Par un jugement n° 0902800 du 6 juin 2014, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 août 2014, et des mémoires complémentaires enregistrés les 13 mars 2015, 6 janvier 2016, 26 septembre 2019 et les 7 et 26 octobre 2020, la société Natixis, représentée par Mes Rontani et B..., avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° d'ordonner la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1998 à 2003 à hauteur de la somme de 3 171 409 euros ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
La société Natixis soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le mémoire produit par l'administration le 14 mars 2014 ne lui a pas été communiqué, en méconnaissance du principe du caractère contradictoire de la procédure ;
- le tribunal lui a imposé une contrainte probatoire excessive et contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), selon laquelle le principe d'effectivité ne doit pas faire peser sur le demandeur des exigences de preuve disproportionnées, alors qu'en tant qu'actionnaire très minoritaire, elle n'est pas destinataire des documents confidentiels relatifs à l'imposition des bénéfices sous-jacents ; elle a justifié de la régularité des distributions de dividendes au sens de l'article 158 bis du code général des impôts par la production d'extraits de rapports annuels des sociétés cotées ou des informations extraites de la base Amadeus dont l'administration fiscale se sert pour établir les prix de transfert, ainsi que du niveau d'imposition dans les Etats d'implantation des sociétés distributrices, ou des difficultés juridiques ou matérielles qu'elle a rencontrées pour collecter ces informations ;
- l'administration n'a apporté aucune contradiction aux justificatifs qu'elle a produits ;
- les premiers juges ont méconnu les modalités pratiques de détermination de l'avoir fiscal, qui présente un caractère forfaitaire et n'est pas lié au niveau d'imposition de la société distributrice, ni à la circonstance que l'imposition a été acquittée non par la société distributrice, mais par une sous-filiale ; le crédit d'impôt auquel elle peut prétendre est égal aux 2/3 du dividende reçu multiplié par le taux de l'avoir fiscal en vigueur ;
- l'administration renverse la charge de la preuve en ce qui concerne l'imposition des sociétés distributrices au niveau de leurs sous-filiales ; le refus de remboursement de l'avoir fiscal au motif que les dividendes correspondent à des redistributions imposées au niveau de sous-filiales méconnaît la jurisprudence Test Claimants in the FII Group Litigation de la CJUE ;
- l'administration renverse la charge de la preuve en ce qui concerne la prise en compte d'une éventuelle retenue à la source dans l'Etat de résidence de la société distributrice ;
- elle est fondée à demander que lui soit attribué l'avoir fiscal dont elle aurait bénéficié si les sociétés distributrices avaient été des sociétés françaises.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les arrêts C-310/09 du 15 septembre 2011 et C-416/17 du 4 octobre 2018 de la cour de justice de l'Union européenne ;
- les décrets n° 2020-1404 et 2020-1405 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique,
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- les observations de Me B..., pour la société Natixis.
Une note en délibéré enregistrée le 21 décembre 2020 a été présentée pour la société Natixis.
Considérant ce qui suit :
1. La société Natixis, tête du groupe fiscalement intégré composé notamment des sociétés Natixis, Natixis Bleichroeder, Vitalia Vie et Fructivie, a demandé, par une réclamation du 28 décembre 2004, la restitution partielle des cotisations d'impôt sur le revenu dont elle s'est acquittée en titre des exercices 1998 à 2003, pour une somme totale de 3 704 209,21 euros, correspondant au bénéfice de l'avoir fiscal sur les dividendes provenant de sociétés non-résidentes dans lesquelles elle détient des participations non éligibles au régime mère-fille, dont elle estime avoir été illégalement privée du fait que les dispositions alors applicables de l'article 158 bis du code général des impôts réservaient le bénéfice de ce crédit d'impôt aux seuls dividendes de source française. Elle relève appel du jugement du 6 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et réitère sa demande de restitution à hauteur de la somme totale de 3 171 409 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties (...). Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. "
3. Il ressort des pièces du dossier que le mémoire en réplique enregistré au greffe du tribunal administratif de Montreuil le 14 mars 2014 ne contenait pas d'éléments nouveaux au sens de l'article R. 611-1 précité. En outre, l'argumentation qu'il contenait a été entièrement reprise par l'administration dans son mémoire enregistré le 28 mars 2014 dont la société requérante a reçu communication. Le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de la procédure aurait été méconnu doit, par suite, être écarté.
Sur le bien-fondé de la demande de restitution :
En ce qui concerne la compatibilité du dispositif de l'avoir fiscal au droit de l'Union :
4. Aux termes de l'article 158 bis du code général des impôts, en vigueur pendant les années d'imposition en litige : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué : / a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ; / b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor (...) ".
5. Aux termes du 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " [...] toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres [...] sont interdites ".
6. Il résulte de l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011 de la cour de justice de l'Union européenne que ces dispositions s'opposent à la législation d'un État membre, telle que la législation française, ayant pour objet d'éliminer la double imposition économique des dividendes et qui permet à une société d'imputer sur l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable l'avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes s'ils proviennent d'une filiale établie dans cet État membre, mais n'offre pas cette faculté si ces dividendes proviennent d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n'ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l'octroi d'un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale. Il en est de même des dividendes provenant des filiales établies dans des Etats tiers à l'Union, sous réserve de la clause de gel prévue au 1 de l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
7. Par suite, une société française ayant perçu des dividendes versés par des sociétés distributrices établies dans un autre État membre de l'Union européenne ou un Etat tiers dans les conditions alors fixées par l'article 158 bis du code général des impôts est, sur le principe, fondée à obtenir un crédit d'impôt calculé de telle sorte que les dispositions alors en vigueur de l'article 158 bis soient neutres au regard de la libre circulation des capitaux.
En ce qui concerne les conditions d'attribution d'un crédit d'impôt :
8. La société requérante ne peut bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dividendes provenant d'un autre État membre de l'Union européenne qu'autant que ces distributions rempliraient les conditions posées par le droit interne à l'attribution d'un avoir fiscal.
9. Aux termes de l'article 158 ter du code général des impôts : " 1. Les dispositions de l'article 158 bis s'appliquent exclusivement aux produits d'actions, de parts sociales ou de parts bénéficiaires dont la distribution est postérieure au 31 décembre 1965 et résulte d'une décision régulière des organes compétents de la société. (...) ".
10. Il résulte des dispositions précitées des articles 158 bis et 158 ter du code général des impôts, alors en vigueur et relatives à l'avoir fiscal, que celui-ci était exclusivement attaché aux produits distribués par une société à ses associés à titre de dividendes, en vertu d'une décision régulière des organes compétents de cette société.
11. En l'espèce, l'administration fait valoir que la société requérante ne justifie pas que les sommes qu'elle dit avoir reçues ont la qualité de dividendes qui lui auraient ouvert droit au bénéfice de l'avoir fiscal s'ils avaient été de source française. Pour établir la nature et le montant de ces dividendes, la société requérante produit, au mieux, des extraits de sa propre comptabilité, des tableaux précisant le montant des dividendes et des impositions par année de distribution, non datés, non signés, qui auraient été renseignés à sa demande par les sociétés distributrices sans qu'aucune n'y appose son cachet, des échanges par courrier électronique portant sur l'imposition de ces sociétés au titre des exercices considérés, ainsi que des extraits de leurs rapports annuels non traduits, ni exploités. Ces justificatifs, qui n'ont d'ailleurs été apportés que pour une partie des dividendes en litige, ne permettent pas de tenir pour établis le nombre de titres détenus, les montants distribués et la nature de ces distributions. Dans ces conditions, les justificatifs présentés ne peuvent être regardés comme suffisants pour établir que les sommes que la société Natixis dit avoir reçues lui ont été distribuées à titre de dividendes prélevés sur les bénéfices et alloués en vertu de décisions régulières des organes compétents des sociétés distributrices.
En ce qui concerne le montant du crédit d'impôt :
12. Par l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les principes d'équivalence et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société des sommes de nature à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d'autres États membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres États membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices. La production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces États se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs.
13. En se bornant à produire un tableau des taux supérieurs d'imposition pratiqués par les Etats de résidence des société distributrices pour les années en cause, la lettre circulaire qu'elle a adressée aux sociétés distributrices, ainsi que, pour certains dividendes, des extraits de leurs rapports annuels, à soutenir qu'elle ne détient que des participations minoritaires et à invoquer le secret fiscal, la société requérante n'établit pas, pour chaque dividende, le taux de l'imposition effectivement acquittée localement par les sociétés non résidentes distributrices, ni l'impossibilité dans laquelle elle se trouverait d'en apporter la preuve. En l'absence de tout élément probant quant au paiement effectif, dans l'État d'implantation des sociétés distributrices, de l'impôt sur les bénéfices sous-jacents, la société Natixis ne justifie pas du bien-fondé de sa demande de restitution partielle, au titre de l'avoir fiscal, des cotisations d'impôt sur les sociétés qu'elle a acquittées au titre des années 1999 à 2003.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Natixis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Natixis est rejetée.
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N° 14VE02420