " et en précisant le temps passé par chaque salarié à la recherche développement ; qu'elle demande désormais la restitution de crédits d'impôt recherche de montants limités à 398 186 euros, 250 648 euros et 342 688 euros, respectivement pour les années 2006, 2007 et 2008 ; que, cependant, les modalités de détermination du temps consacré par chaque salarié aux opérations de recherche ne sont toujours pas précisées ni justifiées ; que la société requérante ne justifie des qualifications que d'un très petit nombre de salariés ; que, dans ces conditions et à supposer même que les travaux conduits par la société Euro Power Technology auraient un caractère innovant et seraient susceptibles d'être qualifiés de travaux de recherche au sens des dispositions précitées de l'article 244 quater B du code général des impôts, la société Euro Power Technology n'est pas fondée à demander la restitution des crédits litigieux ; que ses conclusions tendant à la réduction des compléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a en conséquence été assujettie ne peuvent dès lors qu'être rejetées, sans qu'il y ait lieu de prescrire une mesure d'expertise ;
Sur l'avoir comptabilisé au bénéfice du client Oxenbridge Biogaz :
7. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) " ; qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable de justifier tant du montant des charges qu'il entend, en application du I de l'article 39 du code général des impôts précité, déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée : que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ; qu'aux termes de l'article 266 du même code : " 1. La base d'imposition est constituée : a) Pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations (...) " ; qu'aux termes de l'article 267 du même code : " (...) II Ne sont pas à comprendre dans la base d'imposition : 1° Les escomptes de caisse, remises, rabais, ristournes et autres réductions de prix consenties directement aux clients (...) " ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Euro Power Technology a cédé le 25 août 2006 à la société Oxenbridge Biogaz des droits relatifs à l'exploitation de deux centrales de biogaz pour le prix hors taxes de 2 294 000 euros, soit un prix TTC de 2 743 624 euros ; qu'en 2008, un litige étant apparu entre ces deux sociétés, la société Euro Power Technology a estimé qu'elle devrait reverser la totalité du prix de vente de ces installations à la société Oxenbridge Biogaz ; qu'elle a en conséquence comptabilisé à la date du 16 janvier 2008 un " avoir ", en débitant le compte " 7070190 Ventes " d'une somme de 2 294 000 euros, en débitant le compte " 4457 TVA collectée " d'une somme de 449 624 euros et en créditant le compte client " 411 Oxenbridge Biogaz " d'une somme de 2 743 624 euros ; que la comptabilisation de cet avoir a eu pour effet de réduire le résultat imposable de l'exercice clos le 31 décembre 2008 de la société Euro Power Technology d'une somme de 2 294 000 euros et de réduire le montant de la taxe due au Trésor par la société Euro Power Technology à raison de ses opérations de l'année 2008 d'une somme de 449 624 euros ; que le service vérificateur a estimé que cet avoir était injustifié et l'a remis en cause ;
10. Considérant qu'il est constant que la vente du 25 août 2006 était réalisée et que la société Oxenbridge Biogaz avait réglé l'achat des droits par un virement du 29 août 2006 ; que la société Euro Power Technology ne fait état d'aucune circonstance qui justifiait qu'à la date du 16 janvier 2008, elle se constituât débitrice à l'égard de la société Oxenbridge Biogaz à hauteur de la somme de 2 743 624 euros ; que le litige qui l'opposait en 2008 à cette société l'autorisait seulement à constituer une provision pour risques et charges, sous réserve que les conditions prévues par le 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts soient remplies ; que c'est par suite à bon droit que l'administration a remis en cause l'inscription de l'avoir litigieux et a mis à la charge de la société Euro Power Technology un rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant, en droits, de 449 624 euros et un complément d'impôt sur les sociétés, en bases, de 2 294 000 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Euro Power Technology n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Euro Power Technology est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Euro Power Technology et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique ouest).
Délibéré après l'audience du 17 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jardin, président de chambre,
M. Dalle, président assesseur,
Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
Le rapporteur, Le président,
D. DALLE C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02630